Dans l’histoire contemporaine de la France, le boulangisme et le poujadisme sont deux mouvements emblématiques de la fin du XIXe siècle et du milieu du XXe siècle. Tous deux illustrent comment, dans des périodes d’instabilité politique et de crise sociale, des courants populaires portés par des hommes charismatiques, peuvent émerger et attaquer de front les institutions républicaines, sans pour autant parvenir à s’institutionnaliser définitivement. Certaines ressemblances avec la situation politique française actuelle peuvent être faites…
Boulanger : « l’autre général »
Ce mouvement doit on nom à Georges Boulanger, ministre de la Guerre de la jeune Troisième République au milieu des années 1880[1]. Très populaire auprès de la troupe, dont il améliore les conditions matérielles, il est doté d’une apparence flatteuse dont il sait jouer. Surtout, son habileté à se servir de la presse lui vaut une grande popularité, dans une France toujours marquée par le désastre de 1870. Il se présente comme un homme providentiel capable de restaurer la grandeur de la France, ce qui lui vaut le surnom de « général revanche » ou de « Brave général ».
Si Boulanger est un adepte de ce que nous appellerions aujourd’hui une rhétorique « anti système », son programme est pourtant très flou, tenant en trois mots « Dissolution, Constituante, Révision ». Peu importe à l’opinion, dont un large éventail de catégories sociales allant des monarchistes aux républicains déçus se rallient à lui. Il est élu député dans plusieurs circonscriptions, en province comme à Paris, le code électoral de l’époque autorisant les candidatures multiples.
En 1889, le mouvement est alors à son apogée, la République vacille, l’Elysée est à portée de main… C’est le moment où le boulangisme se heurte à ses propres contradictions. Sans doute effrayé lui-même par le mouvement qu’il a lancé, et sous la menace d’une arrestation, le général s’enfuit à Bruxelles où il se suicidera en avril 1891, sur la tombe de sa maitresse.
Une fin peu glorieuse, qui lui vaudra cette épitaphe, ô combien cruelle de Georges Clémenceau, « il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant ».
Le poujadisme ou la revanche des « petits »
Le poujadisme, du nom de Pierre Poujade[2], apparaît dans les années 1950 dans un contexte de modernisation économique d’une France qui se transforme au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Ce mouvement trouve son origine dans les régions rurales et semi-rurales[3], où les petits commerçants et artisans se sentent menacés par les grandes entreprises et les contrôles fiscaux.
Poujade entend lutter contre les « excès » et la « dictature » du Trésor Public avec la fondation de l’Union de la Défense des Commerçants et Artisans qui, parti du Lot, attire un nombre toujours croissant de sympathisants au niveau national. Son discours est lui aussi opposé à « l’étatisme des technocrates, la complaisance des notables, la servilité des responsables syndicaux ». En 1955, dans un meeting parisien, et devant près de 200 000 personnes, Poujade s’en prend à la fiscalité, aux profiteurs, aux intellectuels, lui le modeste papetier, défenseur d’une France laborieuse, méprisée par les élites. Un message qui trouve un écho dans une société française en pleine transformation, mais aux prises avec les guerres coloniales, où beaucoup ressentent une perte de repères.
Les élections législatives de 1956 consacrent le succès électoral du poujadisme avec deux millions de voix et 52 sièges à l’Assemblée nationale. Une assemblée contestataire dans laquelle siège pour la première fois un certain Jean-Marie Le Pen…
Mais, tout comme le boulangisme, le poujadisme ne survit pas à ses contradictions internes, et va disparaitre rapidement, emporté par la chute de la Quatrième République.i
Gate-keeper efficace
Chaque chose étant égale par ailleurs, le parallèle de ces deux mouvements populistes avec ceux d’aujourd’hui peut être fait. Le populisme rassemble les voix des « sans voix » mais à du mal à s’installer au sein des institutions qui jouent le rôle de « gate-keeper » en leur barrant la route, au risque d’une auto-élimination ? Les épisodes de la suite de la dissolution nous le diront à plus ou moins brève échéance.
Dr Bertrand Augé,
Docteur en Histoire,
Professeur éklore-ed School of Management.
Dr Frédéric Dosquet,
Docteur en Sciences de Gestion,
Directeur de thèses (Hdr),
Professeur éklore-ed School of Management,
Auteur de Marketing et communication politique, EMS, 3eme édition.
[1] GARRIGUES Jean, « 21. Le boulangisme comme mouvement social, ou les ambiguïtés d’un social-populisme », dans : Michel Pigenet éd., Histoire des mouvements sociaux en France. De 1814 à nos jours. Paris, La Découverte, « Poche / Sciences humaines et sociales », 2014, p. 238-248. DOI : 10.3917/dec.pigen.2014.01.0238. URL : https://www.cairn.info/histoire-des-mouvements-sociaux-en-france–9782707169853-page-238.htm
[2] SOUILLAC Romain, Le mouvement Poujade. De la défense professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962). Presses de Sciences Po, « Académique », 2007, ISBN : 9782724610062. DOI : 10.3917/scpo.souil.2007.01. URL : https://www.cairn.info/le-mouvement-poujade–9782724610062.htm
[3] CRESPIN Cyril, « Le poujadisme en Normandie : un mouvement éphémère », Annales de Normandie, 2017/1 (67e année), p. 93-115. DOI : 10.3917/annor.671.0093. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-de-normandie-2017-1-page-93.htm