Ces élections européennes du 26 mai dernier ont marqué un tournant dans l’Europe, plus que jamais les démocraties semblent fragilisées. Patrick Martin-Grenier, enseignant en droit public et constitutionnel nous livre, pour la Revue Politique et Parlementaire, son analyse face à cette situation inédite.
Les dernières élections européennes se sont traduites en Europe par un phénomène encore jamais connu depuis la Seconde Guerre mondiale : l’affaiblissement considérable des grandes démocraties qui se caractérise par l’effondrement de l’autorité des gouvernements, leur crédibilité et la chute de confiance des citoyens dans leurs dirigeants.
Royaume-Uni : une Première ministre humiliée en permanence
Ce phénomène a ainsi eu lieu au Royaume-Uni. Le Brexit aura été l’élément déclenchant de ce que l’on peut appeler une « révolution institutionnelle » qui a conduit à une lutte sans précédent entre le pouvoir exécutif (le « cabinet » en anglais) et la Chambre des communes. Après avoir proposé la dissolution du parlement britannique au mois d’avril 2017, forte des sondages qui lui prédisaient victoire écrasante, le résultat obtenu par Theresa May au mois de juin eut un effet déflagratoire à la suite d’une quasi-défaite la laissant à la merci d’une poignée de députés unionistes nord-irlandais. Ce boulet, elle allait le traîner pendant trois ans jusqu’à l’issue de sa démission trois ans après, emportée par la sédition des députés pro-brexit emmenés par le puisant Jacob Rees-Mogg.
La gouvernance aura ainsi radicalement changé pendant cette période.
Jamais un Premier ministre n’aura été autant humilié pendant trois ans, chacune de se initiatives politiques sur le Brexit étant rejetées ans ménagement.
On aura ainsi vu un gouvernement perdre l’essentiel de son pouvoir alors qu’au Royaume-Uni, tout Premier ministre qui dispose d’une majorité bénéficie de pouvoirs que l’on peut sans hésitation comparer à celui d’un quasi-régime présidentiel.
La suprématie parlementaire
Pendant trois ans, le pouvoir a glissé inexorablement vers le parlement dirigé d’une main de fer par l’ineffable John Bercow qui, pendant cette période, aura imprimé une marque indélébile sur le rôle du président de la chambre des communes. Très critique, il a ainsi redonné ses lettres de créance à une « jurisprudence » qui veut que le Président ait seul le pouvoir de sélectionner les amendements qui doivent être mis au vote sur un texte gouvernemental.
Cette prérogative n’a pas été ressortie au hasard : elle a eu pour ambition de mettre un ordre aux multiples amendements cacophoniques sur le Brexit.
Mais une telle jurisprudence a eu pour effet d’empêcher le gouvernement de passer en force en soumettant un texte sur le Brexit quasiment identique à celui qui avait été proposé puis rejeté avant, afin de ne pas fouler aux pieds la sacrosainte souveraineté du parlement britannique.
Allemagne : une démocratie anesthésiée
De son côté l’Allemagne a aussi été considérablement ébranlée. Que n’avait-on dit des mérites de la « Groko » (abrégé de l’expression allemande « grosse Koalition » ou grande coalition) ! L’alliance entre les démocrates chrétiens de la CDU/CSU et des sociaux- démocrates constituait la meilleure garantie d’une gouvernance idéale.
Las ! Cette forme de gouvernance a fini par anesthésier la démocratie et a été rejetée lors des élections européennes du 26 mai dernier.
Le parti d’Angela Merkel, tout en restant premier, a reculé à un niveau jamais atteint depuis la création de la République fédérale d’Allemagne, les sociaux-démocrates se sont écroulés donnant aux Verts la deuxième place, les plaçant ainsi en orbite pour devenir le premier parti politique d’Allemagne pouvant dès lors envisager de donner à ce pays le premier chancelier dans l’histoire de l’Allemagne.. Le système politique allemand a ainsi explosé, ce que laissait envisager la percée, lors des élections législatives de 2017, du parti d’extrême droite l’AfD (« Alternative für Deutschland »).
Aujourd’hui, la chancelière Angela Merkel en est elle-même rendue à expédier les affaires courantes alors qu’elle n’est déjà plus à la tête de la CDU, les sociaux-démocrates étant condamné à repartir très rapidement dans l’opposition, sauf à sombrer corps et âme.
Italie : l’extrême droite solidement installée au pouvoir
S’agissant de l’Italie, voici un pays connu pour son instabilité chronique à la IV° République qui a, en 2018, instauré un pouvoir fort composé de populistes et de nationalistes d’extrême droite dans lequel le président du Conseil, Giuseppe Conte, semble être transparent au point qu’il vient de menacer de dépassionner face au combat sans merci que se livrent les chefs des partis Cinq étoiles Luigi di Maio et La ligue Mateo Salvini tous deux vice-présidents du conseil.
Avec une majorité à la chambre des députés, voilà un gouvernement dont le tempo est fixé depuis plus d’un an par le Ministre de l’Intérieur Matteo Salvini avec l’apparence de la stabilité. Le parti d’extrême droite La ligue ayant remporté les élections européennes, un tel gouvernement pourrait imploser uniquement pour permettre à son dirigeant, Matteo Salvini, de prendre les rênes du pouvoir en devenant le premier président du Conseil ouvertement d’extrême droite en Europe.
A lui seul, Salvini a fait exploser le système politique italien.
S’agissant de la France enfin, l’histoire retiendra sans doute que jamais une crise politique majeure et durable celle connue sous le nom de « crise des gilets jaunes » n’aura autant affaibli la clef de voûte des institutions de la V° République : le Président de la République française.
Mais en France également, la droite démocratique et la gauche ont volé en éclat lors des dernières élections européennes, donnant son sens à l’expression pas très élégante mais très significative de « dégagisme ».
D’autres pays pourraient aussi être cités en Europe où le même processus s’est produit. La question qui se pose aujourd’hui avec acuité est de savoir si le phénomène a atteint son paroxysme et va s’arrêter ou s’il connaîtra dans les années qui viennent une vigueur renforcée.
Patrick Martin-Genier
Enseignant en droit public et constitutionnel