L’idée d’augmenter le taux de la TVA pour en affecter la recette correspondante au financement de la protection sociale fait sortir les calculettes des comptables publics qui, sérieux et soucieux de la trajectoire des finances publiques, calculent de combien il faut l’augmenter pour que ce surplus de TVA compense les baisses de cotisations sociales. Des économistes interrogent savamment l’élasticité de la consommation à la taxe à la consommation qu’est la TVA. D’autres experts nous rappellent, virulents, que la TVA est un « impôt » injuste parce que tout le monde la paye au même taux et qu’elle est donc anti-redistributive. C’est ce dernier argument qui est le bon et rend l’idée de « TVA sociale » intéressante. Il sera temps de voir, ex-post, si les calculs sont bons et si l’élasticité est … inélastique !
Une TVA sociale universelle pour financer une protection sociale elle-même universelle ce n’est pas une mauvaise idée. Peut-être même faut-il voir dans ces points supplémentaires de TVA l’impôt fédérateur, créateur de lien social, qui nous manque : un impôt universel pour participer tous ensemble à la protection sociale de chacun c’est le solidarisme 2.0! Une TVA sociale serait même un impôt moral, en ces temps de nécessaire sobriété, puisqu’elle pourrait participer à freiner nos élans consuméristes (et une moindre consommation expliquerait alors l’erreur des comptables publics et mettrait en valeur l’expertise des économistes des Think tanks).
Il faudrait, pour accompagner cet heureux mouvement fiscalo-social, que cette augmentation de la TVA soit « fléchée » vers le financement de la protection sociale et que ces points supplémentaires de TVA soient compensés par la baisse effective des cotisations sociales.
La question est, à ce stade, subsidiaire.
Le caractère fédérateur créateur de lien social, le caractère moral et le fléchage de cette TVA sociale étant ainsi révélés, indéniables et assurés, aurait-elle des inconvénients ?
La fin du travail source du financement du social doit être vue comme une bonne chose. Il y a bien longtemps que les cotisations sociales sur le travail ne sont plus considérées comme constitutives de droits sociaux mais comme des charges. Il y a bien longtemps que l’on ne sait plus que les prestations sociales sont pour certaines des prestations d’assurance et que d’autres sont des prestations de solidarité. Il n’est donc que temps que le cadre fiscalo-institutionnel s’adapte au niveau de compréhension qui fait du travail une chose subsidiaire. La TVA sociale participera à cette grande simplification en socialisant la protection sociale et, surtout, en la simplifiant par la disparition des assurances sociales au bénéfice de la seule solidarité. La TVA sociale donnera tout son sens au travail : fin de l’archaïsme qui nous dit que le travail est émancipateur et contribue à l’insertion de l’individu dans la société et autres arguments d’un autre âge. Avec la TVA sociale le sens du travail n’a qu’un sens : celui de la proximité entre le « brut » et le « net ». Pour donner ce sens au travail la solution est évidente il suffit d’alléger les « charges sociales » et pour qu’il est son plein sens il faut les supprimer. La solution de transformer ces « charges » en impôt à la consommation est donc une évolution sociétale majeure : elle purge le travail, et le travailleur, de tout lien avec le « social » pour affirmer son lien à la consommation.
Fin du travailleur- assuré social, bienvenue au consommateur-assisté !
Le lien ne se fait plus entre travail et droits sociaux mais entre consommation et assistance sociale ! Avec la TVA sociale, impôt universel non progressif, la consommation finance la Santé, la Famille, les retraites : le smartphone finance le social … vivement les prochaines évolutions techniques et sophistications technologiques qui le rendront plus cher afin qu’il rapporte plus de TVA sociale !
Il y a mieux encore à attendre de la TVA sociale. La fiche de paye allégée des cotisations sociales c’est moins de fraude sociale, c’est le circuit des URSSAF qui s’assèche au profit de celui du Trésor. Outre ses vertus socio-fiscalo-fédératrices la TVA sociale est aussi une source d’économies par la simplification des canaux et structures fiscalo-socio-administratives. Autre apport de la TVA sociale, celui de finir de vider de tout sens la gestion paritaire : l’État s’occupe de tout. Il reste à la rendre vraiment systémique en modulant son taux selon que le produit est bon ou mauvais pour la Santé, la natalité, la planète et autres impératifs de transition. Avec l’IA le consommateur pourrait même être scoré selon sa « bonne » ou « mauvaise » consommation par une Haute Instance qui joindrait le Conseil des prélèvements obligatoire, la Haute autorité de santé et 60 millions de consommateurs. Utopie ? Laissons les choses se faire…
Mais, tout cela est du deuxième ordre au regard de ce qu’est d’abord la TVA sociale, un impôt universel auquel chacun participe selon ses moyens (de consommateur) et bénéficie selon ses besoins, il faut, là, citer précisément la référence :« De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins », c’est de Louis Blanc, repris par Marx. Ce n’est pas rien ! De chacun selon ses moyens disait Louis Blanc qui ne percevait certainement pas qu’au stade le plus avancé du capitalisme les plus riches, gros consommateurs, seraient les premiers financeurs de l’assistance ! La TVA sociale serait comme un « service social censitaire » (plus facile et moins coûteux à mettre en œuvre qu’un « service national »). La prochaine étape dans la ligne de Louis Blanc sera-t-elle celle des ateliers nationaux ?
Il n’y a donc rien de mauvais, bien au contraire, dans la TVA sociale.
On pourrait s’inquiéter et faire le tatillon en regrettant ceci ou cela mais ce serait s’accrocher à de vieilles lunes et craindre le « monde d’après », la nation en mode start-up : les totems du CNR n’ont plus de racines, il faut finir de les abattre.
Le lecteur ne sera pas trompé par le ton badin de ce billet, la TVA sociale substituée aux cotisations sociales est une révolution. Davantage qu’un financement de la protection sociale, un pari sur un gain de pouvoir d’achat du salaire et sur l’emploi, le financement du « social » par la consommation est un vecteur de transformation de l’économie qui ouvre la voie à une « économie de supermarché » et aux emplois de services.
Michel Monier