Cofondateur du mouvement « Robes noires et gilets jaunes » comptant 26 000 membres, avocat par ailleurs de nombreux « gilets jaunes », Philippe de Veulle a été de tous les actes de mobilisation depuis le 17 novembre. Il revient pour la RPP sur l’acte 19 de ce samedi 23 mars tout en dénonçant « la posture répressive du régime » qui, à ses yeux, refuse d’entendre la contestation et prend le risque de saper ainsi les institutions de la Ve République.
Arnaud Benedetti – Quel bilan tirez-vous de l’acte 19 concernant les chiffres de la mobilisation annoncés par le ministère de l’Intérieur ? Considérez-vous par ailleurs qu’il y a sujet à discussion sur l’usage de ces chiffres week-end après week-end par le gouvernement ?
Philippe de Veulle – Les chiffres du ministère de l’Intérieur sont toujours à prendre avec précaution, car ils sont constamment présentés à l’avantage de la politique du gouvernement qui veut, évidemment, minimiser l’ampleur du mouvement de cette contestation sociale et politique, sans précédent sous la Ve République. Et c’est de bonne guerre. Remettons dans le contexte la stratégie du ministre de l’Intérieur dans sa conduite depuis le 17 novembre dernier. Le gouvernement pensait que ce n’était qu’une réaction passagère de mécontentement. Et puis, il y a eu la surprise de l’ampleur de la contestation et le mépris total du président de la République à l’égard de ce phénomène populaire. Ce qui a précipité les actes suivants dans une montée de mobilisation et de colère. La réponse du ministre de l’Intérieur a été immédiatement la violence policière et la répression par les DAR et les gardes à vue abusives. Ces violences policières, encouragées au plus haut niveau gouvernemental, laissant les casseurs salir l’image de la contestation populaire, ont été croissantes et passées sous silence par l’ensemble des médias nationaux.
A chaque acte, Beauvau indique que le mouvement est en baisse au niveau national, puis se fait ridiculiser comme ce fut le cas à l’acte 18.
Il faut se résoudre à plus de prudence concernant les chiffres annoncés, alors que ce mouvement reste très largement soutenu par une grande partie de la population française avec 55 % d’opinions favorables selon un sondage récent.
Arnaud Benedetti – Le gouvernement a voulu montrer, notamment avec la nomination d’un nouveau préfet de police à paris, qu’il n’entendait plus se laisser déborder par les casseurs et assurer ainsi une meilleure coordination du maintien de l’ordre. Après cet acte 19, estimez-vous que le contrôle a été plus efficient ?
Philippe de Veulle – L’acte 19, s’est plutôt bien passé dans son ensemble à Paris, sous le commandement du nouveau préfet Lallement. Bien que les effets d’annonce du gouvernement de l’emploi des forces sentinelles dans le dispositif étaient tout à fait inopportuns et disproportionnés, les Forces de l’ordre ont été correctes, et n’étaient pas casquées, donc pas en mode de passer à l’action.
Toutefois, on a pu observer une recrudescence des verbalisations pour le port de tee-shirts encourageants le RIC, à hauteur de 135 €, ce qui semble tout à fait ridicule et illicite, car il n’y a là aucun caractère illégal.
C’est encore une marque de faiblesse du gouvernement, qui a beaucoup de mal à contenir cette contestation populaire très profonde.
Arnaud Benedetti – Ne craignez-vous pas que le soutien de l’opinion ne s’infléchisse du fait de la longévité de la mobilisation et des violences ? Ne réfléchissez-vous pas à d’autres modes d’actions ?
Philippe de Veulle – Il est possible qu’une certaine lassitude s’installe au fil du temps. Mais il faut rester prudent. Les violences sur les Champs Elysées lors de l’acte 18 ont impressionné beaucoup de Français, mais le soutien, reste très fort.
Contrairement à ce qu’a annoncé le President, ce n’était pas la République qui était visée, mais les symboles de l’économie et de la finance mondialistes, lesquels bénéficient de tous les avantages et les privilèges politiques et fiscaux, alors que l’ensemble du peuple qui travaille ou des retraités sont pressurés de charges et de taxes. Cette dichotomie extrême n’est plus acceptable par le peuple et les « gilets jaunes » sont devenus fers de lance de cette dénonciation. Cela n’excuse pas, évidemment les violences, mais celles-ci en sont une conséquence politique.
Aussi les « gilets jaunes » ont initié un nouveau mode opératoire que l’on nomme les OPS (Opérations spéciales « gilets jaunes », que l’on nomme aussi « Mobflash ») qui se veut complètement pacifique et festif.
Il s’agit de se rendre aux sièges sociaux ou sur les points de vente des multinationales pour poser des questions sur l’aspect moral de l’optimisation fiscale, dont ces groupes bénéficient. On a agi auprès de Facebook pour savoir pourquoi tant de comptes « gilets jaunes » ont été fermés, de Starbucks sur la question de l’optimisation fiscale, d’ADP contre la privatisation de ce bijou national, ainsi qu’Apple encore sur la question de l’optimisation fiscale… Beaucoup d’opérations de cet ordre sont à prévoir au niveau national.
Facebook recevra une délégation officiellement début avril pour répondre aux questions posées…
Arnaud Benedetti – Sur un plan policier et judiciaire, en tant qu’avocat, considérez-vous que le pouvoir, au nom de l’impératif de l’ordre public, initie une politique de grignotage des libertés publiques ?
Philippe de Veulle – Grignotage est un faible mot. Il s’agit d’une coupure de nos droits fondamentaux depuis les brutalités policières, les privations de liberté et surtout depuis la circulaire du 22 novembre 2018, signée par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet.
Cette circulaire viole la séparation des pouvoirs en toute flagrance. Des directives donnent des instructions aux procureurs de la République, aux procureurs généraux et aux présidents des TGI, indiquant qu’il faut une justice adaptée et rapide concernant les « gilets jaunes ». C’est une violation de l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en préambule de notre Constitution. « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Cette posture répressive politique du régime risque de faire s’effondrer le système constitutionnel de la Ve République.
Qu’on le veuille ou non, le pouvoir devra rendre des comptes un jour. Mais il semble qu’une prolongation d’une telle situation risque de nous plonger dans une situation inextricable et irréversible. Sauf, si par extraordinaire une solution politique réelle et immédiate soit offerte par le gouvernement.
Arnaud Benedetti – Aujourd’hui, quelle est, selon vous, l’issue politique pour sortir de cette crise ?
Philippe de Veulle – Ce qui manque à ce gouvernement et à ce mandat présidentiel, ce sont de la culture historique, de la mise en question, de la compassion et de la prise de hauteur. Tout est dans le double langage. On parle des questions légitimes des « gilets jaunes ». Et l’on répond par un grand débat, qui est entièrement encadré par le président de la République, alors que les violences policières, la répression judiciaire et la violence sociale frappent toujours les « gilets jaunes ». Très difficile d’être crédible pour le président de la République, dans ces conditions.
Sous la Ve République, le général de Gaulle, bien que surpris par les événements de mai 1968 qui étaient menés par des étudiants du quartier latin et soutenus par le monde ouvrier et syndical, avait apporté une réponse politique de grande ampleur. Les accords de Grenelle, pilotés par Georges Pompidou, alors Premier ministre, ont offert une solution négociée et apaisante, par l’octroi d’avancées sociales et salariales.
Il ne tient qu’au gouvernement de réviser la méthodologie de traitement politique par le passé.
Peut-être y trouvera-t-il les solutions ? L’attente est très grande, car il y a une demande sociale et fiscale ainsi qu’un profond désir de davantage de démocratie directe (RIC), sans précédent…
Philippe de Veulle
Avocat
Cofondateur du mouvement « Robes noires et gilets jaunes »