Lancé dès le début du second mandat de Donald Trump, le DOGE (Department of Government Efficiency) a été conçu pour maîtriser les dépenses publiques. Ce dispositif revendique, en l’espace de 6 mois, plus de 180 milliards de dollars d’économies, soit près de 2,8% des dépenses publiques de l’État américain. A titre de comparaison, cela reviendrait à ce que la France réalise, en 6 mois, 45 milliards d’euros d’économies. De quoi réaliser le plan d’économies de François Bayrou sans demander d’efforts aux Français ou financer l’effort de réarmement souhaité par le chef de l’État ! Un modèle à suivre ?
La méthode DOGE pour réduire à terme l’endettement public… mais pas seulement
Les Etats-Unis vivent à crédit depuis toujours. Seulement, en 10 ans, la dette américaine a doublé pour atteindre 36 220 milliards de dollars en 2024 alimentée par un déficit public structurel lié à l’envolée des dépenses publiques depuis 2022. L’État dépense 400 milliards d’euros par an de plus en 2024 qu’en 2022. La dette atteint de telles proportions que son remboursement est devenu le premier poste de dépense fédéral, dépassant ainsi celui de la défense ! Le problème d’une dette publique écrasante est qu’elle incarne une menace pour la stabilité de la démocratie américaine. D’abord, parce que l’Etat fédéral risque à tout moment un défaut de paiement en cas de désaccord politique sur le relèvement du plafond de la dette. Ensuite, une dette importante induit une dépendance auprès des marchés financiers pour financer le train de vie du gouvernement américain.
La réduction des dépenses publiques doit contenir l’endettement public, mais pas seulement. L’ambition qui a présidé à la création du DOGE est le changement de culture, fondé sur une vision entrepreneuriale de la gestion publique, notamment par la réorganisation des agences fédérales étant jugées trop nombreuses, trop coûteuses et excessivement bureaucratisées. L’initiative d’Elon Musk s’inspire de la vision libérale-conservatrice d’un État minimal : une intervention limitée de l’État dans l’économie et la vie sociale pour stimuler la croissance. Concrètement Musk a mis en place une thérapie de choc consistant à remercier un grand nombre d’employés, de rationaliser les dépenses en identifiant les fraudes et d’augmenter la productivité en mettant fin au télétravail. Le DOGE a aussi représenté un changement de cap idéologique car toutes les dépenses en lien avec les mouvements progressistes ont été supprimées comme les politiques de DEI (Diversité, équité et inclusion). Ces méthodes incarnent une particularité américaine : la primauté du principe d’efficacité au détriment de l’équité quitte à employer des méthodes jugées abusives (licenciements, traitement des données personnelles, etc.)
La France est dans une pire situation que les Etats-Unis
La France, avec 3 305 milliards euros de dette est dans la même impasse, à ceci près qu’elle n’a pas la main sur sa politique monétaire (décidée à la BCE) et ne dispose pas de la puissance du dollar permettant aux Etats-Unis de financer leurs déficits par le reste du monde. Deuxième différence, le poids des dépenses publiques dans le PIB. Les dépenses publiques en France pour l’année 2024 sont estimées à 1 693 milliards d’euros, soit 56,7 % du PIB. Outre-Atlantique le budget de l’Etat fédéral représentait en 2024, 6750 milliards de dollars, revenant à 24% du PIB.
Ainsi, la France vit un paradoxe. Son endettement est moins soutenable que celui des Etats-Unis et le poids des dépenses publiques dans l’activité économique est plus important. Cela justifierait donc des politiques de réformes structurelles sur le modèle du DOGE. Or, d’une part, les propositions de François Bayrou (une « année blanche », suppression de deux jours fériés, suppression de 3000 postes publics, contribution de solidarité des Français les plus fortunés, taxe sur les petits colis et chasse aux niches fiscales inutiles) s’inscrivent dans une logique conjoncturelle et non structurelle. Et d’autre part, elles sont contestées par toutes les oppositions à l’Assemblée nationale. Quand est-ce que la France traitera donc cette question de fond : le poids excessif et inefficace des dépenses publiques ?
Vers un DOGE français ?
La France doit revoir le périmètre de son premier employeur : l’État. L’Hexagone comporte un nombre élevé de fonctionnaires par rapport à ses voisins. En 2021, 5,7 millions de salariés travaillent dans la fonction publique, soit 21% de l’emploi total. A titre de comparaison il s’agit de 11% en l’Allemagne, de 14% en Italie et de 17 % en Espagne. Selon l’OCDE, la France est le 7ème pays dont l’emploi public est le plus élevé. De plus, la productivité des fonctionnaires français qui est plus basse que ses voisins européens : 26% contre 35% en Allemagne. Enfin, l’organisation du paysage administratif français est inefficace en raison d’une multitude de strates (communes, intercommunalités, métropoles, départements, régions) se chevauchant dans leurs compétences créant des coûts opérationnels élevés et une dilution des responsabilités.
Une autre piste de réforme pourrait consister à renforcer l’efficience de la dépense publique, en ciblant plus systématiquement les gaspillages et les pratiques frauduleuses. L’une des contributions notables du DOGE a été la mise en œuvre d’audits réguliers au sein des départements fédéraux, visant à améliorer la traçabilité et la bonne utilisation des fonds publics, notamment dans les dispositifs sociaux. En France, la fraude détectée à l’Assurance maladie s’élevait en 2024 à environ 628 millions d’euros pour une fraude estimée à 4 milliards d’euros. La généralisation d’une démarche d’audit budgétaire rigoureuse permettrait de limiter les abus.
Le DOGE ne constitue pas une réponse clé en mains aux déséquilibres budgétaires français, mais il offre des pistes de réflexion utiles pour opérer une révolution des idées dans un pays profondément addict à la dépense publique.
Hugo Spring-Ragain
Expert du Millénaire, spécialiste de l’économie
Sean Scull
Analyste du Millénaire, spécialiste de la politique américaine et auteur de le Populisme, symptôme d’une crise de la démocratie, comment le néolibéralisme a triomphé en France et en Suède, aux éditions L’Harmattan
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