La crise que traverse notre pays, hormis les revendications de justice sociale et fiscale, revêt aussi une forte remise en cause de notre système représentatif, avec au premier plan l’Assemblée nationale. Les territoires oubliés, les invisibles éloignés de Paris et de son élite, se sont rebellés contre un système qui ne les représente plus, et pour cause.
La composition de l’Assemblée nationale, qui donne une majorité législative outrancière au Président de la République, met le pouvoir législatif à la botte de l’exécutif, annihilant tout débat démocratique.
C’est une conséquence directe du mode de scrutin législatif et du calendrier consécutif des deux élections – qui est à remettre en cause -, avec un mode de suffrage permettant l’accession de tout candidat ayant fait 12,5% des inscrits au premier tour. En d’autres termes, c’est près de 80 % des électeurs qui ne sont pas représentés. C’est un affront pour la démocratie, dès lors que les autres expressions sont gommées.
Outre le manque de représentativité parlementaire, c’est le modèle tout entier qui est contesté, barrant par bien des moyens l’accession à la candidature, à commencer par l’aspect financier. Une campagne coûte cher, ce qui écarte encore un peu plus les velléités de ceux qui voudraient accéder à la représentation populaire.
Enfin, le statut imparfait de l’élu ne garantit pas suffisamment un retour à la vie active pour le salarié du secteur privé ou l’artisan-commerçant qui sont quasi assurés de tout perdre à la fin de leur mandat.
Ainsi, les places sont préemptées par des fonctionnaires, professions libérales, et les électeurs sont bien en peine de se reconnaître dans la composition élitiste d’une telle assemblée, sentiment renforcé par le comportement d’élus arrogants et oublieux de ceux à qui ils doivent leurs fonctions.
Il est évident que les appareils politiques souhaitent entretenir un tel système qui favorise mécaniquement leurs structures, machines à produire des apparatchiks dociles et englués dans un système qui les nourrit et les flatte à la fois.
La République démocratique a cédé le terrain à un système aristocratique où les charges se transmettent dans l’entre-soi. La souveraineté a été confisquée au peuple à qui nous devons la rendre.
L’assemblée nationale, constituée de 577 députés, est élue pour 5 ans au suffrage universel direct à deux tours. Seuls ceux qui réalisent un score de 12,5% des électeurs inscrits peuvent se maintenir au second tour. On peut donc, mathématiquement, se trouver représenté par un candidat ayant fait 25% des scrutins exprimés au 1ertour, dans un climat où l’abstention dépasse bien souvent les 50%. Avec un tel mode de suffrage, la démocratie représentative prend un coup.
Non seulement ce mode de suffrage est insatisfaisant pour qui aime la démocratie, mais il semble évident, à la vue de ce que la majorité actuelle en a fait, qu’il devient dangereux, laissant les pleins pouvoirs à une majorité peu représentative qui se fiche de l’intérêt général et décide en fonction de son socle électorale.
Il nous faut donc refonder le modèle afin de faire de cette assemblée la base de l’expression réelle de la diversité du peuple et de sa concorde dans le sens de l’intérêt général et non de la somme d’intérêts particuliers.
La proportionnelle, dans l’hémicycle a déjà existé, en 1986, instaurée par François Mitterrand.
Dans le cadre de sa réforme institutionnelle, Emmanuel Macron tente de faire passer une bien étrange pilule. Il propose 20% de proportionnelle, dans un hémicycle dégraissé de 30% de parlementaires, soit 80 élus pour 404 députés -par une méthode que nous ignorons encore et qui, s’il elle se rapproche de celle des municipales avec prime à la majorité, sera loin de favoriser un vent de fraîcheur à l’Assemblée. Mis à part aggraver l’éloignement d’élus de leur terrain, je ne vois là rien qui puisse satisfaire les revendications exprimées ces derniers temps.
Il est temps de passer à une proportionnelle intégrale, ce qui aurait pour vertu principale de forcer le gouvernement à écouter davantage les autres formations politiques, pour éviter de sombrer dans une forme de replis sur soi.
Gouverner implique un sens de la Nation qui passe par un dialogue permanent entre les tendances politiques. On ne peut pas nier les résultats de urnes en toute impunité, quand on n’a fait que 25% d’adhésion au premier tour d’une élection. Le seul moyen de mettre un terme à cela est de mettre fin à l’injustice de cette élection.
La question du comment est techniquement complexe. Une élection par scrutin de liste nationale éloignerait les élus du terrain, ce qui n’est absolument pas envisageable, et causerait l’effet inverse à celui recherché. On le voit dans les élections européennes en cours, une circonscription unique favorise les grands partis, et les viles négociations d’appareils, par le nombre de candidats à présenter et le budget à y consacrer. Une solution possible serait donc des listes régionales, avec une obligation de représentation départementale et d’inscription sur les listes électorales locales pour favoriser un ancrage réel et mettre fin aux parachutages intolérables pour les électeurs. Ainsi, ce scrutin à un tour, permettrait à toutes les formations politiques – ou collectifs de citoyens – de prétendre à l’élection et donnerait à chacun une chance d’être représenté localement.
Mais il ne suffit pas d’instaurer une proportionnelle pour mettre fin à toute forme de contestation. En effet, reste le délicat sujet de l’abstention, sur laquelle s’appuient tous les revanchards pour délégitimer le pouvoir en place.
La stabilité politique ne peut être assurée que par une élection confortable, pleine et entière. Seul le vote obligatoire peut le justifier. Voter est un devoir, autant qu’un droit. Beaucoup semblent vouloir l’oublier, considérant que seuls les élus ont des obligations. Rendons sa dimension obligatoire plus évidente et sanctionnons ceux qui s’y soustraient, dans certaines conditions.
D’abord, en organisant les scrutins en semaine, avec une banalisation d’une heure sur le temps de travail, et sur présentation d’un justificatif de vote, comme pour les élections professionnelles.
Ensuite, en créant la reconnaissance du vote blanc, pour qui ne sait pas choisir ou n’accepte pas de chercher le plus grand dénominateur commun avec un candidat ou une liste.
Enfin, en éduquant davantage à la citoyenneté dès le plus jeune âge et à la démocratie, pour que l’accession à la majorité devienne aussi l’accession pleine et entière à l’expression de la citoyenneté par le vote.
La claque reçue par notre République le 25 novembre 2018, où un député a été élu au 2èmetour des élections législatives partielles de première circonscription de l’Essonne avec plus de 82% d’abstention, est inadmissible et antidémocratique.
Il est temps que notre République se rénove. Cette réforme peut se faire par le simple biais d’une loi organique. Il suffit d’un peu de courage et de volonté. Ce sont probablement les qualités majeures qu’il manque à une grande majorité des élus en fonction.
Laurence Taillade
Présidente de Forces Laïques