Comment interpréter les stratégies déconcertantes du Premier ministre et du Président, visant tour à tour à dissoudre (art. 12 utilisé en juin 2024), puis à poser une question de confiance (art. 49.1 utilisé en sept. 2025) ? Ne fragilisent-elles pas, en même temps qu’un ordre politique déjà très précaire, une stabilité institutionnelle déclinante ?
Résumons l’équation posée dans les cas de la dissolution d’il y a un an, puis de la question de confiance actuelle : les conditions d’adoption d’un budget s’annoncent négatives. Une conjonction des oppositions gagne en probabilité pour voter une censure. Si M. Barnier tombe sur les comptes de la sécurité sociale, F. Bayrou risque de chuter via le 49.1 et non le 49.3 – c’est-à-dire à son initiative, après engagement de responsabilité budgétaire visant un plan d’économies de 44 Mds, refusé par le RN et les gauches puis une partie de LR.
Stratégies à contretemps et à contre-emploi
Ces faits rappelés, peut être énoncée l’hypothèse suivante : celle d’une logique institutionnelle (donc descendante) présidant aux décisions des acteurs exécutifs, mais activée à contretemps, voire à contre-emploi. S’il n’avait eu lieu trop tôt, soit en fév. 2024, un changement de Premier ministre correspondait à la réponse classique suivant une défaite électorale du camp présidentiel survenue lors des européennes de juin de la même année. Parce qu’il ne peut alors rechanger de Pm à peu de mois d’intervalle, le Président dissout. Le nouveau gouvernement Barnier, désigné en septembre, était donc immédiatement en position de faiblesse, puisque les députés pouvaient le censurer sans aucun risque immédiat de retourner devant les électeurs – le droit de dissolution étant inutilisable pendant un an… Nous savons ce qu’il advint.
Un an plus tard environ, le Premier ministre nommé en déc. 2024, F. Bayrou, active une logique parlementaire (la responsabilité de l’art. 49.1), afin de prévenir à nouveau une éventuelle censure sur le budget.
Et il brûle également les étapes.
Le contexte d’une rentrée sociale très difficile laisse certes présager d’une négociation budgétaire impossible, alors que la préparation des municipales incite les camps polarisés (à gauche et à droite) à la surenchère. Mais en refusant de livrer la bataille parlementaire, soit en usant de l’engagement de responsabilité sur une déclaration de politique générale avant la délibération budgétaire, l’exécutif brutalise le jeu et se prive de possibilités de négociation.
Certes, le moment de personnalisation de la fonction primo-ministérielle que constitue la conférence de presse du 25 août 2025 et ses suites, fondées sur une communication visant à dramatiser le contexte (« chaos », « FMI », « urgence », « gravité » …), permet d’ancrer dans l’opinion l’enjeu fort de l’endettement et des nécessaires ajustements à faire. F. Bayrou, s’il chute, le fera en cohérence avec l’une de ses convictions profondes et avec dignité au nom d’une conception de l’intérêt national.
Mais institutionnellement, ce moment sonne faux.
Car le Premier ministre avait aussi pour mission de tirer les leçons de l’échec de M. Barnier, trop « droit dans ses bottes ». Il promettait de davantage négocier et annonçait jouer le jeu parlementaire. Il s’était engagé à faire des propositions budgétaires bien avant octobre, ce qu’il a fait (conférence de presse de juillet 2025), mais aussi à négocier – sans quoi l’effet d’annonce des coupes ne pouvait que créer des oppositions tranchées. Peu accueillent en effet avec enthousiasme un programme de baisses drastiques de dépenses publiques et de hausses de contributions (notamment sociales).
Or, un jeu de dupes s’est engagé avec les partis pendant l’été, celui des fameuses vacances parlementaires – qui sont bien des vacances.
F. Bayrou pouvait néanmoins, en même temps qu’il finalisait le projet de budget avec Bercy et ses administrations, inclure les chefs de partis dans les confidences et les tester : c’eut été innover comme promis. Il semblerait que rien n’y fit. Les groupes parlementaires ont certes contribué au jeu de dupes. Leur intérêt à adopter une posture constructive, lettre envoyée à Matignon ou non, diminuait à mesure que la fronde montait dans une partie de l’opinion, que la préparation des municipales aiguisait les tensions, que le jeu enfin, demeurait polarisé par les stratégies de J.-L. Mélenchon d’une part, et plus récemment, de M. Le Pen d’autre part.
Les institutions changent peu à peu de sens
L’ennui est que ce jeu de dupes politique qui se poursuit, notamment en se renvoyant la balle sur les raisons d’une négociation manquée, précipite vers une nouvelle impasse institutionnelle. Si la confiance est votée, le Premier ministre gagnera en force au sein de l’exécutif, et la dynamique du couple Président/chef du gouvernement sera inversée. Surtout, si la défiance l’emporte – hypothèse plus probable -, le chef de l’Etat va être en première ligne après le 08 septembre, alors que la fonction du Premier ministre est abîmée – impopularité très élevée, durée de fonction très faible, incapacité à tenir une majorité et même, la cohésion gouvernementale.
Le Président aura du mal à forger un Gouvernement entrainant l’adhésion d’une majorité claire sur un budget rigoureux ; et s’il doit dissoudre, il le fera dans un contexte très défavorable.
Parce qu’économiquement, la France sera affaiblie ; parce que le « socle commun » sera plus encore fragilisé ; et surtout, parce que la dissolution lui aura été dictée par les parlementaires.
Ainsi, en quelques mois, après un délitement lent mais constant des paramètres politiques de la présidentialisation, celui des critères institutionnels gagne des dimensions inédites : nominations difficiles de premiers ministres rapidement démissionnaires (art. 8) et dissolution(s) ratée(s) (art. 12) : deux prérogatives discrétionnaires du président aboutissent à des échecs cuisants.
Lorsqu’en 1968, Ch. De Gaulle s’était vu imposer une dissolution par son Premier ministre, un an plus tard, il quittait le pouvoir après un référendum perdu.
En 1997, puis en 2005, après l’usage malheureux mais différé de deux pouvoirs propres (dissolution et référendum), J. Chirac terminait son second mandat dans des conditions délétères. Défiance votée ou pas, E. Macron a accumulé quelques échecs institutionnels de façon accélérée. Il agit dans un cadre d’affaiblissement exécutif jamais atteint (Premier ministre après Président), après une longue et lente période de déclin commencée avant lui.
Enfin, si des législatives anticipées surviennent et augurent d’une majorité identifiable, peut-être deviendront-elles un scrutin plus déterminant que la présidentielle ? Si aucune majorité n’émerge, 2027 restera la ligne de mire, mais rien ne dit que tout se remettra en ordre comme par miracle, après élection d’une figure « providentielle ». Or, arrivé à ce point de déstructuration du jeu, l’activation d’une dynamique charismatique semble nécessaire, à qui voudrait rétablir la fameuse « logique de la Ve ». Sans quoi, nous resterons dans cette phase entamée en 2022, où juridiquement ce régime perdure, alors qu’il aura perdu son sens – car de plus en plus parlementarisé et désordonné.
Olivier Rouquan