Quand j’étais toute petite, pendant la guerre Iran-Irak, les sirènes d’alerte retentissaient au beau milieu de la nuit et me réveillaient en sursaut. Parfois, je me levais en panique au son des bombes, et je courais me cacher avec ma grand-mère et d’autres membres de la famille. Mais plus que les explosions, ce qui me terrifiait vraiment, c’était de ne pas savoir ce qui arrivait à ma mère, enfermée à la prison d’Evin.
Evin reste gravée dans ma mémoire comme une cicatrice indélébile. J’étais une enfant, mais j’ai été emprisonnée avec ma mère. La cellule était froide, sombre, oppressante. Il y régnait un silence effrayant. La seule chose qui m’apportait un peu de réconfort, c’était la présence de ma mère — emprisonnée pendant des années pour ses idées.
Quand les cris de douleur des autres prisonniers résonnaient, ma mère me serrait fort dans ses bras, comme pour me protéger de tout. Je voyais parfois d’autres femmes, que j’appelais mes « tantes ». Elles étaient souvent blessées et très faibles, mais elles me souriaient.
Leurs regards pleins de douceur faisaient naître un peu de lumière dans mon cœur.
Mais les gardiens… ceux qui emmenaient ma mère pour l’interroger, étaient d’une cruauté glaçante. Ils lui disaient : « On t’emmènera la nuit, jusqu’à ce que toi et ta fille vous deveniez folles. »
Ce régime n’a pas eu de pitié pour une enfant en prison. Aujourd’hui encore, il continue à affamer le peuple, surtout les enfants. L’eau, la nourriture et les médicaments sont devenus des armes pour soumettre et contrôler.
Mon grand-père était un religieux respecté. Mais dès le début, il a compris que le régime de Khomeiny n’avait rien à voir avec la vraie foi. Il a refusé de soutenir ce régime. Deux de mes oncles ont été arrêtés, puis exécutés, ainsi qu’une de mes tantes alors enceinte. Mon grand-père a dû ensuite s’exiler. Depuis ce jour, trois générations de ma famille ont résisté. La résistance, c’est l’histoire de nombreuses familles iraniennes. Cette résistance perdure, sinon, pourquoi autant de morts ? Pourquoi autant de prisonniers ?
Même dans les familles religieuses, les gens ne croient plus en ces mollahs.
Ce dimanche encore, deux hommes ont été exécutés : Behrouz Ehsani et Mehdi Hassani. Leur seul crime ? Être membre des Moudjahidines du peuple et croire en la liberté — comme ma mère, elle aussi emprisonnée pour les mêmes raisons.
Aujourd’hui, la génération Z — les jeunes de l’âge de mes enfants — a grandi avec des vérités que nous, à l’époque, n’osions que murmurer. Grâce à Internet, ils savent tout. Cette génération n’a plus peur. Elle a rouvert le dossier du massacre de 30 000 prisonniers politiques, l’a sorti de l’oubli et l’a partagé. Des milliers d’entre eux ont rejoint les unités de résistance.
Et cette peur, on peut la lire dans les yeux du régime.
Nous, le peuple iranien, n’avons jamais été en guerre avec un autre pays. Notre ennemi, c’est le pouvoir qui règne dans nos rues, dans nos maisons. Ces mollahs n’ont ni la foi du peuple, ni sa culture. C’est comme si notre pays avait été envahi de l’intérieur. Quand ils mènent des opérations terroristes à l’étranger, vous pouvez imaginer ce qu’ils infligent à leur propre peuple. Des millions d’Iraniens instruits et talentueux ont fui. Aujourd’hui, les exécutions, la censure et la faim font partie du quotidien.
À la télévision, on entend parfois dire que sans ce régime, ce serait le chaos. Qu’il n’y a aucune alternative organisée. Ce sont des mensonges pour démoraliser les gens. En réalité, cela fait cinquante ans que la résistance existe, même si les médias officiels n’en parlent pas. L’Iran n’est pas un pays récent, c’est une civilisation millénaire. Et son peuple a toujours su faire face à l’obscurité.
Ce que les mollahs redoutent par-dessus tout, c’est que ce peuple finisse par s’unir.
Depuis des années, cette lutte continue. Une opposition organisée, solide, que ni les massacres, ni les mensonges,n’ont réussi à faire taire. Aujourd’hui encore, même dans les villages les plus isolés, des jeunes entretiennent la flamme de la révolte. Chaque vidéo, chaque slogan, chaque flamme allumée dans la nuit défie la répression jusque dans les grandes villes. Et chaque acte est un pas de plus vers la liberté.
Moi, cette petite fille enfermée autrefois dans une cellule sombre, je crois de tout cœur que le jour lumineux approche pour l’Iran grâce à son peuple et grâce à la Résistance.
Azadeh Alemi franco-iranienne elle est représentante du Comité de soutien aux Droits de l’Homme en Iran (CSDHI)
Azadeh Alemi