Les évènements tragiques en ce début du XXIe siècle nous interpellent indubitablement et posent l’éternel problème du sens de l’Histoire. Un retour historique sur les grands enjeux internationaux entre pôles de puissance, coalitions, crises et conflits, contribue à mieux appréhender le chaos qui sévit sur l’échiquier mondial.C’est à cette tâche complexe et subtile que s’est attaché Charles Zorgbibe, auteur de nombreux ouvrages de droit public, de biographies et d’essais historiques.
Dans son dernier livre, il décrypte le grand jeu international et ses conséquences depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’apparition de l’arme nucléaire, une arme qui met « l’humanité en possession de sa propre mort ».
L’analyse percutante des évènements des soixante-quinze dernières années est ponctuée par des repères majeurs : 1945 et la naissance d’un monde bipolaire, 1989 et la disparition de la bipolarité du monde, sa recomposition en multipolarité et enfin 2001 ou le « huis-clos planétaire ». Les faits sont observés dans leurs multiples dimensions historiques, socio-économiques et géopolitiques.
L’écrivain aborde en premier les conséquences du second conflit mondial qui s’achève le 8 mai 1945 en Europe avec la capitulation du IIIe Reich, et le 14 août en Extrême-Orient avec celle du Japon. Les moyens militaires mis en œuvre par ce conflit sont l’objet de révolutions techniques successives notamment avec l’apparition de l’arme atomique qui constitue une véritable mutation dans l’histoire du monde. Désormais, sous la menace nucléaire, l’humanité sera chaque jour « à la veille de la fin des temps ».
Dans ce contexte dramatique, le clivage Est/Ouest s’impose. L’ordre de Yalta s’affirme avec la formation de deux « blocs », de deux grandes coalitions autour des deux pôles de puissance qui auront la responsabilité de l’organisation de la paix. Ces deux puissances dont Tocqueville avait prédit l’essor et qui, de par l’ importance de leur population, l’étendue de leur territoire, leur unité politique, leur potentiel économique et militaire, semblent seules en mesure d’exercer une influence décisive sur les évènements : les États-Unis d’Amérique et la Russie soviétique.
En 1989, l’ordre bipolaire finit par s’éroder : « cynisme et scepticisme ont envahi le monde communiste et les démocraties libérales. En Occident, c’est « l’ère des convictions éphémères » écrit Charles Zorgbibe, « dans une société caractérisée par la montée de la technologie et de l’informatique, les croyances institutionnalisées apparaissent sans rapport avec la réalité ». À la crise des alliances s’ajoute la crise des régimes communistes européens : la ferveur révolutionnaire de la première période est remplacée progressivement par le souci de l’efficacité économique. Avec l’arrivée d’un réformateur au pouvoir à Moscou, Mikhaël Gorbatchev en mars 1985 et sa « nouvelle pensée » politique et diplomatique, la libération générale des peuples Est-européen s’avérait possible. Les révolutions européennes des pays de l’Est en 1989 se multiplient. Un nouvel ordre international se pointe, une communauté internationale fondée sur les droits de l’homme semble émerger et rejoindre l’utopie de l’État de droit chère à Kant. Mais l’Histoire est loin d’être un long fleuve tranquille : « le tissu Est-européen est déchiré de toutes parts par la découverte d’intérêts nationaux contradictoires, d’héritages historiques distincts, d’identités ethniques ou linguistiques ignorées par le communisme » précise l’auteur qui décrit l’après-guerre froide au sein du monde (1990-2001) dans ses multiples tentacules. Il explique par la suite, avec circonspection, les enjeux de la guerre pour la libération du Koweit, les problèmes israélo-palestiniens et les « reconnaissances croisées d’Oslo ».
Au-delà du Proche-Orient, il aborde l’Asie centrale, longtemps figée à l’ombre de l’Union Soviétique qui vit un « double paradoxe : l’Afghanistan, un État-tampon né au XVIIIe siècle, qui échappa à toutes les tentatives de colonisation, court le risque, une fois libéré de l’occupation militaire soviétique, de s’effriter entre des ethnies rivales ; les républiques « musulmanes » issues de l’ancienne URSS qu’on imaginait des créations artificielles, de simples entités « administratives » imaginées par Moscou […] s’avèrent constituer des robustes États-nations, avec leurs diverses personnalités », souligne Charles Zorgbibe. Parallèlement, « le grand vent des tensions Est-Ouest avait atteint le continent africain… une Afrique démocratisée… et marginalisée ».
Ce faisant, ne s’était-il pas produit subrepticement une mutation de l’ordre multipolaire au désordre international, rendant la menace de plus en plus imprévisible et indiscernable ? La menace est effectivement tellement imprévisible que l’attaque du 11 septembre 2001 a frappé de stupeur les hommes de l’ère planétaire. L’auteur se penche alors sur les conséquences de cet évènement tragique citant Jean-René Dupuy « des avions de ligne transformés en missiles, les bâtiments symboles de la puissance américaine disparaissant dans les flammes – une guerre civile aux dimensions du monde semble déclenchée. Le « village universel » n’est plus une utopie, il s’est inscrit dans l’Histoire – mais il est devenu « l’enclos planétaire », « le huis clos planétaire » caractérisé par une proximité des nations, des communautés, des organisations qui multiplient entre elles les crises et les conflits ». Sur toile de fond de la guerre civile mondiale, symbolisée par l’attaque du 11 septembre, les controverses politiques, le combat pour la puissance se poursuivent.
Avec ce nouveau livre, Charles Zorgbibe, par son analyse claire et lucide, déblaie le labyrinthe de l’Histoire. Son examen des faits, confronté aux théories des philosophes de l’histoire, des politologues et sociologues et appuyé par une multitude de références (25 pages), confère à l’ouvrage une valeur pédagogique et scientifique incontestable qui le met à la portée non seulement de lecteurs avertis mais également du grand public.
Une histoire du monde depuis 1945
Charles Zorgbibe
Editions de Fallois, 2017
428 p. – 24 €