Depuis 2007 – depuis le début de la crise bancaire – l’Union européenne fonctionne en « mode permanent de crise » au niveau des chefs d’État et de gouvernement.
Depuis lors, nous avons été les témoins de crises successives, dépassant en grande partie le cadre de l’Union européenne, et imprégnées par un nouveau type de risque (appelé dans le jargon danger « systémique ») un danger à première vue partiel ou limité qui est en réalité un risque pour tous : essayez d’expliquer à un citoyen le danger « grec » dont le PIB n’atteint même pas 2 % du PIB européen !
Epreuve de vérité, voire risque de « dislocation » ?
Ces crises ont démontré sans équivoque nos faiblesses, d’abord celles des États-membres, mais aussi celles de l’Europe, de son système et de ses structures actuels : l’Union européenne est devenue à tort le « bouc émissaire » préféré de tous.
Il y a d’abord eu la crise bancaire, certes importée au départ, mais résultat d’un monde bancaire et financier globalisé, sans régulation et règles majeures correspondantes, suivie par la crise financière, due en particulier à l’endettement surélevé et malsain dépassant les capacités de certains États. Cette crise est devenue enfin une crise économique et sociale, avec un chômage trop élevé et une absence de croissance économique.
De manière inattendue, la géopolitique a fait en même temps son retour sur la scène politique à travers des crises et conflits accentués au Moyen-Orient, en Méditerranée, dans le Nord de l’Afrique et à l’Est de l’Europe.
Ces crises ont été finalement « couronnées » par le retour du terrorisme, l’arrivée en masse de réfugiés en Europe, la mise en question des acquis de « Schengen » – et finalement ces jours par le départ annoncé du Royaume-Uni de l’Union suite au résultat du référendum.
Aujourd’hui nous ne sommes pas sortis du « tunnel », l’Union européenne se trouve dans la tourmente, dans une crise existentielle représentant un danger imminent et réel pour elle, avec des risques de « dislocation », ainsi que par ceux des retours aux État-nations via un « nationalisme » croissant. Ces risques politiques paralysent en partie l’économie européenne face à la concurrence internationale !
Les raisons de ce développement sont multiples, politiques et économiques voire sociétales. En particulier les Européens semblent ne pas avoir digéré deux événements et changements fondamentaux des dernières vingt-cinq années : d’une part la réunification de l’Allemagne et la refonte de la carte européenne, et d’autre part le phénomène de la globalisation.
Les expressions et conséquences majeures de cette « transition vers l’insécurité » sont des divergences de fond entre les acteurs européens sur le futur de la construction européenne, en particulier sur l’interprétation et le futur de la souveraineté des États, de la solidarité entre les membres et de son étendue, ainsi que sur la signification de nos valeurs communes, en particulier celles des libertés. Ce sont des divergences à la fois sur le modèle de fond et sur la boussole à suivre !
Nous avons invité avec raison les pays du Centre et de l’Est de l’Europe à rejoindre l’Union européenne, cela à travers une approche plutôt technocratique, sans y intégrer leurs agenda et histoires bien différentes. Du coup, on parle non seulement des différences traditionnelles « Nord-Sud », mais également des divergences « Est-Ouest » au sein de l’UE.
Surtout la question de la souveraineté reste un sujet hautement sensible et facilement sous-estimé : l’intégration européenne est entrée avec Maastricht dans une phase où elle traite, par définition, les noyaux durs de la souveraineté nationale, de ce qui est resté, de ce que prétendent les protagonistes nationaux. Dans ce contexte nous sommes restés trop fixés sur nos conceptions traditionnelles de la construction européenne : abandon de souveraineté en faveur des institutions communes, au lieu de réfléchir davantage sur un «partage nécessaire commun » !
L’observateur constate un manque d’échanges et de discussions sur le fond des sujets cruciaux et, en même temps, une absence de « vision » et de « leadership » de la part du politique.
Paris – Berlin
Au centre des querelles internes se trouvent, comme toujours, la France et l’Allemagne, qui ont du mal à former le tandem, le moteur traditionnel de l’intégration européenne.
D’un côté l’Allemagne, ce nouveau pays dominant atypique, en économie de fait, en politique plutôt mal dans sa peau, avec des tendances contradictoires et difficiles à comprendre par ses partenaires.
Les Allemands pensent facilement que les partenaires européens devraient « copier » le modèle allemand pour mieux réussir, tout en oubliant que ce modèle n’est en règle générale guère « exportable » (« Am deutschen Wesen soll die Welt genesen » ou encore « die deutsche heile Welt » ou le fameux « BesserWessi », voire le « Gutmensch»)1.
De l’autre côté la France, l’ancien pays dominant, prisonnier de son passé et de ses acquis, un pays en crise qui est devenu son meilleur ennemi, un pays qui ne se montre guère réformable !
Des cercles politiques berlinois parlent ouvertement de la France comme de « l’homme malade de l’Europe », comme d’ailleurs les Parisiens le disaient de l’Allemagne en 2002 (les débats, voire les grèves politiques démesurées autour du projet de loi travail ont renforcé cette perception à Berlin !).
En réalité, la France et l’Allemagne cherchent toujours leur place et leur rôle dans cette nouvelle Europe : ils n’ont toujours pas digéré le changement profond de la carte européenne en 1989/90 avec la réunification de l’Allemagne et l’ouverture de l’Europe.
L’absence de dialogue de fond et de volonté politique franco-allemande, soulignant la responsabilité commune pour le bon fonctionnement de l’Europe, est préoccupante. « L’illusion de la proximité », avec deux systèmes profondément différents, semble bloquer davantage la machine européenne.
Or, la situation actuelle demande en réalité à ce tandem des initiatives courageuses, dépassant les « tabous » politiques (comme par exemple en politique énergétique ou de sécurité), mettant l’accent sur les atouts de l’un ou de l’autre, et ne traitant plus les partenaires avec ce qui est perçu par eux comme une « arrogance hégémonique ».
Un « retour aux sources » paraît plus que jamais nécessaire et opportun, peut-être en y intégrant, du moins en partie, la Pologne, puisque ces trois pays semblent former l’épine dorsale nouvelle de l’Europe, ou encore les quatre autres États fondateurs de l’Union européenne.
Tout cela sous un timing difficile en raison des élections dans les deux pays en 2017, et de « l’incompréhension » croissante des classes politiques.
L’Union européenne se doit d’agir face à cinq chantiers urgents et prioritaires
- le futur de l’Union économique et monétaire ;
- le futur de « Schengen » ;
- « Brexit » – le Royaume-Uni et l’UE ;
- l’Europe face au retour de la géopolitique ;
- le fossé et la méfiance entre le pouvoir et le citoyen, voire l’économie.
Le futur de l’Union économique et monétaire
Gardons à l’esprit que le Traité de Maastricht a créé une « Union boiteuse » : une Union monétaire sans Union économique et fiscale, en raison du blocage entre la France et l’Allemagne.
Malgré certains progrès réalisés depuis 2010 sous la pression des crises, l’Union économique et monétaire de l’Europe reste fragile et doit vivre avec le handicap de n’être guère durable à terme.
Le Marché intérieur n’est toujours pas complet et, agissant en ordre dispersé, l’Europe n’arrive pas à donner les impulsions à l’économie européenne qui se trouve dans une compétition internationale impitoyable : énergie, économie numérique, innovation, recherche avancée, flexibilité sont quelques mots clés de ce débat !
Quant au futur de l’Union économique et monétaire, le verrou du débat, jusqu’à aujourd’hui, est le refus d’abandonner le « dernier mot », à savoir la souveraineté nationale, en matière budgétaire et fiscale, en faveur de l’Union européenne.
Même les ardents défenseurs d’une approche classique dite « communautaire » devraient comprendre que les États ne sont pas – ou pas encore – disposés à renoncer à leurs compétences nationales jugées « vitales », mais qu’une autre approche devrait être développée, dénommée il y a quelques années par Angela Merkel, mais malheureusement sans la définir, « méthode de l’Union ».
Toute réflexion devrait aller davantage vers une « coexistence constructive » du niveau national avec celui de Bruxelles, ayant pour objectif une concertation, une coordination permanente, voire, si nécessaire, une harmonisation des politiques économiques, financières, fiscales et budgétaires.
Le débat européen comporte en partie des « hypocrisies mutuelles », en particulier entre Français et Allemands : des propositions mutuelles à cet égard circulent, tout en sachant que ni la France ni l’Allemagne ne sont disposées à abandonner leur dernier mot budgétaire ou fiscal en faveur de « Bruxelles », la France en raison de sa conception étatique et l’Allemagne du fait qu’elle aurait besoin d’un référendum constitutionnel, qui ne trouvera selon toute probabilité pas l’accord de la majorité des Allemands.
Un seul acteur européen semble fonctionner normalement et défendre l’intérêt européen, la BCE2, en partie dans un rôle dépassant ses compétences en raison de l’absence d’une politique économique coordonnée et de politiques appropriées de la part des États-membres.
Le futur de « Schengen »
L’ouverture des frontières a été lancée par des hommes politiques courageux dès le milieu des années 80, ayant en tête l’espoir et la conviction que les mesures « d’équilibre », pour pallier les pertes de contrôle et de direction, allaient s’installer rapidement, simplement par la nécessité des choses.
Dès le départ, il a été clair que l’ouverture des frontières intérieures présuppose toute une série d’actions et de politiques de fond, c’est-à-dire :
- un contrôle efficace des frontières extérieures ;
- une coopération très étroite, exemplaire entre nos polices et services de renseignement, l’existence d’un « Europol » comparable au « FBI » ou au « Bundeskriminalamt » allemand;
- une politique commune d’immigration, d’asile et du statut des étrangers ;
- une politique commune concernant les réfugiés ;
- et une véritable politique commune face aux voisins…
Ces domaines vitaux d’un véritable « système » Schengen ont fait l’objet d’initiatives répétées de Helmut Kohl depuis 1988, ensuite de Antonio Vitorino en 1999, sans grand succès, le blocage étant constitué par la méfiance et une conception dépassée de la souveraineté de la part de nos bureaucraties intérieures – hors police ! –, et les politiques n’ayant pas le courage de casser ces cercles vicieux !
L’Union européenne est restée également, dans le domaine de « Schengen », une Union « boiteuse ». D’où la nécessité d’un rattrapage urgent dans ce dossier ultra-sensible et complexe, afin d’éviter que « Schengen » ne devienne le « fossoyeur » de l’idée européenne !
Brexit – le Royaume-Uni et l’UE
L’électeur britannique s’est prononcé le 23 juin 2016 en faveur d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. C’est une décision souveraine que l’Europe se doit de respecter.
Néanmoins je la regrette profondément, elle comporte par ailleurs objectivement beaucoup plus de risques pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne.
Londres devra réinventer non seulement son futur modèle économique, fondé jusqu’à présent en premier lieu sur la place financière de Londres, mais renégocier, comme demandeur de l’extérieur, toute sa relation avec le continent.
Peut-être d’ici quelques années le Royaume-Uni aura-t-il même changé de face, si la volonté de l’Écosse et de l’Irlande du Nord de rester dans l’UE les conduisent à l’indépendance et par conséquent vers une adhésion à l’Union européenne.
À la lumière de la « stratégie » limitée du gouvernement Cameron dans un environnement politique empoisonné par les divergences et les réserves profondes au sein du parti conservateur, un oui au Brexit était pour moi une crainte réelle ; rapidement, nous avons pu en effet constater que les quatre domaines négociés par Cameron n’étaient pas du tout décisifs dans le débat intérieur, la vraie question, pour les citoyens britanniques, étant en réalité toute la relation du Royaume-Uni à l’Union européenne.
Par ailleurs un non au Brexit n’aurait pas mis un terme aux « problèmes » avec nos amis de l’autre côté de la Manche. Ils n’ont toujours pas fait leur paix avec le continent ; ils souhaitent plutôt le contrôler et le diviser sans s’y intégrer pleinement et y jouer ensemble, avec les Français et Allemands, un rôle moteur. Dès l’adhésion, l’idée était plutôt celle d’une « Europe à la carte » avec seuls les avantages. Quand le Royaume-Uni comprendra-t-il enfin où se trouve son futur ?
Conformément à l’article 50 des Traités, l’Union européenne devra négocier dans les années à venir la sortie du Royaume-Uni. Ce sera une négociation complexe à exécuter, certes, avec « fair-play », mais sans cadeaux, les « choix possibles » s’orientant vers un statut « norvégien » ou « suisse » ou encore « canadien », ou simplement vers l’application des règles de l’OMC comme avec n’importe quel pays tiers de l’Union européenne, tous statuts qui réduiront de manière décisive les possibilités d’influence des Anglais sur l’Union européenne.
Mais j’espère que le référendum du 23 juin 2016 aura pour effet positif de contribuer à apurer, clarifier et améliorer les structures et l’organisation de l’Union européenne. C’est un moment utile pour négocier ouvertement une Europe plus efficace, à différents cercles, un cercle intérieur et un cercle extérieur « Marché intérieur », où nous pourrions trouver peut-être même un vote favorable en faveur de la Turquie ?
La politique étrangère et de sécurité commune
C’est le troisième élément « boiteux » de l’Union européenne. Malgré le fait que cette idée ait été lancée déjà au début des années 70, nous sommes toujours loin d’une politique commune qui mériterait ce nom. Malheureusement nous n’avons même pas su utiliser cette fenêtre d’opportunité au début des années 90, et depuis lors les avancées ont été plutôt minimes, si toutefois elles existent !
De plus la politique étrangère et de sécurité a été conçue autour d’un rêve qui a été à la base de la première réflexion de stratégie globale en 2003 : être entouré par un cercle d’amis !
Or la « PESC »3 ne peut pas être un rêve mais simplement un instrument pour défendre le mieux possible les intérêts communs vitaux des États-membres et de l’Union.
Pour cela nous avons des outils à notre disposition à différents niveaux, à Bruxelles comme dans les États-membres, « soft » et « hard power », la politique étrangère, celle du développement, mais aussi nos politiques nationales. Quand allons-nous voir émerger la bonne synthèse de ces politiques s’appuyant sur les atouts des acteurs européens, à Bruxelles comme dans les capitales ?
Ma simple réflexion, lors d’un séminaire, de charger l’Italie et la Pologne d’être les « leads nations » pour l’aide à la Tunisie, a été ressentie comme une hérésie ou une trahison. Pourquoi ?
Aujourd’hui, plus que jamais, un véritable renouveau pédagogique et politique me paraît vital pour trouver un modus vivendi constructif, voire une refonte, en mettant en exergue des priorités claires face :
- à l’Est : pour retrouver un partenariat stratégique avec la Russie et pour désamorcer ensemble avec elle les conflits en Géorgie, en Ukraine ou ailleurs ;
- au Sud-Est : au Moyen-Orient – à travers l’Iraq et la Syrie –, nous observons, à la suite du terrain laissé partiellement vacant par les États-Unis, une lutte d’influence entre la Turquie, l’Iran, l’Égypte et l’Arabie saoudite – sans oublier Israël –, et cela dans l’absence européenne et avec le retour de la Russie. Une situation plus que dangereuse, peut-être même mortelle pour l’Europe ;
- en Méditerranée : nous avons été séduits par un « printemps arabe » qui a mérité ce titre en premier lieu en Tunisie – aujourd’hui dans un état précaire –, laissée seule par l’Europe ! Nos erreurs face aux développements en Égypte n’ont pas été moindre…
Tout ceci est un extrait des problèmes vitaux qui se posent autour de nous, d’où la nécessité de l’élaboration d’une nouvelle politique de voisinage et de développement comme priorité des priorités, et, finalement d’une « roadmap » pour développer des pas concrets renforçant les mesures et actions par une mise en commun des éléments essentiels de la défense vers la réalisation d’une défense commune !
L’Europe et le citoyen
Ces fossés grandissants entre politique et citoyen, pouvoir et économie, entre le citoyen et une partie de l’économie, forment ensemble l’autre « réconciliation » nécessaire en Europe.
Certains parlent même d’une « crise de nos démocraties » et « d’une crise de l’impuissance » des États comme des citoyens. Une politique qui ne semble plus être en mesure de « contrôler » les domaines de ses compétences est certaine d’être rejetée par le citoyen.
Sans vouloir approfondir les raisons multiples de cette évolution, il est évident que cette crise porte une responsabilité particulière dans le retour aux égoïsmes nationaux, voire dans celui d’un populisme croissant.
L’Europe est appelée à écouter davantage le citoyen, à entrer dans un dialogue permanent – et surtout à présenter des solutions aux problèmes de fond, à se concentrer sur l’essentiel – nous n’avons pas besoin de plus d’Europe, mais d’une meilleure Europe !
Soyons conscients que les derniers succès européens qui ont touché le citoyen se situent dans un passé plutôt lointain : l’ouverture des frontières, Erasmus, le passeport européen et l’Euro !
Comment sortir de la crise profonde ? Quel programme de relance européenne ? Quand ? Qui ? Quoi ?
Un véritable « thriller » politique, avec un haut dosage de psychologie, se trouve devant nous ! Mais pas de panique, restons calmes et sereins, mettons-nous sérieusement au travail !
Cela commence avec la question du « Quand » ? Deux fenêtres d’opportunité sont ouvertes, soit de juillet à décembre 2016, soit fin 2017, c’est-à-dire avant ou après les élections françaises et allemandes, ou exprimé différemment, le risque entre « un peut-être trop timide » et un « trop tard ».
Le vote pour le Brexit a encore renforcé l’urgence d’une décision des Européens, appelés à assurer en parallèle leur propre futur, en rénovant l’intégration, et en même temps la future relation avec le Royaume-Uni.
Puis vient celle du « Qui » doit prendre en main cette résurrection ? C’est cette question éternelle qui intéresse presque plus que le fond : le binôme France-Allemagne comme d’habitude ? Certainement oui ! Plus la Pologne ? Ou les six Fondateurs ? Ou bien le président de la Commission et le président du Conseil européen ?
Le président du Parlement européen devrait faire l’effort de présenter une contre-proposition au nom du Parlement afin d’engager un véritable débat avec les États-membres au lieu de les pousser vers une nouvelle convention !
Et finalement le « Quoi » : quel devrait être le contenu d’une telle initiative ? Elle pourrait se fonder sur une série d’idées simples visant à :
- la consolidation et la pleine utilisation des moyens existants qui contiennent encore beaucoup de marges de manœuvre. Évitons, du moins pour les prochaines années, de nouveaux traités à soumettre à la ratification, voire à un référendum ! Les risques paraissent trop élevés actuellement ! ;
- la clarification des responsabilités et des cercles concernés ; l’objectif définit les moyens et les structures : un pas vers les parlements nationaux qui devrait se faire par la création d’une « chambre haute », un « Sénat », intégré dans le processus de décision dans certains domaines sensibles (Euro-Zone ; intérieur-justice ; politique internationale, sécurité extérieure) ;
- une concentration de l’UE sur l’essentiel, en prenant enfin la « subsidiarité » au sérieux par des mesures pratiques sur deux grands objectifs : d’une part plus d’efficacité et l’accent mis sur la solution des problèmes, et d’autre part le rétablissement de la confiance entre l’Europe et les citoyens ;
- en résumé – et j’espère que le lecteur me pardonnera ce réflexe allemand – une sorte de programme en dix points – lisible, compréhensible, réalisable – une feuille de route concrète de l’Union jusqu’en 2020 !
Un tel programme de relance devrait être concentré par conséquent, au-delà de la « consolidation de l’intégration » et de la « gouvernance », autour des trois axes suivants :
Intérieur et justice
L’accomplissement d’un agenda, déjà depuis vingt-cinq ans sur la table de négociation, allant d’un véritable Europol dans le domaine de la police, ainsi qu’une coopération systématique des services d’intelligence, à une protection efficace de nos frontières et à une politique commune en matière d’immigration, d’asile et de statut des étrangers !
Économie, finances, Euro, avec trois piliers particuliers :
- renforcement du Marché intérieur, en particulier l’économie numérique, l’énergie, l’innovation et la recherche appliquée, la formation et l’apprentissage ;
- relance économique : Énergie « 2020 » (programme marché et efficacité énergétique) ainsi que doublement du « Plan Juncker » ;
- consolidation de la zone Euro, en particulier examen et mise en œuvre d’un système de « concertation constructive » en matière de politique économique, financière et budgétaire ; finalisation de l’Union bancaire par étapes et harmonisation des bases fiscales pour les entreprises.
Politique extérieure et de sécurité
- refonte de la politique de voisinage « Est et Sud » et mise en œuvre d’une « nouvelle » politique de développement concertée ;
- développement d’une stratégie visant à mieux défendre les intérêts vitaux de l’UE à l’échelle internationale ;
- rapprochement progressif des politiques de défense d’ici 2020, plus un Livre blanc sur la défense européenne.
L’Objectif : « la survie de l’Europe » dans un monde globalisé
Notre Europe a un futur durable seulement si elle se concentre sur les moyens essentiels de sa survie (« Selbstbehauptung Europas », « self-assertion of Europe »4) dans un monde globalisé et en compétition ; c’est ce sujet-là qui devrait être notre leitmotiv commun, qui devrait nous réveiller et nous guider dans les années à venir !
Nous avons mille bonnes raisons d’être mécontents de nos politiques, du monde des affaires, des syndicats ou d’autres forces vives de nos sociétés. En même temps, nous avons également mille raisons d’être fiers de ce à quoi nous sommes arrivés en Europe – pas parfait, complexe, sub-optimal, toujours en compromis –, mais qui constitue un véritable succès depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la seule garantie réaliste de notre futur !
Ayons un peu plus de confiance en nous-mêmes, pensons à ce que d’autres pensent de nous, pensons au discours d’Obama à Hanovre, ou à celui du Pape François, ou encore à ce bloggeur chinois qui nous a révélé de manière très simple que, pour nos amis Chinois, l’Union européenne est à l’échelle mondiale le plus important projet de paix, de démocratie et de prospérité ! C’est à nous de le réaliser !
Joachim Bitterlich
Ancien ambassadeur, professeur (affilié) à l’ESCP Europe Paris, ancien conseiller européen, diplomatique et de sécurité du Chancelier Helmut Kohl
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- « Am deutschen Wesen soll die Welt genesen » : « le monde devrait être guéri suivant les recettes allemandes » ou encore « die deutsche heile Welt » : « l’Allemagne, un monde idéal », un avertissement ironique souvent utilisé par le Chancelier Kohl pour souligner l’ineptie de cette idée fausse très allemande selon laquelle le plus simple pour les partenaires serait de copier le modèle allemand pour mieux réussir ! « BesserWessi », expression des Allemands de l’Est pour caractériser l’Allemand de l’Ouest qui pense connaître tout mieux que l’Allemand de l’Est. « Gutmensch », expression que l’on trouve dans des débats sur les réserves des Allemands face à l’utilisation des forces militaires pour résoudre des conflits extérieurs : nombre d’Allemands pensent devoir mettre presque à tout prix l’accent sur une résolution pacifique. ↩
- Banque centrale européenne. ↩
- Politique Extérieure et de Sécurité Commune. ↩
- Affirmation de soi de l’Europe. ↩