Au risque que représente la dette pour la souveraineté et la cohésion, il est à craindre que le plan présenté par le Premier ministre ajoute un mauvais grain à moudre qui ne lève ni le risque qui pèse sur la souveraineté ni celui qui pèse sur la cohésion nationale.
Le chemin du « Stop à la dette » autant que celui du « En avant la production » sont, politiquement, étroits. Pour stopper la dette et relancer la production il faudrait y aller franchement, réduire effectivement la dépense publique et soutenir cet effort par une politique économique qui mobilise le capital et le travail. S’engager volontairement sur ces deux chemins c’est, avec l’absence de majorité, prendre le risque de dévisser – pour reprendre l’image de l’Himalaya, qu’il ne s’agit pas d’escalader, mais de descendre.
Les premières réactions, de quelque bord politique que ce soit, participent à affaiblir encore la cohésion. Il est devenu impossible de dire que ce plan n’est pas un plan de rigueur et il faut être prudent pour dire qu’il n’est pas, non plus, un plan de relance de l’économie.
Il n’est pas un plan de rigueur parce qu’il ne réduit pas la dépense publique mais ralentit, seulement, son augmentation tendancielle. En 2026, la dette continuera d’augmenter et, si les mesures de maîtrise ont quelques effets, le pari pris sur la croissance est un pari risqué. Les deux font que le risque de souveraineté demeure et que la cohésion n’y gagne rien.
Les mesures du volet « Stop à la dette » sont, une fois encore, des mesures paramétriques ; aucune n’a d’effet structurel.
Les mesures d ‘effectif (remplacement d’un agent sur trois partant à la retraite, pour un objectif de moins 3000 emplois publics) relèvent du pointillisme budgétaire après les augmentations de 2023 et 202 4 qui font compter 95000 emplois supplémentaires. Que l’État « réduise son train de vie (…) à l’exception de l’augmentation de la charge de la dette et des dépenses supplémentaires pour le budget des armées », est une bonne chose mais elle relève de la même logique d’ajustement paramétrique : nous conservons un exécutif fort de 35 ministères. L’habituelle comparaison avec l’Allemagne nous apprendrait, sur ce point, que le gouvernement fédéral compte … 16 ministères. Si le modèle Allemand est référence, c’est tout entier qu’il faut le prendre pour s’y confronter vraiment et voir et dire que la masse salariale publique compte pour plus de12% de PIB ici, moins de 8% outre-Rhin.
Le diable est, dit-on, souvent dans le détail. N’est-il pas dans la diminution du nombre des agences qui, selon les mots du premier ministre, sont « improductives, dispersent l’action de l’État » ? Ce marronnier des politiques publiques est, cette fois-ci, annoncé « en même temps » que la création d’une « société foncière pour réduire, gérer et rendre utile le patrimoine improductif [1]» ! Les experts de la vie administrative verront là le diable en s’interrogeant sur la crédibilité de la suppression des agences improductives et sur l’utilité, jusqu’à ce jour, de la DIE – Direction de l’immobilier de l’État, anciennement France Domaine.
Les seules mesures de gel du point d’indice, de non-indexation ou de sous-indexation des retraites, le forfait substitué à l’abattement de 10%, la non-indexation du barème de l’IR et les mesures d’économie sur les dépenses de santé suffisent-elles à stopper la dette ?
Gel du point d’indice et moins 3000 emplois publics contre-balancent-ils l’effet GVT (glissement – vieillesse- technicité) qui fait prospérer la masse salariale publique (3000 emplois en moins c’est de l’ordre de 0,05% de l’emploi public, le GVT est estimé à +2,5% de la masse salariale) ? Les moindres dépenses publiques sont donc à attendre des mesures visant les retraites, du forfait substitué à l’abattement de 10% et du barème de l’IR. Si les retraités apporteront ainsi une contribution à la nécessaire moindre dépense de retraite et une forme de réponse « aux Nicolas qui payent », ces derniers payeront aussi par le biais de l’IR. La dépense publique y gagnera sans que ce soit le gage d’une meilleure cohésion sociale. Le déremboursement des soins non directement liés à une ALD et le remboursement fonction du niveau de dépense ? C’est là une réforme dont on parle depuis une décennie pourtant oubliée lors du Ségur de la Santé et, les Covid longs ne finiront-ils pas en ALD ? Si les promesses de recettes supplémentaires et de moindre dépense par ces moyens sont tenues, il manque, à ce volet du plan, leur « fléchage » budgétaire. Peut-être est-ce là le devoir de vacances que se fixe le gouvernement ?
La gestion politique du risque politique impose ce frein prudent sur la dépense publique. La part du politique semble, à ce stade, l’emporter sur la raison budgétaire.
Il reste donc le volet « En avant la production » pour nous engager sur la voie du désendettement en espérant plus de croissance. Ce « En avant la production » qui est le second volet du plan devrait en être premier ne serait-ce que pour nous rappeler que « le carburant » de la finance publique c’est, d’abord, la création de richesses. L’ordre des facteurs est important.
Mettre en avant la production c’est proposer une politique qui favorise la mobilisation du capital et du travail pour et par la création d’emplois. Une politique de développement économique devrait être portée par un ministère de l’Industrie de plein exercice. Ce « nouvel horizon » est-il atteignable avec la suppression de deux jours fériés, la simplification la vie des entreprises, l’amélioration la compétitivité des entreprises en consacrant 900 millions d’euros au financement de fonds propres, la sanction les retards de paiement, une taxe sur les petits colis, le financement public de l’IA et du cyber et, enfin, l’annonce d’une nouvelle réforme de l’indemnisation du chômage ? Deux jours de travail de plus c’est moins de 1% de capacité de production supplémentaire, ça ne crée pas de l’emploi mais ça pèsera (pèserait) sur ceux qui travaillent déjà. La simplification de la vie des entreprises n’est qu’un autre marronnier qui le dispute à celui de la suppression des agences. Les 900 millions € pour le financement de fonds propres sont à apprécier au regard du «besoin de renfort ciblé en fonds propres [de] 50 milliards d’euros dont environ 20 milliards avec un soutien public »estimé par la Banque de France (mai 2021). Les sanctions pour retard de paiement et la taxe sur les petits colis sont à ranger au titre d’accessoires. Pour l’IA et la cyber, il s’agit, d’abord, de rattraper le retard avant d’en mesurer les effets « emploi » et « contribution aux financements collectifs ».
Outre l’ordre des facteurs, les deux volets, dette et production, tels que présentés semblent manquer d’alignement, c’est une occasion manquée à ce « moment de vérité ». La sur-épargne des Français et l’insuffisante capitalisation des entreprises, le financement du modèle social, l’ardente nécessité d’une réindustrialisation qui doit servir l’effort de Défense, le recentrage de l’action publique sur les missions régaliennes : autant d’enjeux qui pouvaient donner une cohérence à un plan autre que celui d’une « année blanche » … dont il faut craindre qu’elle soit blanche pour le désendettement, noire pour la cohésion et de peu d’effet sur la production.
Minimiser le risque politique pour ne pas ajouter à l’instabilité institutionnelle ne garantit pas de l’éviter. S’il devait s’avérer, si le gouvernement devait « dévisser » en descendant prudemment de l’Himalaya, la chute, alors, manquerait de … « hauteur », tant pour ceux qui auront emprunté ce chemin prudent et dévissé que pour ceux qui l’auront refusé.
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse sur la protection sociale – Think tank CRAPS, ancien DGA de l’Unedic,
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[1] « Les actifs non financiers des administrations publiques font partie du domaine public et sont donc inaliénables et imprescriptibles (…) ils peuvent être cédés après avoir été (…) transférés au domaine privé des administrations, ce qui suppose de mettre en œuvre des procédures parfois complexes allant jusqu’au vote d’une loi » – Fipeco, Le patrimoine des administrations publiques, fin 2023.