Il est enfermé. Le corps, pas l’esprit. La cellule, pas la langue. Le régime a cru qu’en le faisant taire, il allait faire oublier son nom. Erreur. Boualem Sansal, depuis sa prison, nous regarde, nous interroge, nous renvoie notre image, et ce n’est pas beau à voir.
C’est une image de résignation. Une image de peur. Une image de trahison.
L’Algérie de 2025 n’est plus qu’une vaste salle d’attente pour les lâches. On attend le mot d’ordre du pouvoir, on attend la ligne officielle, on attend la permission de respirer. On attend, pendant que les meilleurs d’entre nous tombent.
Boualem Sansal n’est pas un écrivain franco-algérien. Il est bien plus. Il est une conscience universelle, une vigie, un franc-tireur, un incorruptible. Il est de ceux que les dictatures redoutent parce qu’ils ne négocient jamais leur vérité. Sansal ne plie pas.
Il ne compose pas. Il écrit, et c’est déjà trop.
Alors ils l’ont enfermé.
Mais ce n’est pas seulement le régime algérien que je vise ici. Ce serait trop facile. Le plus insupportable, c’est le silence occidental. La mollesse des chancelleries. L’indifférence des salons littéraires comme le Maghreb des livres. Le mutisme des « amis » de la liberté quand elle n’est pas assez « exotique » ou « commerciale ».
Je ne supporte plus qu’on célèbre George Orwell ou Boris Pasternak, et qu’on laisse crever Boualem Sansal dans une cellule.
Je ne supporte plus qu’on prétende défendre la liberté d’expression, et qu’on oublie que la littérature en langue française est aujourd’hui censurée au cœur de l’Algérie.
Je ne supporte plus les stratèges de la prudence, les « ne faisons pas trop de vagues », les « ce n’est pas le bon moment », les « on tente une solution diplomatique » pendant que la dignité humaine se meurt dans une prison.
Je ne supporte plus la complaisance islamogauchiste qui voit dans Boualem Sansal un traître, un « arabe de service », un intellectuel vendu à l’Occident — alors qu’il est tout simplement un homme libre. Trop libre pour les intégristes. Trop lucide pour les bien-pensants. Trop courageux pour les tièdes.
Boualem Sansal a dit non. Non à l’islamisme, non à la dictature, non à la corruption, non à la haine. Il l’a dit dans ses romans, dans ses essais, dans ses interviews. Il l’a dit sans gilet pare-balles, sans bunker, sans comité de sécurité.
Et ceux qui aujourd’hui parlent de « nuancer », de « contextualiser », de « comprendre les équilibres locaux »sont les mêmes qui regardaient ailleurs quand les écrivains soviétiques disparaissaient dans les goulags.
Ce qui se joue avec Boualem Sansal, ce n’est pas seulement le sort d’un homme. C’est notre propre rapport à la vérité. C’est notre capacité à nommer le mal, même quand il porte un drapeau ami. C’est notre courage, ou notre lâcheté.
Je veux qu’on dise les choses clairement : la République algérienne est devenue une dictature cléricale.
Elle ne supporte plus la moindre critique. Elle sacralise le dogme. Elle persécute les libres penseurs. Elle humilie son peuple.
Et la France, cette France qui se dit patrie des droits de l’homme, ferme les yeux.
Elle baisse la tête.
Elle s’inquiète de ne pas froisser Alger.
Mais moi, je ne suis pas diplomate. Je suis écrivain. Et je dis ce que tant n’osent plus dire : Boualem Sansal doit être libéré. Maintenant. Immédiatement. Sans conditions. C’est une exigence morale. Un principe non négociable.
S’il reste en prison, c’est une part de nous qui est enchaînée.
Chaque jour passé sans sa libération est une tache de honte sur nos drapeaux, nos institutions, nos consciences.
Et si demain, par malheur, Boualem Sansal venait à disparaître derrière les barreaux, il ne faudra pas venir pleurer à son enterrement. Il ne faudra pas oser publier des hommages hypocrites. Il ne faudra pas pleurnicher sur « la perte d’un grand écrivain ».
Car nous sommes en train de le perdre. Maintenant. Vivant.
Et c’est maintenant qu’il faut hurler. Pas après.
Kamel Bencheikh