Depuis plusieurs années, l’Éducation nationale peine à recruter ses enseignants. En 2012, un groupe de travail du Sénat, présidé par Jacques-Bernard Magner, préconisait le pré-recrutement pour pallier la crise qui touche la profession. Une solution qui pourrait être d’actualité en 2018.
Revue Politique et Parlementaire – Le métier d’enseignant connaît une crise de recrutement depuis plusieurs années. Comment l’expliquez-vous ?
Jacques-Bernard Magner – La crise de recrutement est une conséquence de la « mastérisation » qui n’a pas été accompagnée d’une revalorisation de la rémunération. Peu de métiers aussi exigeants en engagement personnel et nécessitant cinq ans d’études supérieures sont aussi mal payés du début à la fin de carrière.
Par ailleurs, le « vivier » des catégories sociales les plus populaires n’est plus atteint par le recrutement actuel contrairement à ce qu’il était à l’époque des écoles normales d’instituteurs ou des IUFM.
RPP – Pour pallier cette crise, la Cour des comptes recommande au gouvernement de réviser les modalités du concours d’admissibilité permettant de devenir enseignant. Elle préconise un recrutement au niveau licence et non plus master. En 2012, vous avez présidé un groupe de travail sur le « pré-recrutement » des enseignants. De quoi s’agit-il ?
Jacques-Bernard Magner – Concernant le « pré-recrutement » des futurs enseignants, j’ai fait des propositions au ministre de l’Éducation nationale lors d’un rendez-vous le 14 février 2018.
Avec Vincent Peillon, nous avons obtenu l’attribution de 18 000 contrats d’avenir en 2013 pour en faire des EAP (emplois d’avenir professeurs). Ces étudiants recrutés sous contrat de travail bénéficiaient d’une aide financière en effectuant, avec l’accompagnement d’un tuteur, des missions rémunérées dans les écoles et les établissements du second degré.
En contrepartie, ils s’engageaient à se présenter à un concours de recrutement d’enseignants. La combinaison d’une bourse et la rémunération au titre du contrat de travail, en s’ajoutant aux bourses sur critères sociaux, garantissaient un revenu moyen total de l’ordre de 900 € par mois. Hélas, ce dispositif a été abandonné malgré les retours d’expérience positifs des quelque 9 000 jeunes bénéficiaires.
RPP – Quels sont les avantages de ce pré-recrutement et pourquoi peut-il être une solution à la pénurie d’enseignants ?
Jacques-Bernard Magner – Le pré-recrutement parmi les étudiants dès la première année de licence permettrait d’élargir le vivier aux jeunes qui s’intéressent aux métiers de l’éducation mais qui en sont dissuadés par la complexité et la longueur de la formation. Par ailleurs, le concours d’entrée en ESPÉ (École supérieure du professorat et de l’éducation) devrait comporter une part plus importante concernant la pratique professionnelle.
RPP – Que sont devenues vos recommandations suite à vos travaux ?
Jacques-Bernard Magner – Après avoir été bien accueillies par Vincent Peillon qui a lancé l’expérimentation avec les EAP en 2013, les propositions faites sur le pré-recrutement n’ont pas été poursuivies par les ministres successifs.
RPP – Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a annoncé qu’il allait ouvrir un chantier spécifique sur le pré-recrutement. Qu’en pensez-vous ? Va-t-il s’inspirer de vos travaux ?
Jacques-Bernard Magner – Jean-Michel Blanquer semble intéressé par le recours au pré-recrutement. Nous l’avons évoqué lors d’un entretien au ministère le 14 février 2018.
La situation est grave et les jeunes se détournent d’un métier qui ne les fait pas rêver et qui paraît difficile à atteindre pour eux.
S’il ne s’agit pas de refaire les écoles normales abandonnées dans les années 80, des leçons restent à tirer de « l’universitarisation » de la formation des enseignants. La part de la professionnalisation est insuffisante par rapport à celle de l’académique. La pédagogie comme la psychologie de l’enfant sont insuffisamment enseignées aux futurs professeurs.
Dans la formation, la réflexivité est très importante et le retour d’expérience avec le soutien de tuteurs professionnels reste fondamental.
« L’alternance intégrative » qui permet de croiser les points de vue et de faire de l’ESPÉ un établissement apprenant nourri des retours d’expérience en milieu scolaire se substituerait alors à « l’alternance juxtapositive » qui dissocie trop l’acquisition des savoirs et celle des savoir-faire.
J’avais essayé de démontrer cela dans le rapport de la mission d’information que j’ai présenté au Sénat sur l’An I des ESPÉ en mai 2014.
En conclusion, nombreux sont ceux qui comprennent ce qu’il faudrait faire pour redonner envie à beaucoup de jeunes de devenir enseignants et pour construire une formation professionnelle à la hauteur des enjeux de notre époque. Mais l’obstacle essentiel est celui des moyens que l’État est prêt à consacrer à cette formation initiale sans oublier les besoins de la formation continue des enseignants à une époque où les technologies évoluent très rapidement.
Jacques-Bernard Magner
Sénateur du Puy-de-Dôme
Propos recueillis par Florence Delivertoux