Après le vote des lois constitutionnelles de 1875, les républicains comprennent que leur régime, encore fragile, ne pourra se consolider qu’en s’adossant à l’école. L’objectif est clair : former des citoyens libres, affranchis de la tutelle spirituelle de l’Église, et bâtir une nation soudée autour de valeurs communes. L’école devient l’arme pacifique mais redoutable d’une République qui veut conquérir les consciences.
Sous l’impulsion de Jules Ferry, ce programme prend forme : réorganisation du Conseil supérieur de l’instruction publique, limitation du pouvoir des congrégations, puis les grandes lois scolaires de 1881 et 1882 instaurant la gratuité, l’obligation et la laïcité. C’est une rupture majeure : l’éducation cesse d’être un monopole clérical pour devenir un service public républicain.
L’affrontement est rude. L’Église catholique dénonce une persécution, parle de « guerre contre Dieu ». Le Vatican condamne la République française. Les évêques mobilisent les fidèles contre cette école sans crucifix ni catéchisme. Les caricaturistes anticléricaux ridiculisent les prêtres et les congrégations.
Tout semble annoncer une guerre civile spirituelle.
Et pourtant, malgré cette hostilité, le temps et la fermeté républicaine finissent par imposer le compromis laïque. L’Église, après avoir résisté, accepte la séparation de 1905. Elle se replie sur la sphère religieuse, reconnaît la souveraineté de l’État et s’habitue à une société où la foi relève du choix individuel. Aujourd’hui, l’Église n’est plus une menace pour la République : elle vit dans le cadre laïque, et y trouve même la garantie de son existence paisible.
C’est ici que le parallèle devient éclairant. Car si l’Église, jadis opposante résolue, a fini par intégrer les règles de la République, le danger qui surgit aujourd’hui est d’une autre nature : l’islamisme politique.
L’islamisme, un adversaire d’un nouveau type
Contrairement à l’Église du XIXᵉ siècle, qui défendait un pouvoir ancien menacé de déclin, l’islamisme se présente comme une idéologie conquérante, une force de rupture qui veut créer un nouvel ordre. Il ne cherche pas un compromis avec la République : il vise à la délégitimer, à la miner de l’intérieur, à lui substituer une logique théocratique.
Là où l’Église a fini par reconnaître la primauté de la loi civile, l’islamisme proclame la supériorité de la charia. Là où les catholiques, après 1905, ont accepté la séparation, les islamistes veulent abolir la frontière entre foi et politique. Là où le catholicisme a renoncé à encadrer l’école publique, l’islamisme tente de reconstituer des contre-écoles, des associations parallèles, des circuits éducatifs où se transmettent ses normes.
L’islamisme n’est pas seulement une religion vécue dans la sphère privée, c’est une idéologie totale qui s’attaque aux principes mêmes de l’universalisme républicain. Il nie la mixité, conteste l’égalité homme-femme, censure la liberté d’expression au nom du blasphème, encourage le séparatisme culturel et territorial. Là où la République cherche l’assimilation, il organise la désassimilation.
Là où la République cherche l’unité du peuple français, il impose la fragmentation communautaire.
Une République appelée à la fermeté
Face à ce défi, la République doit retrouver l’esprit de Jules Ferry et des républicains de la IIIᵉ République. À l’époque, ils savaient qu’ils affrontaient un adversaire puissant et enraciné. Mais ils n’ont pas cédé. Ils ont construit une école laïque, instauré la séparation, et tenu ferme sur l’universalité des droits. Ils ont compris que la République n’existe que si elle ose s’affirmer, même au prix de conflits durs.
Aujourd’hui, c’est le même courage qui est requis. Car l’islamisme, plus encore que l’Église du XIXᵉ siècle, ne vise pas une coexistence : il vise une substitution.
Il n’acceptera jamais de compromis avec la laïcité, parce que son objectif est de l’abolir.
Céder au nom du dialogue, fermer les yeux au nom du « respect des différences », ce serait répéter les erreurs du passé — mais sans la garantie, cette fois, que l’adversaire finira par accepter la République. Car l’islamisme n’est pas une Église enracinée appelée à composer avec la modernité, c’est une idéologie politico-religieuse dont l’horizon est l’État islamique.
Conclusion : une leçon d’histoire pour aujourd’hui
L’histoire de la laïcité montre que la République a déjà su vaincre des adversaires redoutables, en restant fidèle à ses principes. Elle n’a pas plié face aux congrégations, et c’est grâce à cette fermeté qu’un compromis durable a pu être trouvé avec l’Église.
Aujourd’hui, la République doit opposer la même intransigeance à l’islamisme. Non pas contre l’islam comme foi vécue, mais contre une idéologie politique qui refuse la loi commune. La leçon du passé est claire : chaque fois que la République a hésité, elle a reculé.
Chaque fois qu’elle a affirmé ses principes avec constance, elle a fini par triompher.
Le danger n’est plus dans les églises où quelques fidèles prient en paix. Le danger est dans cette idéologie conquérante qui refuse la République. L’heure est venue de dire, comme Jules Ferry en son temps : « L’école, la laïcité et l’universalisme ne se négocient pas. Ils se défendent. »
Kamel Bencheikh