Le garde des Sceaux a trouvé comment imprimer sa marque à la Justice sans renier son passé de ministre de l’Intérieur. Dans un ministère souvent considéré comme laxiste par rapport à Beauvau, Gérald Darmanin a choisi de s’adresser en priorité aux agents pénitentiaires plutôt qu’aux magistrats.
Quand il avait annoncé sur BFM son intention de quitter le gouvernement juste avant le premier tour des législatives, Gérald Darmanin paraissait encore sous le choc de l’annonce de la dissolution et de l’échec des élections européennes. Il disait vouloir siéger à l’Assemblée nationale pour s’occuper de son territoire » et prendre le temps de construire pour l’avenir, comprenez la prochaine présidentielle. « Il faut comprendre pourquoi on a été battu aux élections européennes » précisait-il, en livrant son analyse d’alors : « Il faut plus de fermeté sur la justice, plus d’écoute sociale, pour les ouvriers, pour les femmes seules qui élèvent des enfants ».
Plus de fermeté sur la justice donc… Le propos n’avait rien de surprenant venant de l’ex-premier flic de France. Les échanges courtois sur la forme mais divergents sur le fond entre Didier Migaud, le nouveau garde des Sceaux, et Bruno Retailleau fraichement arrivé à l’Intérieur témoignaient de l’opposition indépassable entre ces deux ministères. Mais le calendrier s’est brusquement accéléré. Et Gérald Darmanin a vite compris que pour préparer 2027, mieux valait se faire remarquer au gouvernement que se perdre dans le brouhaha de l’Assemblée nationale. Le voici donc de retour au Conseil des ministres, avec précisément ce portefeuille de la Justice.
Éric Dupond-Moretti l’avait expérimenté avant lui, à ce poste, il n’est pas bon de s’opposer aux magistrats. Mieux vaut éviter de mettre en cause cette corporation très chatouilleuse quant à son indépendance. Mais comment exister place Vendôme sans se renier et sans pouvoir porter un grand texte à son nom ? Et assez rapidement, car le temps presse. En cas de nouvelle dissolution, il faudra présenter un bilan. Certes, la proposition de loi contre le narcotrafic donne l’opportunité à Gérald Darmanin de porter un message de fermeté. Mais le texte, d’origine sénatoriale, est partagé avec Bruno Retailleau très vite installé sur ce créneau de la fermeté.
Gérald Darmanin a compris qu’il n’aurait rien à gagner à essayer de récupérer les lauriers acquis précédemment ou de jouer l’esprit chagrin chipotant les résultats de son successeur. Il a choisi un autre terrain, négligé depuis de nombreuses années, celui du système pénitentiaire.
Dès sa première prise de parole, Gérald Darmanin défend les personnels des prisons comme des agents publics au service de la sécurité commune.
Le ministre de la Justice prend le problème par le bout qui intéresse les Français, c’est-à-dire leur sécurité. Des prisons surpeuplées, avec des détenus mélangés – y compris les plus dangereux avec le tout-venant – ce sont des prisons moins sûres, qui nourrissent la récidive, exposent les personnels et accentuent l’insécurité contre laquelle il a porté une politique de fermeté à l’Intérieur.
« J’ai décidé de frapper fort » revendique Gérald Darmanin en annonçant les deux sites retenus pour organiser ses premières prisons de haute sécurité. Les conditions de détention pour les condamnés et les prévenus y seront « extrêmement difficiles » insiste-t-il : pas de contact physique lors des visites, pas de vie privée familiale, six heures de téléphone par semaine. Une « révolution pour les prisons françaises » selon le garde des Sceaux. Frapper fort, le slogan permet à Gérald Darmanin de ne pas renier son passé à l’Intérieur, mais il ne le distingue pas non plus de son successeur sur la ligne qu’il veut faire sienne pour la présidentielle.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste