Une bonne communication fait partie de la politique étrangère : sans bonne communication, pas de bonne politique étrangère. Le Président Trump le sait, ses tweets font partie intégrante de sa politique. Il annonce à l’avance ce qu’il compte faire. Cela a-t-il toujours été le cas ?
La communication a longtemps été méprisée car la diplomatie était alors une diplomatie secrète : des émissaires préparaient les traités internationaux, les dépêches étaient chiffrées pour ne pas être interceptées, et d’ailleurs le temps du « chiffrement » puis du « déchiffrement » de ces textes comptait particulièrement. On pouvait même « doubler » la diplomatie officielle par une diplomatie parallèle et donc secrète : tel fut le « Secret du Roi » sous Louis XV : le Roi doublait ses ambassadeurs par 32 émissaires personnels qui jouaient le rôle de négociateurs royaux.
Mais faire comprendre à son partenaire où l’on veut arriver, l’envoyer vers de fausses pistes, et aujourd’hui, surtout, prendre à témoin les opinions publiques et les convaincre, fait partie du « jeu diplomatique ».
On peut annoncer ses actions à l’avance, mettre en garde l’adversaire ou encore faire passer de subtils messages que les initiés comprendront.
Un des premiers exemples – exemple magistral – de mon point de vue, de l’utilisation de l’instrument de communication fut certainement la « dépêche d’Ems » : alors que la France avait obtenu de fait la renonciation au trône d’Espagne par un Hohenzollern, l’ambassadeur de France à Berlin, le comte Benedetti, est chargé par son ministre à Paris, le 13 juillet 1870, de demander solennellement au gouvernement prussien une confirmation de cette renonciation au trône espagnol « à tout jamais ». L’ambassadeur s’acquitte alors de cette démarche ingrate, à Ems où le roi Guillaume 1er de Prusse prend les eaux. L’ambassadeur agace ce dernier alors que le roi se promenait, par son insistance sur ce dossier espagnol. Bismarck, chancelier prussien, qui recherche la guerre avec la France de Napoléon III afin d’unifier l’Allemagne autour de la Prusse, rédige alors à l’attention des ambassades étrangères une dépêche, volontairement tronquée et biaisée, reprise par toutes les agences de presse et soulignant que « le roi de Prusse avait fait savoir par un aide de camp qu’il ne recevrait plus le comte Benedetti ». La rédaction de la dépêche était volontairement insultante pour l’ambassadeur qui semblait avoir été congédié par le roi. La dépêche d’Ems avait atteint son objectif et Bismarck, dit-on, l’avait relue devant les généraux allemands Molkte, chef d’État-major, et Roon, ministre de la Guerre : elle ferait « l’effet du chiffon rouge sur le taureau gaulois » leur dit-il. L’opinion publique française et les chambres du Parlement, indignées par le traitement méprisant réservé à l’ambassadeur français, réclament alors la guerre à la Prusse.
La France est tombée dans le piège tendu par Bismarck. Ce sera donc, en juillet 1870, la première guerre franco-allemande et la chute de l’Empire.
On trouve d’autres exemples dans lesquels la « parole publique », le commentaire, éventuellement la transformation intentionnelle des faits suffisent à faire connaître les véritables intentions diplomatiques.
En juillet 1914, l’ultimatum envoyé par le gouvernement austro-hongrois à la Serbie, après l’assassinat à Sarajevo de l’archiduc François-Ferdinand, fut à la fois dur dans son expression et adressé volontairement au moment même où le Président français, Raymond Poincaré, et son ministre des Affaires étrangères embarquaient pour une semaine de traversée en mer du Nord, au retour de Saint-Pétersbourg : d’un côté, un ultimatum rendu public, de l’autre, une communication rendue impossible par un voyage en mer !
Hitler évidemment savait manier la communication et annonçait à l’avance, au cours des différents congrès de Nuremberg, ses véritables intentions : la récupération de la rive gauche du Rhin, l’Anschluss, l’annexion des Sudètes, la récupération du corridor de Dantzig. Les chancelleries étrangères étaient averties. La communication servait l’offensive et plaçait les gouvernements étrangers sur la défensive.
On dit souvent que les ministères des Affaires étrangères sont les « ministères de la parole » : d’une certaine façon, rien n’est plus juste, car la parole, le choix et la précision des mots sont quasiment la seule arme des ministres. Les ministres ou leurs porte- paroles peuvent au choix utiliser la « langue de bois » (de « l’eau tiède » ) ou au contraire expliquer. Dans ce dernier cas, le choix des mots compte. Quand Mme Alliot- Marie dit au moment du « printemps tunisien » en 2011 que « la France va envoyer au Président tunisien son savoir-faire policier»,cette phrase (qui vaudra sa place à la ministre d’alors) est interprétée comme un soutien français à la répression policière tunisienne, alors que tel n’était sans doute pas l’intention de la ministre française. Lorsque, en février 2017, le candidat Macron déclare à Alger que « la colonisation est un crime contre l’humanité », les termes lui valent applaudissements à Alger, stupéfaction à Paris.
Mais Emmanuel Macron n’était que candidat et non Président.
Le choix des mots a en effet une importance capitale. Il peut servir à masquer des différences subtiles.La Résolution 242 des Nations unies votée le 22 novembre 1967 en est un parfait exemple puisque l’interprétation donnée des deux textes, anglais et français, – le français comme l’anglais étant langues officielles à l’ONU – est légèrement différente : le texte français prévoit le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit » tandis que le texte anglais mentionne « withdrawal of Israel armed forces from territories occupied in the recent conflict ». Pour simplifier, le texte français parle « des » territoires occupés, tandis que la version anglaise parle « de » territoires occupés. Ambiguïté voulue, mais lourde de conséquences ?
Le Général de Gaulle, plus que d’autres, utilisait magistralement l’arme des mots pour appuyer sa diplomatie. Le Général avait d’ailleurs commencé en juin 1958 par son ambigu « je vous ai compris » prononcé à Alger où chacun pouvait comprendre ce qu’il voulait dans cette phrase.
On se souvient de la conférence de presse du 15 mai 1962, au cours de laquelle le Général prononce à propos de l’Europe d’alors, le Marché commun, une de ses formules restée célèbre : « Dante, Goethe, Chateaubriand, appartiennent à toute l’Europe dans la mesure où ils étaient respectivement et éminemment Italien, Allemand et Français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé, écrit en quelque espéranto ou volapük intégrés… ».
Outrés, les ministres centristes (MRP) démissionnent le lendemain.
Le 27 novembre 1967, lors d’une conférence de presse à l’Élysée, le Général, dans le contexte de la récente « guerre des Six Jours » entre Israël et ses voisins arabes, prononce une phrase qui à l’époque fit couler beaucoup d’encre, bien qu’elle ne fut pas relevée sur le moment : « Certains même redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis 19 siècles : l’an prochain à Jérusalem » sur le « peuple juif, peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ».
Phrase passée inaperçue mais qui valut au Chef de l’État d’être accusé d’antisémitisme par une partie de l’opinion publique.
Il y eut aussi le choix délibéré à Montréal en juillet 1967 des mots choisis « Vive le Québec, vive le Canada français, vive le Québec libre » qui allait provoquer une quasi rupture avec le Canada et obliger à réguler par la suite le minutieux protocole
pour les visites officielles françaises au Canada.
Une certaine forme de mise en scène peut enfin contribuer à affirmer une action diplomatique : on se souvient de la table longue de plusieurs mètres disposée entre les Présidents Poutine et Macron en janvier 2022 ; de même qu’on se souvient aussi de la conversation entre les deux Chefs d’État filmée et projetée à la télévision par l’Élysée. Le message politique était évident derrière cette mise en scène plutôt ridicule et d’ailleurs peu appréciée à Moscou.
Le choix des mots, leur utilisation, la mise en scène de ces mots sont donc aussi importants que l’action diplomatique elle- même.
Xavier Driencourt
Diplomate Ancien Ambassadeur de France en Algérie et en Malaisie