Dans ce texte, Kamel Bencheikh explore les modalités d’adaptation et de diffusion d’un islamisme aux visages multiples.
1 – Quand l’islamisme infiltre la modernité
Ils ne portent plus la barbe longue ni la djellaba blanche. Ils ne parlent plus de califat ni de châtiments divins. Ils n’agitent plus le Coran à la main. Ils brandissent désormais les mots de nos révoltes, les concepts de nos combats, les valeurs de nos luttes les plus sacrées. Ils disent « inclusion », « racisme systémique », « justice sociale », « colonialité du pouvoir ». Ils se présentent comme les porte-voix des opprimés, les enfants humiliés des banlieues, les victimes silencieuses d’un monde blanc, patriarcal et violent. Mais sous les habits neufs du progressisme, l’idéologie reste la même : conquérante, totalitaire, impérieuse.
L’islamisme a appris la langue de ses cibles. Il a muté, comme toute idéologie désireuse de survivre dans un monde qui ne l’attendait plus. Constatant l’impossibilité d’imposer un ordre théocratique d’une manière frontale dans les démocraties libérales, il s’est glissé dans les failles du discours dominant. Il a troqué les références religieuses explicites contre les rhétoriques victimaire, décoloniale et intersectionnelle. Il ne revendique plus l’application immédiate de la charia : il tisse patiemment la toile de son influence sur les consciences, les institutions, les élites.
Ce ne sont plus les vétérans barbus des guerres afghanes qui mènent cette entreprise. Ce sont leurs enfants, nés ici, formés dans les universités européennes, diplômés en sociologie, en communication ou en sciences politiques. Ils maîtrisent les arcanes des médias, les codes du militantisme contemporain, les stratégies d’influence. Ils avancent masqués, mais déterminés. Ils ne citent plus Sayyid Qutb[1] ou Hassan al-Banna[2], mais Frantz Fanon[3] et Edward Said[4]. Ils dénoncent la République comme un système oppressif, la laïcité comme une forme de néocolonialisme, et l’universalisme comme un mensonge blanc.
C’est une ruse magistrale : faire de l’islamisme un « combat d’émancipation ». S’allier aux courants les plus radicaux de la gauche identitaire. Délégitimer toute critique comme « islamophobe ». Accuser les défenseurs de la République d’être des racistes déguisés. Inverser les pôles de la morale. Ils transforment les bourreaux en victimes, et les résistants en oppresseurs.
Les chaînes satellitaires, hier encore l’unique canal des propagandes lointaines, ont cédé la place à une machine bien plus redoutable : les réseaux sociaux. En quelques clics, des contenus circulent, des figures s’imposent, des récits s’écrivent. Le discours islamiste, réenrobé de progressisme, y prospère en terrain fertile. Il séduit une jeunesse en quête d’identité, ébranlée par l’exclusion, mais aussi tentée par la revanche symbolique contre l’Occident.
En France, cette offensive trouve une résistance. Parce que la République, dans ses principes les plus profonds, ne cède pas. Parce que des voix, musulmanes aussi, se lèvent pour dire non à l’instrumentalisation de leur foi par les idéologues du ressentiment. Mais la bataille est rude. Parce que l’adversaire ne porte plus d’étendard, parce qu’il ne revendique plus son nom, parce qu’il avance sous les traits de l’ami, du militant, du frère de lutte.
Reste cette question brûlante : assistons-nous à une réforme sincère, à un véritable aggiornamento de l’islamisme par l’intégration des valeurs progressistes ? Ou sommes-nous les témoins d’une nouvelle stratégie d’entrisme, où le wokisme devient l’ultime monture d’un projet inchangé ― celui de soumettre l’Occident par d’autres moyens que le sabre ?
L’histoire jugera. Mais à celui qui veut encore voir, il est temps de comprendre : sous les habits du siècle, la bête a simplement appris à marcher debout.
2 – L’enracinement stratégique de l’islamisme en Occident
Ils sont arrivés discrètement, comme des exilés fuyant la répression, comme des étudiants avides de savoir. C’était la fin des années 1950. Les premiers membres des Frères musulmans posaient le pied sur le sol européen et nord-américain. Ils venaient du Caire, de Damas, de Lahore ou d’Ankara, porteurs d’une idéologie forgée dans la douleur, la clandestinité, l’ambition. Certains fuyaient Nasser[5], d’autres poursuivaient des études prestigieuses. Tous, ou presque, portaient en eux la conviction inébranlable qu’un jour, l’islam politique trouverait une terre d’accueil, un nouveau souffle, un terrain d’expansion.
Ils ont tissé leur toile avec patience. De l’intérieur. Dans les marges. Dans les salles de prière provisoires, les foyers d’étudiants, les associations culturelles. Ils ont pris racine là où personne ne les attendait : au cœur des démocraties libérales. En soixante-dix ans, ces réseaux issus des Frères musulmans, de la Jamaat-e-Islami[6] indo-pakistanaise ou du mouvement Millî Görüş[7] turc ont posé les fondations d’une présence idéologique aussi discrète qu’efficace. Leur force ? Ne jamais apparaître pour ce qu’ils sont. Et toujours, toujours, s’adapter.
Ce sont des bâtisseurs silencieux. Ils ont conservé les structures de leurs origines : hiérarchie verticale, sélection rigoureuse, culture du secret. Une armature souple mais solide, calquée sur les fraternités militantes des pays d’origine. Mais ils ont aussi compris que pour durer, il fallait se métamorphoser. L’Occident ne tomberait ni par la guerre sainte ni par l’annonce d’un califat : il fallait d’abord modeler les consciences.
Alors ils ont redéfini leurs objectifs. L’instauration d’un ordre islamique global, inaccessible sur les terres minoritaires, a laissé place à une double stratégie : d’un côté, transformer de l’intérieur les communautés musulmanes en y diffusant leur vision du monde ; de l’autre, se présenter comme les interlocuteurs légitimes et « modérés » auprès des États, des médias, des institutions. Ils se sont fait les « représentants » de l’islam de France, d’Angleterre ou d’Amérique, usurpant une parole qu’aucune urne, qu’aucun vote communautaire ne leur avait confiée. Mais ils ont compris avant tout le monde que la légitimité se fabrique.
Ce que les premiers pionniers ont entamé, une nouvelle génération l’a perfectionné. Ces jeunes islamistes nés à Paris, Londres ou Toronto, ne parlent plus l’arabe ou l’ourdou dans leurs discours publics. Ils s’expriment dans un langage fluide, celui des sciences sociales et de l’activisme universitaire. Ils sont passés des amphis de médecine aux masters en communication et en théorie critique. Leur voix est douce, leur posture bienveillante, leur discours saturé de concepts modernes : « oppression, privilège blanc, racisme structurel, décolonisation ». Ils ont troqué la harangue contre l’atelier de sensibilisation, le sermon contre le TED Talk.[8]
Leur objectif reste inchangé, mais leur route est nouvelle. Ils ne citent plus les fondateurs de l’islamisme, mais les figures de l’antiracisme radical, les penseurs de la théorie postcoloniale. Ils ne revendiquent plus la charia, mais demandent la reconnaissance des « spécificités culturelles ». Ils ne prônent plus l’enfermement des femmes, mais militent pour leur « liberté de se voiler ». Leur islamisme se présente désormais comme une résistance au capitalisme, à la sécularisation, au colonialisme intérieur. L’alliance est faite : entre la piété conquérante et les habits progressistes du temps.
Leur infiltration ne s’arrête pas aux quartiers. Elle gagne les parlements, les plateaux télé, les organes consultatifs, les ONG. Ils créent leurs propres associations, multiplient les présences sur les réseaux sociaux, obtiennent des financements publics et privés. Ils publient dans les grands journaux, siègent dans des partis politiques, obtiennent des postes dans des agences gouvernementales. Le système les accueille, croyant dialoguer avec des citoyens engagés, alors qu’il dialogue avec des stratèges déguisés.
La vieille garde islamiste, souvent figée dans une posture rigide, ne les reconnaît plus. Et les démocrates de bonne foi, eux, ne voient qu’une jeunesse éveillée aux injustices du monde. C’est la ruse la plus achevée de ce mouvement : faire croire qu’il s’est dissous dans l’ordre libéral, alors qu’il s’y est camouflé.
Ce que certains appellent aujourd’hui l’« islamisme woke » n’est pas une dérive. C’est une continuité. Un changement de peau, pas d’intention. Ceux qui s’en étonnent n’ont pas vu le patient travail de réinvention, d’adaptation et de conquête.
L’Occident ne se défait pas d’un ennemi en l’invitant à la table. Il s’endort en le croyant désarmé. Le danger n’est plus dans les prêches incendiaires, mais dans les discours lissés. Dans les salles de conférence. Dans les notes de bas de page.
La République, si elle veut survivre à cette entreprise, doit rouvrir les yeux. Comprendre que l’islamisme a changé de visage mais non de dessein. Et se souvenir que la liberté ne se défend pas avec de la naïveté, mais avec du courage, de la lucidité, et des principes.
3 – L’islamisme en rouge et vert
La relation entre l’islamisme et la gauche occidentale s’apparente à un labyrinthe complexe, où s’entrelacent convictions, stratégies et intérêts contradictoires. Deux univers que tout semble opposer — la défense de valeurs religieuses conservatrices d’un côté, l’affirmation des droits individuels et des combats progressistes de l’autre — tissent pourtant depuis plusieurs décennies des liens inattendus, parfois puissants, souvent ambigus. Cette alliance paradoxale ne saurait se réduire à une simple question d’opportunisme politique ou d’idéologie : elle est aussi le fruit d’un enchevêtrement historique, culturel et émotionnel, qui a fait naître une sympathie durable, bien que contestée, entre certains courants de la gauche radicale et les mouvements islamistes.
Il faut revenir au contexte du milieu du XXe siècle pour comprendre les racines de cette fascination. L’islamisme, en tant que mouvement politique, est né en grande partie en réaction à la colonisation et à l’oppression occidentales. Son anticolonialisme virulent, son rejet des ingérences étrangères, sa critique frontale des régimes dits « impérialistes », en particulier ceux incarnés par l’Occident — Amérique en tête —, ont trouvé un écho puissant chez une gauche alors elle-même engagée dans la décolonisation, la lutte contre le racisme et l’injustice sociale. Ce terreau commun a ouvert la voie à des rapprochements tactiques et parfois sincères.
Cette dynamique s’est cristallisée dans des alliances concrètes, notamment dans le cadre de mobilisations internationales contre la guerre ou les interventions militaires occidentales au Moyen-Orient. La coalition britannique Stop the War Coalition[9] (STWC) au début des années 2000 illustre ce phénomène avec éclat. Issu d’organisations marxistes et trotskistes, ce regroupement a scellé un partenariat avec la Muslim Association of Britain[10] (MAB), un organe influencé par les Frères musulmans locaux. Cette alliance, improbable en apparence, a permis d’amplifier une contestation massive de l’intervention occidentale en Irak, rassemblant plusieurs centaines de milliers de manifestants.
Mais ce partenariat ne s’est pas fait sans tensions. La MAB, consciente des différences culturelles et idéologiques, s’est inquiétée des répercussions de ce mariage avec une gauche souvent laïque, athée, et progressiste sur les questions de genre et de sexualité. Pourtant, pragmatisme oblige, elle a accepté des compromis importants : la garantie d’aliments halal, la séparation des sexes lors des événements publics, et un cadre conforme aux exigences religieuses, conditions que ses alliés ont acceptées pour ne pas faire éclater la coalition. Ces concessions témoignent du pouvoir d’adaptation des islamistes occidentaux, prêts à naviguer dans des milieux a priori hostiles, pour atteindre leurs objectifs stratégiques.
Les conséquences furent immédiates. Cette coalition a nourri un espace politique inédit où s’entremêlaient revendications sociales, luttes anticapitalistes, et discours identitaires religieux. Le parti Respect/The Unity Coalition[11] est né de cette synergie, mêlant figures de l’extrême gauche et militants musulmans, notamment ceux issus des Frères musulmans britanniques. Malgré des résultats électoraux modestes, ce modèle a essaimé dans d’autres démocraties, où la gauche et l’islamisme ont trouvé des terrains d’entente sur des combats communs, souvent liés à la dénonciation de l’impérialisme occidental ou à la défense des droits des minorités.
Dans le même temps, la gauche occidentale a elle-même évolué, porteuse d’une nouvelle génération de militants dont les références idéologiques diffèrent profondément de leurs prédécesseurs. La politique identitaire, l’intersectionnalité, la théorie critique de la race et des privilèges sont devenues les paradigmes dominants, surtout parmi les jeunes activistes. Ces concepts, qui visent à révéler et combattre les oppressions systémiques — qu’elles soient raciales, de genre, ou sociales — ont redéfini les luttes progressistes, souvent dans un vocabulaire radical et une posture moralisante.
Or, cette évolution a offert un terreau fertile à l’islamisme occidental pour s’implanter plus profondément dans les milieux militants. Le discours islamiste, fondé sur la dénonciation d’un Occident persécuteur et dominateur, s’est trouvé magnifiquement réconcilié avec cette rhétorique progressiste. La « blanchité » ou « whiteness », concept dénonçant la suprématie blanche comme structure oppressive, rejoint le narratif islamiste qui attribue à l’Occident la responsabilité historique et contemporaine des souffrances des musulmans. Cette convergence facilite la légitimation des revendications communautaristes, telles que la demande d’espaces sociaux, éducatifs et juridiques séparés — des « safe spaces » où les musulmans pourraient se protéger du racisme structurel et préserver leur identité.
L’image de la « communauté assiégée », longtemps véhiculée par les Frères musulmans — qui voyaient dans la constitution d’un « ghetto musulman » une étape stratégique — se trouve aujourd’hui renforcée et sanctifiée dans le discours identitaire dominant. Ces espaces sécurisés sont présentés non comme des enclaves séparatistes, mais comme des refuges nécessaires à la survie identitaire, un bouclier contre un Occident supposé hostile.
Parallèlement, l’instrumentalisation de l’islamophobie par les islamistes occidentaux constitue une arme rhétorique d’une redoutable efficacité. Si la discrimination envers les musulmans existe indéniablement — des actes violents aux micro-agressions quotidiennes —, les islamistes en amplifient la portée pour en faire un pilier identitaire et politique. Cette dramatisation participe à forger un sentiment de victimisation collective, mobilisateur et fédérateur, qui légitime leur position de « gardiens » et de « défenseurs » de la communauté musulmane face à un Occident « oppresseur ».
À l’intérieur des communautés musulmanes, ce récit trouve un puissant écho. Face à la peur, au rejet, à la stigmatisation, nombre d’individus s’enracinent dans cette identité collective, renforçant les dynamiques communautaires et l’autorité des leaders islamistes. Ceux-ci deviennent les figures centrales, prêtes à endosser la fonction de protecteurs, souvent en durcissant leurs positions, voire en muselant la dissidence.
À l’extérieur, cette même rhétorique facilite l’établissement d’alliances politiques larges. Les islamistes occidentaux ont su inscrire la lutte contre l’islamophobie dans un cadre plus vaste d’injustices structurelles affectant diverses minorités. Ce positionnement leur a permis de s’allier à des groupes de défense des droits civiques, à des organisations antiracistes, mais aussi — paradoxalement — à des entités représentant des communautés auxquelles l’islamisme a historiquement manifesté de l’hostilité, comme certains groupes juifs ou LGBTQ+. Ces alliances, parfois fragiles et contradictoires, élargissent leur influence, renforcent leur légitimité et leur permettent de neutraliser les critiques en les qualifiant de « racisme systémique » ou de « suprématie blanche ».
De cette manière, toute remise en cause de l’islamisme, qu’elle soit politique, sociale ou religieuse, est rapidement disqualifiée sous l’étiquette d’islamophobie. Cette tactique de stigmatisation joue un rôle central dans la défense et la propagation du mouvement. Elle rend inaudibles les voix critiques, y compris celles de musulmans courageux qui dénoncent les dérives autoritaires et les dangers du fondamentalisme.
L’histoire récente en fournit de multiples illustrations. Des crises politiques internationales — comme l’affaire Salman Rushdie, les caricatures danoises, ou les conflits israélo-palestiniens — ont systématiquement été investies par les islamistes pour nourrir cette lecture victimaire et pour asseoir leur position de porte-parole unique des musulmans. Dans chaque épisode, ils ont mobilisé leurs ressources organisationnelles et leur capacité de mobilisation pour ériger ces événements en preuve d’un complot occidental global contre l’islam et ses fidèles.
L’enjeu est immense. La construction d’une identité collective assiégée justifie un resserrement communautaire, une montée en puissance des dirigeants capables de défendre la « cause » avec fermeté, souvent au détriment des libertés individuelles, des femmes, des minorités internes. La victimisation, cultivée avec soin, devient le moteur d’une mobilisation émotionnelle et politique sans faille.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la place nouvelle que l’islamisme a su conquérir dans le paysage politique occidental bouleversé par la montée des politiques identitaires. Son habileté stratégique consiste à naviguer dans ce courant en constante évolution, à séduire des alliés insoupçonnés, et à faire valoir son influence en se parant des oripeaux du progressisme. Mais ce succès apparent s’accompagne d’un risque majeur : celui d’une société fracturée, où la défense des droits particuliers prime sur l’universalisme, où la cohésion républicaine se délite au profit de communautarismes antagonistes.
Loin d’être une simple alliance tactique ou un phénomène marginal, ce rapprochement entre islamisme et gauche radicale redessine les lignes politiques et sociales de nos démocraties. Pour y répondre, il ne suffira pas de rejeter ou d’ignorer cette réalité. Il faudra en saisir les mécanismes, en décoder les langages, en combattre les stratégies sans renoncer aux principes universels qui fondent nos sociétés.
4 – Quand l’islamisme se grime en progressisme
Dans l’ombre des slogans antiracistes, des marches pour la justice climatique et des luttes pour l’égalité, un nouveau visage de l’islamisme s’avance. Moins barbu, plus diplômé. Moins dogmatique en apparence, plus habile dans la rhétorique. À mesure que les sociétés occidentales s’embrasent sous les feux croisés du wokisme et de l’hypermoralisme victimaire, certains groupes islamistes y trouvent un terrain fertile, une langue commune, une tribune inespérée.
Car voilà que les porte-parole d’un islam politique autrefois marginalisé réapparaissent, flanqués des habits du progressisme. Le vocabulaire a changé : on ne parle plus de charia mais de justice sociale, plus de jihad mais de résistance aux structures d’oppression, plus de califat mais de décolonisation des savoirs. On milite pour la Palestine dans les mêmes termes qu’on dénonce les violences policières, on brandit le hijab comme un étendard féministe, on fait du blasphème une forme de racisme d’État. L’islamisme a recyclé son logiciel.
Ce glissement n’est pas seulement stratégique, il est générationnel. La nouvelle garde islamiste est née, pour l’essentiel, dans les démocraties occidentales. Elle a grandi dans les universités, non pas religieuses mais sociologiques, là où les concepts de domination, d’intersectionnalité et d’oppression forment le terreau de toutes les indignations. Ces jeunes militants parlent woke couramment, avec un accent impeccable. Ils dénoncent le capitalisme, la colonisation, le patriarcat blanc, tout en promouvant des normes et des croyances qui, à bien y regarder, n’ont rien d’émancipateur.
Alors, posture ou sincérité ? Difficile à dire. Certains semblent croire sincèrement qu’ils peuvent faire cohabiter les impératifs du dogme islamiste avec les utopies progressistes. D’autres, plus cyniques, ont compris tout le bénéfice politique d’un tel camouflage. La confusion fait leur force. L’ambiguïté leur sert de levier.
Mais au-delà des trajectoires individuelles, un phénomène plus structurant est à l’œuvre. Ce n’est pas simplement l’histoire de jeunes croyants devenus sensibles aux injustices du monde. C’est celle d’organisations islamistes bien établies, dotées de moyens financiers colossaux, qui investissent méthodiquement ces nouveaux espaces d’influence. Elles forment, financent, médiatisent. Elles savent que le lexique du wokisme ouvre des portes que leur propre vocabulaire ferme. Elles misent sur une stratégie d’entrisme idéologique, où le combat pour l’« égalité » devient un cheval de Troie.
La vitrine de cette stratégie s’appelle AJ+, déclinaison numérique et « jeune » du réseau Al Jazeera[12]. Derrière une façade chatoyante de reportages inclusifs, de formats courts sur TikTok, de mots doux pour les opprimés, AJ+ diffuse un récit où l’Occident est toujours coupable, les États-Unis toujours impérialistes, Israël toujours colonial. Le tout saupoudré de hashtags progressistes. On y parle de justice raciale, de privilège blanc, de capitalisme destructeur, et l’on y glisse, comme par effraction, une vision islamiste du monde, subtilement formulée, parfaitement marketée.
Ce qui autrefois se disait en prêche se dit désormais en stories. La leçon est simple : pour convaincre les nouvelles générations, il ne faut plus verser dans l’appel au martyre, mais dans la dénonciation de l’oppresseur. Et l’oppresseur a changé de nom : il s’appelle « système », « Occident », « hégémonie blanche », « élite libérale », « laïcité raciste ». L’islamisme, pour avancer, s’est approprié les mots de ses anciens adversaires.
Ce que l’on voit émerger, ce n’est donc pas un reniement de l’idéologie islamiste, mais une hybridation inquiétante. Une ruse doctrinale. Une forme de mimétisme stratégique. Il ne s’agit plus de conquérir le monde par la terreur, mais de l’influencer de l’intérieur par les codes du moment. Le discours change, les visages aussi, mais le projet reste le même : faire plier la société à une vision totalisante du sacré, en l’enrobant d’un vocabulaire séculier.
Sous des dehors inoffensifs et colorés, AJ+ version française applique méthodiquement la même recette : s’approprier les codes culturels des jeunes générations pour inoculer une vision du monde polarisée, victimaire, résolument hostile aux démocraties occidentales. Le ton est léger, le format calibré pour TikTok, mais le message est constant : l’Occident est intrinsèquement raciste, irrémédiablement inégalitaire, moralement disqualifié.
On y surjoue la dénonciation des stéréotypes dans la culture pop ― la blancheur dominante dans l’univers de Harry Potter, les coiffures de stars blanches accusées de pillage ethnique, les campagnes de lutte contre le racisme qui mettent trop en avant des visages jugés « non-représentatifs ». Tout devient prétexte à alimenter le ressentiment identitaire, à délégitimer la culture majoritaire, à souffler sur les braises d’un communautarisme déguisé en vigilance sociale. L’islamisme n’est pas explicitement revendiqué dans ces contenus, mais l’arrière-plan idéologique est clair : miner la confiance dans les institutions républicaines, semer le doute dans les esprits, et affaiblir l’adhésion des jeunes à l’idée même d’un récit national partagé.
Et lorsque l’opportunité se présente, la façade progressiste laisse place à un soutien beaucoup plus assumé à des figures de l’islam politique. Ainsi, AJ+ n’a pas hésité à relayer massivement les campagnes de défense de Tariq Ramadan[13], intellectuel au pedigree islamiste notoire, accusé de viols en série. Peu importe les faits, l’important est la posture : celle d’un homme musulman présenté comme victime d’un système judiciaire raciste et islamophobe, quand bien même les accusations proviennent de femmes musulmanes.
Depuis que le gouvernement français a durci son discours et ses politiques face à l’islamisme, la chaîne francophone d’AJ+ a intensifié ses attaques contre la République. Les lois contre les signes religieux dans l’espace public sont comparées, sans gêne, à celles des régimes théocratiques les plus brutaux. La France est rangée dans le même camp que l’Arabie Saoudite, l’Iran ou les talibans. Le déni est total, la calomnie savamment emballée.
Mais AJ+ n’est que la partie visible de l’iceberg. Tandis que la chaîne séduit par ses formats courts et ses indignations calibrées, d’autres structures, plus austères, mènent un travail d’entrisme intellectuel au nom d’un islamisme réinventé sous l’étiquette « scientifique ». C’est à Istanbul que se joue une partie décisive de cette stratégie.
Le Center for Islam and Global Affairs[14] (CIGA), rattaché à l’université Zaim, se présente comme un centre de recherche indépendant. En réalité, il s’agit d’un hub idéologique lié au pouvoir islamo-conservateur turc, financé par l’État et piloté par l’ex-activiste palestinien Sami al-Arian. Ce dernier, longtemps impliqué dans des réseaux islamistes radicaux, a été condamné aux États-Unis pour ses liens directs avec le Jihad islamique palestinien, organisation désignée comme terroriste par Washington. Après sa libération, il s’est réfugié en Turquie, où il a pu, en toute impunité, reprendre ses activités sous couvert d’université.
Depuis 2018, le CIGA organise chaque année une grand-messe de la lutte contre « l’islamophobie », terme attrape-tout devenu l’arme rhétorique par excellence des mouvances islamistes pour disqualifier toute critique. Les intervenants ? Un mélange soigneusement dosé d’intellectuels islamistes, de militants communautaristes, de chercheurs activistes et de figures controversées du djihadisme juridique. L’idée est simple : fabriquer une respectabilité académique à une idéologie politique, en la déguisant en combat pour les droits humains.
On y retrouve des relais bien connus : Yasin Aktai[15], conseiller de Recep Tayyip Erdogan ; Chafika Attalai[16], militante du CCIF dissous en France après l’assassinat de Samuel Paty ; Moazzam Begg[17], ex-détenu de Guantanamo et figure de proue de l’organisation britannique Cage, devenue une plateforme de légitimation du radicalisme. Tous se retrouvent, dans un même élan, pour tisser une toile de récits victimaires, pour décrédibiliser les institutions occidentales, pour préparer idéologiquement le terrain à une forme de subversion douce.
Symbole de cette stratégie transnationale, un nom revient avec insistance : Farid Hafez[18]. Jeune universitaire autrichien, polyglotte et bardé de titres, Hafez est devenu le visage savant de ce qu’on pourrait appeler la soft théologie politique. Il publie, enseigne, voyage, participe à toutes les conférences-clés. Sa prose adopte tous les codes du wokisme universitaire, empruntant à l’intersectionnalité, à la critique post-coloniale et aux théories critiques de la race. Il se présente en défenseur des musulmans d’Europe, mais derrière ses concepts se profile une vision résolument islamiste du monde.
Hafez est soutenu à la fois par le CIGA et par la Bridge Initiative, think tank hébergé par l’université de Georgetown, lui-même financé à coups de millions par des mécènes saoudiens. Là encore, les apparences sont soignées : on parle de dialogue interreligieux, d’étude des préjugés, de promotion de la paix. En coulisses, les liens personnels entre les figures centrales sont troublants. John Esposito[19], directeur du centre, est un proche de Sami al-Arian. Jonathan Brown[20], autre pilier de l’initiative, est marié à la fille d’al-Arian. Et l’on retrouve Leila al-Arian[21] comme productrice chez Al Jazeera. Tout se tient. Tout s’imbrique.
Mais les connexions intellectuelles ne suffisent pas à expliquer la trajectoire de Farid Hafez. En novembre 2020, il est arrêté dans le cadre de l’Opération Luxor, vaste offensive antiterroriste lancée par les autorités autrichiennes contre les réseaux islamistes. L’affaire provoque une onde de choc. Hafez se pose en victime d’un État répressif, va jusqu’à comparer la répression qu’il subit à la Shoah et au sort des Ouïghours en Chine. La provocation est abyssale. Elle révèle l’ampleur de la dérive : un mélange de relativisme moral, de déni, de stratégie de retournement victimaire.
Il devient alors une icône dans certains cercles : pétitions, tribunes, campagnes de soutien s’enchaînent. L’homme incarne à lui seul cette nouvelle matrice : un islamisme à cravate, allié à un gauchisme identitaire, recyclé en défenseur des droits humains. Le discours est impeccable, la posture séduisante. Mais le projet, lui, demeure inchangé : déconstruire les fondements des sociétés ouvertes pour imposer une autre norme, à la fois religieuse, politique, globale.
Sur la scène universitaire européenne, Farid Hafez s’est imposé comme la figure centrale d’un militantisme savamment travesti en recherche académique. Son rôle de corédacteur du European Islamophobia Report (EIR), publié annuellement depuis 2015, lui a permis de bâtir une influence croissante sous couvert de défendre les musulmans d’Europe. En réalité, cet imposant rapport de plus de 900 pages, couvrant plus de trente pays, fonctionne comme un réquisitoire contre toute critique ― même modérée ― de l’islamisme. Le choix de la couverture de l’édition 2021, représentant le président français Emmanuel Macron, n’est pas anodin : il désigne clairement les cibles. Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences ou d’insultes antimusulmanes, mais aussi les responsables politiques qui osent affirmer que la République ne pliera pas face à l’islam politique.
Cette entreprise se révèle d’autant plus suspecte qu’elle est intimement liée à la Turquie d’Erdogan. Le coéditeur du rapport, Enes Bayrakli[22], fut longtemps directeur du département Europe de la fondation SETA (Siyaset, Ekonomi ve Toplum Araştırmaları Vakfı), un think tank proche de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir à Ankara. Officiellement indépendante, la SETA est en réalité une courroie de transmission de la propagande de l’État turc. Son fondateur, İbrahim Kalın[23], actuel porte-parole d’Erdogan, a même cosigné un ouvrage avec John Esposito – pilier de la Bridge Initiative à Georgetown et proche de Sami al-Arian. Il siège d’ailleurs à ses côtés au sein du Alwaleed Bin Talal Center for Muslim-Christian Understanding[24].
L’European Islamophobia Report fut d’abord publié directement par la SETA, avec des financements partiels issus de l’Union européenne dans le cadre du Dialogue UE-Turquie sur la société civile. Ce financement suscita un tollé. Plusieurs députés européens, ainsi que des gouvernements nationaux, s’indignèrent publiquement de voir des fonds communautaires soutenir un rapport émanant d’un organe si étroitement lié au pouvoir turc. En réaction, l’édition 2020 fut transférée à une structure de façade : l’Institut Leopold-Weiss, basé à Vienne, qui ne dispose d’aucun site Internet ni d’activité publique connue. Son directeur officiel n’est autre que Farid Hafez lui-même.
Mais les connexions turques n’ont jamais vraiment disparu. À plusieurs reprises, le lancement de l’EIR s’est fait avec la bénédiction et la participation de hauts responsables de l’État turc. En 2018, Faruk Kaymakci, alors vice-ministre des Affaires étrangères, chargé des affaires européennes, avait profité de la présentation du rapport pour avancer un plaidoyer en faveur de l’entrée de la Turquie dans l’UE. Selon lui, l’adhésion d’Ankara serait l’antidote à l’islamophobie en Europe : « Avec l’adhésion de la Turquie, l’Union peut changer son image. Sinon, elle sera perçue comme un club chrétien impérialiste. »
Derrière le vernis universitaire, se dessine ainsi une stratégie claire : instrumentaliser la cause légitime de la lutte contre les discriminations antimusulmanes pour délégitimer toute critique de l’islamisme, affaiblir les démocraties libérales et renforcer l’influence des puissances autoritaires. L’EIR, sous couvert de vigilance humaniste, s’inscrit dans une architecture idéologique qui mêle propagande d’État, islamisme mondialisé et rhétorique progressiste. Farid Hafez n’en est que l’un des visages : un intellectuel qui manie les codes du wokisme pour les fondre dans la matrice d’un projet beaucoup plus large – celui d’un soft power islamiste nourri de dollars qataris, de relais turcs et de complicités occidentales.
5 – L’islamisme woke conquérant
L’un des paradoxes les plus inquiétants de notre époque tient à cette étrange alliance entre certains milieux dits « progressistes » et des acteurs islamistes qui, en adoptant les codes du discours woke, parviennent à se présenter comme victimes d’un système oppressif, tout en portant un projet profondément réactionnaire.
Qu’ils le fassent par conviction ou par opportunisme, les islamistes qui empruntent aujourd’hui les habits de la lutte antiraciste et de la justice sociale réussissent ce que leurs prédécesseurs n’avaient jamais pu accomplir : obtenir une reconnaissance dans des milieux intellectuels et militants qui leur étaient jadis hostiles. On les retrouve désormais dans les ONG, les institutions culturelles, les universités, parfois jusque dans les cercles du pouvoir. Leur proximité avec ces sphères progressistes leur sert de rempart contre toute accusation d’islamisme : comment soupçonner d’intentions rétrogrades ceux qui parlent d’inclusion, de minorités, de justice ?
Mais depuis quelques années, une prise de conscience s’amorce. C’est surtout en France ― et plus largement dans l’espace francophone ― que les inquiétudes sont les plus vives. Là, le mot même d’« islamo-gauchisme », honni des uns, salutaire pour les autres, fait irruption dans le débat public, jusqu’au sommet de l’État. La ministre Frédérique Vidal n’a pas hésité à dire que cette idéologie ronge notre société. Et elle n’est pas la seule. Jean-Michel Blanquer était également de ces vigies nécessaires à la préservation de la laïcité.
À Bruxelles, le Forum of European Muslim Youth and Student Organisations[25] (FEMYSO), longtemps piloté par des descendants de figures influentes des Frères musulmans, a ainsi reçu des financements européens pour promouvoir des campagnes contre cette satanée « islamophobie de genre » ― entendez : défendre le port du voile au nom de la liberté féminine. Le tout, enveloppé d’un lexique militant importé des campus américains, où l’intersectionnalité devient l’alpha et l’oméga de toute analyse sociale. À travers FEMYSO et d’autres structures du même type, l’idéologie islamiste se maquille d’ultraprogressisme, s’habille des couleurs de la diversité, et pénètre des espaces autrefois imperméables à toute tentation communautariste.
Mais la riposte ne vient pas uniquement des sphères gouvernementales. Des intellectuels, souvent issus du monde musulman, tirent la sonnette d’alarme. Toute critique devient alors un blasphème racial. En d’autres termes, l’islamisme a su instrumentaliser la cause antiraciste pour sanctuariser son discours. Dès lors, s’opposer à ses dogmes devient suspect. C’est là le génie stratégique du terme « islamophobie » : mêler religion et race, foi et identité, pour museler toute contestation.
On pourrait y voir un simple calcul cynique. Mais il est possible aussi d’y déceler une mue plus profonde : l’occidentalisation partielle de l’islamisme. Une nouvelle génération, née et élevée en Europe, adopte ― au moins en surface ― certains codes du discours progressiste. Ce mélange pourrait conduire à une dilution du projet islamiste traditionnel, à sa fragmentation en tendances parfois contradictoires. Reste à savoir si cette hybridation affaiblira l’idéologie ou la rendra plus pernicieuse encore.
Certains, comme l’activiste belgo-libanais Dyab Abou Jahjah[26], observent cette évolution avec circonspection. Il préfère, dit-il, que les islamistes se réclament du progressisme plutôt que du djihadisme. Mais il voit bien ce que cache ce glissement : une attaque plus subtile contre la modernité, contre la laïcité, contre l’universalisme, menée cette fois dans une alliance élargie, parée des vertus de la tolérance et de la justice sociale. Ce nouvel islamisme ne rêve plus d’un califat imposé par la force. Il rêve d’archipels communautaires, de « safe spaces » identitaires, d’un monde éclaté où chacun vivrait selon ses propres lois, ses propres valeurs, son propre rapport au monde. Une mosaïque sans ciment.
Et c’est là que le danger devient systémique. Car avec la montée de ces courants, c’est l’idée même d’universel qui vacille. En France, l’universalisme républicain, déjà contesté par les tenants de la postmodernité, se voit attaqué par un front commun où se retrouvent des islamistes et des militants progressistes radicaux. Tous rejettent la norme commune, lui préférant l’empilement infini des exceptions. L’intersectionnalité devient un piège, non une solution. Et si, demain, ces exceptions devenaient la règle ? Si l’on exigeait des tribunaux séparés, des lois adaptées, des droits différenciés ? Quelle société reste-t-il alors ?
Ce qui se joue ici n’est pas une simple querelle sémantique. C’est une bataille de civilisation. Une bataille pour la sauvegarde de l’universel, pour le refus des assignations identitaires, pour la défense de la laïcité comme espace de liberté. Et face à cette offensive masquée, il est impératif de garder les yeux ouverts.
L’islamisme woke ne défile pas dans les rues, il infiltre les esprits. Il ne brandit pas le sabre, il distille le soupçon. Il n’interdit pas, il culpabilise. Il ne conquiert pas par la force, mais par la confusion. Il est, pour cette raison même, d’autant plus redoutable. Et c’est pourquoi il faut, plus que jamais, lui opposer une lucidité sans faille et une résistance sans relâche.
Kamel Bencheikh
Index des noms propres
Abou Jahjah, Dyab
Aktai, Yasin
Al-Arian, Sami
Al-Banna, Hassan
Attalai, Chafika
Bayrakli, Enes
Begg, Moazzam
Blanquer, Jean-Michel
Erdogan, Recep Tayyip
Fanon, Frantz
Ghannouchi, Rached
Kalin, Ibrahim
Kaymakci, Faruk
Kherigi, Intissar
Qutb, Sayyid
Saïd, Edward
[1] Sayyid Qutb (1906-1966) est un idéologue égyptien considéré comme l’un des penseurs majeurs de l’islamisme radical contemporain. Membre influent des Frères musulmans, il a développé une vision théocratique du monde, rejetant la démocratie, la laïcité et l’Occident, qu’il qualifiait de « jahiliyyah » (ignorance préislamique). Son ouvrage À l’ombre du Coran et surtout Jalons sur la route appellent à la mise en place d’un État islamique fondé sur la charia. Emprisonné par le régime de Nasser, il fut exécuté en 1966, devenant un martyr pour les mouvements djihadistes. Sa pensée a inspiré Al-Qaïda et d’autres groupes extrémistes.
[2] Hassan al-Banna (1906-1949) est le fondateur des Frères musulmans, organisation islamiste née en Égypte en 1928. Instituteur de formation, il prône le retour à un islam pur et global, englobant tous les aspects de la vie : spirituel, politique, social et économique. Rejetant la laïcité, le colonialisme et les influences occidentales, il appelle à l’instauration d’un État régi par la charia. Son mouvement combine prédication religieuse, action sociale et militantisme politique. Sous sa direction, les Frères musulmans deviennent une force populaire de masse. Il est assassiné en 1949, dans un contexte de tensions croissantes avec le pouvoir égyptien.
[3] Frantz Fanon (1925-1961) est un intellectuel, psychiatre et révolutionnaire martiniquais, figure majeure de la pensée anticolonialiste. Engagé aux côtés du FLN durant la guerre d’Algérie, il analyse les effets psychiques et sociaux du colonialisme sur les colonisés dans des ouvrages essentiels comme Peaux noires, masques blancs et Les Damnés de la terre. Fanon y dénonce la violence structurelle du système colonial et justifie, dans certains cas, la violence des colonisés comme moyen de libération. Il prône une émancipation totale, politique et psychique, des peuples opprimés. Mort à 36 ans d’une leucémie, son œuvre a profondément influencé les mouvements de libération en Afrique, en Amérique latine et au sein des luttes afro-américaines.
[4] Edward Said (1935-2003) est un intellectuel palestino-américain, critique littéraire et figure fondatrice des études postcoloniales. Professeur à Columbia University, il devient célèbre avec son ouvrage Orientalism (1978), dans lequel il démontre comment l’Occident a construit une image stéréotypée et infériorisante de l’Orient pour mieux le dominer. Said y analyse la relation entre savoir et pouvoir, montrant que la culture occidentale a souvent légitimé l’impérialisme. Défenseur de la cause palestinienne, il plaide pour un dialogue entre les cultures, tout en restant critique de l’autoritarisme au sein du monde arabe. Son œuvre mêle rigueur universitaire et engagement politique, influençant durablement les sciences humaines.
[5] Gamal Abdel Nasser (1918-1970) est une figure emblématique du nationalisme arabe et président de l’Égypte de 1956 jusqu’à sa mort. Officier de l’armée, il prend le pouvoir en 1952 après la révolution des officiers libres, mettant fin à la monarchie et au protectorat britannique. Nasser promeut le panarabisme, l’anticolonialisme et le socialisme arabe, nationalise le canal de Suez en 1956, provoquant une crise internationale. Il modernise l’Égypte par des réformes agraires et des grands travaux publics. Son charisme et ses idéaux inspirent les mouvements indépendantistes du tiers-monde, mais ses défaites militaires, notamment en 1967 face à Israël, affaiblissent son influence. Nasser reste une icône pour beaucoup, symbole de dignité et de résistance arabe.
[6] Jamaat-e-Islami est un mouvement islamiste fondé en 1941 par l’intellectuel pakistanais Abul Ala Maududi. Son objectif est de construire une société gouvernée par la charia, en opposition aux influences occidentales et aux régimes laïques. Jamaat-e-Islami prône un islam politique intégral, mêlant prédication religieuse, action sociale et engagement politique. Très actif au Pakistan, en Inde et au Bangladesh, le mouvement a aussi influencé des groupes islamistes dans d’autres pays musulmans. Il défend une vision conservatrice de la société, s’opposant notamment à la démocratie libérale et à la sécularisation. Jamaat-e-Islami joue un rôle important dans la diffusion de l’islam politique en Asie du Sud.
[7] Milli Görüş (qui signifie « Vision nationale » en turc) est un mouvement islamiste fondé dans les années 1960 par Necmettin Erbakan en Turquie. Initialement un mouvement de renouveau religieux et social, Milli Görüş promeut une société basée sur les valeurs islamiques traditionnelles et un nationalisme islamique. Il s’oppose à la laïcité rigide imposée par la République turque kémaliste et critique l’influence occidentale. Le mouvement a développé une importante présence politique, notamment à travers plusieurs partis proches d’Erbakan, ainsi qu’une forte implantation dans les communautés turques en Europe. Milli Görüş est souvent perçu comme un acteur clé de l’islam politique turc, avec une influence durable dans la sphère religieuse et politique.
[8] Le TED Talk est une conférence courte et percutante organisée par TED (Technology, Entertainment, Design), une organisation à but non lucratif créée en 1984. Ces interventions, généralement d’environ 10 à 20 minutes, visent à partager des idées innovantes, inspirantes ou provocantes dans des domaines variés comme la science, la technologie, l’art, l’éducation ou le développement personnel. Les TED Talks sont diffusés gratuitement en ligne, rassemblant une communauté mondiale d’auditeurs curieux. Leur format dynamique et accessible a popularisé la diffusion rapide de savoirs et de réflexions, devenant une référence pour l’échange d’idées de qualité.
[9] Stop the War Coalition (STWC) est une organisation pacifiste britannique fondée en 2001, peu après les attentats du 11 septembre, pour s’opposer à la guerre « contre le terrorisme » menée par les États-Unis et leurs alliés. Le mouvement milite contre les interventions militaires occidentales, notamment en Afghanistan, en Irak et en Libye, dénonçant leurs conséquences humanitaires et géopolitiques. STWC organise des manifestations, des campagnes de sensibilisation et des débats publics, rassemblant à la fois des activistes de gauche, des pacifistes et des critiques de la politique étrangère occidentale. Souvent critiquée pour des alliances jugées ambivalentes, l’organisation reste un acteur important du mouvement anti-guerre au Royaume-Uni.
[10] La Muslim Association of Britain (MAB) est une organisation musulmane fondée au Royaume-Uni en 1997. Elle se donne pour mission de représenter les musulmans britanniques, de promouvoir l’engagement civique, l’éducation islamique et le dialogue interreligieux. Cependant, la MAB est souvent décrite comme étant proche des Frères musulmans, ce qui a suscité des controverses, notamment en lien avec certaines positions politiques ou alliances avec des groupes islamistes à l’international. Elle a participé activement à des campagnes comme Stop the War Coalition, notamment contre la guerre en Irak. Si elle se présente comme un acteur modéré et citoyen, ses connexions idéologiques suscitent un débat récurrent au Royaume-Uni sur la frontière entre islam et islamisme dans l’espace public.
[11] Respect – The Unity Coalition est un parti politique britannique fondé en 2004 par George Galloway, avec le soutien du Socialist Workers Party (SWP) et de la Muslim Association of Britain (MAB), dans le sillage du mouvement contre la guerre en Irak. Son nom est un acronyme : Respect, Equality, Socialism, Peace, Environmentalism, Community, Trade-unionism. Le parti se positionne à gauche, défendant la justice sociale, la nationalisation des services publics, une fiscalité équitable et les droits des minorités, notamment musulmanes. Il connaît un succès électoral notable avec l’élection de Galloway à la Chambre des Communes en 2005 (Bethnal Green and Bow) puis en 2012 (Bradford West). Toutefois, des tensions internes entre le SWP et Galloway mènent à des scissions dès 2007. Le parti décline progressivement, notamment avec l’arrivée de Jeremy Corbyn à la tête du Labour, et est dissous en 2016. Respect symbolise une tentative singulière d’alliance entre gauche radicale et islam politique dans la sphère électorale britannique.
[12] Al Jazeera, fondée en 1996 au Qatar, est devenue un acteur majeur du paysage médiatique arabe et international grâce à son journalisme souvent critique et indépendant des régimes autoritaires de la région. Si la chaîne a joué un rôle important dans la couverture des soulèvements populaires, notamment les printemps arabes, elle a aussi été accusée par certains gouvernements et analystes de donner une tribune à des courants islamistes, notamment aux Frères musulmans et à leurs alliés, ce qui a suscité des polémiques sur son impartialité. Le Qatar, pays hôte d’Al Jazeera, est parfois perçu comme soutenant certains groupes islamistes, ce qui alimente ces critiques. Néanmoins, la chaîne reste un média influent qui a profondément modifié la manière dont l’actualité est traitée dans le monde arabe, mêlant information, diplomatie et enjeux géopolitiques.
[13] Tariq Ramadan est un intellectuel suisse d’origine égyptienne, né en 1962, petit-fils du fondateur des Frères musulmans, Hassan al-Banna. Professeur d’études islamiques, il est connu pour son travail sur la réforme de l’islam en Europe, prônant un « islam européen » conciliant foi et modernité. Il cherche à promouvoir un dialogue entre musulmans et sociétés occidentales, tout en appelant à un engagement citoyen. Cependant, ses positions sont souvent jugées ambiguës, entre modernisme et conservatisme religieux. Par ailleurs, il a été au cœur de polémiques et d’accusations judiciaires qui ont fortement terni son image publique. Malgré cela, son influence sur les débats autour de l’islam en Occident reste importante et controversée.
[14] Le Center for Islam and Global Affairs (CIGA) est un centre de recherche rattaché à l’université Istanbul Sabahattin Zaim (IZU) en Turquie, fondé en 2017. Il se consacre à l’étude des sociétés musulmanes contemporaines, des relations internationales, de la géopolitique et de l’islamophobie, avec pour objectif de promouvoir une meilleure compréhension des enjeux mondiaux affectant le monde musulman. CIGA se positionne comme un acteur académique engagé, combinant tradition islamique et principes démocratiques, mettant l’accent sur la justice sociale, les libertés civiles et la bonne gouvernance. Il organise régulièrement des conférences internationales réunissant universitaires, experts, décideurs politiques et militants, notamment sur des thèmes comme l’Oumma, la Palestine, ou la place de l’islam dans un monde globalisé. Dirigé par Sami A. Al-Arian, universitaire américano-palestinien connu pour ses engagements politiques controversés, le centre est parfois perçu comme un espace intellectuel proche des orientations du gouvernement turc et de courants islamo-conservateurs. Il s’efforce néanmoins de proposer des recherches sur les dynamiques globales, tout en consolidant des partenariats avec diverses institutions régionales et internationales.
[15] Yasin Aktay, né en 1966 à Siirt en Turquie, est un sociologue et intellectuel turc proche du pouvoir, figure centrale du parti islamo-conservateur AKP. Professeur à l’université Yıldırım Beyazıt d’Ankara, il a fondé plusieurs revues académiques et publie régulièrement dans des journaux pro-gouvernementaux comme Yeni Şafak. Conseiller principal de Recep Tayyip Erdoğan, il a été chargé des droits de l’Homme et des relations avec le monde musulman. Aktay défend une vision d’un islam politique, fondée sur le dialogue, la justice sociale et le leadership régional turc dans l’espace musulman. Il promeut activement les Frères musulmans et d’autres mouvements islamistes comme Jamaat-e-Islami, qu’il considère comme les partenaires naturels du soft power turc. Dans ses discours et écrits, il plaide pour une renaissance islamique mondiale, et parfois même pour une forme symbolique de califat. Ce positionnement lui vaut de nombreuses critiques, notamment de la part de l’opposition turque kémaliste et d’analystes occidentaux, qui le décrivent comme un relais idéologique entre Ankara et les mouvances islamistes régionales.
[16] Chafika Attalai est une chercheuse et militante franco-belge engagée dans la défense des droits humains, notamment des migrants, des apatrides et des musulmans victimes de discriminations. Diplômée en droit, économie, langues, traduction et communication internationale, elle a travaillé dans diverses structures européennes, notamment au sein du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), où elle a coordonné les actions d’advocacy à l’échelle européenne. Attalai a développé une expertise reconnue sur les questions de justice raciale, d’exclusion juridique, d’islamophobie institutionnelle et de droits fondamentaux, en s’appuyant sur une approche intersectionnelle et transnationale. Elle collabore aujourd’hui avec l’organisation EQUINOX et intervient régulièrement dans des forums internationaux pour alerter sur les mécanismes systémiques de discrimination visant notamment les femmes musulmanes, les réfugiés et les personnes sans statut. Son travail mêle recherche académique, plaidoyer politique et mobilisation citoyenne, dans une logique de solidarité globale.
[17] Moazzam Begg, né en 1968 à Birmingham, est un citoyen britannique d’origine pakistanaise devenu une figure emblématique de la critique des dérives sécuritaires post-11 septembre. Arrêté en 2002 au Pakistan, il est transféré successivement à Kandahar, Bagram puis Guantánamo, où il est détenu sans procès pendant près de trois ans par les autorités américaines, accusé à tort de liens avec Al-Qaïda. Il affirme avoir subi tortures, humiliations et interrogatoires abusifs, et témoigne avoir été témoin de la mort de codétenus sous les coups des geôliers. Libéré en 2005 sans la moindre charge, à la suite d’une pression diplomatique du Royaume-Uni, il devient l’une des voix les plus critiques de la « guerre contre le terrorisme », notamment à travers l’organisation CAGE, qu’il rejoint comme directeur de la sensibilisation. Il y milite pour les droits des détenus musulmans et contre les abus des lois antiterroristes britanniques, dénonçant la criminalisation systémique des musulmans. En 2014, il est de nouveau arrêté au Royaume-Uni pour des soupçons liés à la Syrie, mais toutes les charges sont abandonnées après sept mois de détention. Son passeport lui est néanmoins retiré à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’il puisse en obtenir un nouveau en 2022. Auteur du livre Enemy Combatant, où il raconte son calvaire à Guantánamo, Moazzam Begg est devenu une figure controversée, perçue par certains comme un défenseur des libertés fondamentales et par d’autres comme un homme ambigu flirtant avec les lignes rouges de l’islamisme radical.
[18] Farid Hafez, né en 1981 en Autriche, est un politologue de renommée internationale, spécialiste des formes institutionnelles et politiques de l’islamophobie en Europe. Fondateur du Jahrbuch für Islamophobieforschung (Annuaire de la recherche sur l’islamophobie) et coéditeur du European Islamophobia Report, il analyse depuis plus d’une décennie la montée des discours et politiques « anti-musulmans », notamment en Autriche, en France, en Allemagne et dans les pays scandinaves. Ses recherches s’inscrivent dans une approche critique et postcoloniale, dénonçant le populisme islamophobe comme outil de mobilisation électorale de l’extrême droite, mais aussi de certaines droites de gouvernement. Il a enseigné en Autriche avant de rejoindre Georgetown University aux États-Unis, où il collabore avec The Bridge Initiative. En novembre 2020, il est perquisitionné lors de l’« Opération Luxor », vaste offensive sécuritaire du gouvernement autrichien contre ce qu’il appelle « l’islam politique » : aucun chef d’inculpation ne sera finalement retenu, et l’enquête classée. Farid Hafez dénonce cette répression comme une criminalisation de la pensée critique et un glissement autoritaire de l’État autrichien. Auteur de nombreux ouvrages, dont Islamophober Populismus et Wie ich zum Staatsfeind erklärt wurde, il intervient régulièrement dans les médias internationaux pour alerter sur les dangers du racisme d’État et de la dérive sécuritaire en Europe.
[19] John L. Esposito, né en 1940 à Brooklyn, est un universitaire américain de renom spécialisé dans les études islamiques et les relations internationales. Professeur distingué à l’Université de Georgetown, il est également le fondateur du Prince Alwaleed Bin Talal Center for Muslim-Christian Understanding. Auteur de plus de 50 ouvrages, parmi lesquels Islamophobia: The Challenge of Pluralism in the 21st Century et Who Speaks for Islam? What a Billion Muslims Really Think, il a dirigé plusieurs publications de référence telles que The Oxford Encyclopedia of the Islamic World. Consultant pour le Département d’État américain et membre de diverses organisations internationales, Esposito a reçu de nombreuses distinctions pour ses travaux, notamment le Martin E. Marty Award et le Quaid-i-Azam Award. À la tête de The Bridge Initiative, il analyse les manifestations et conséquences de l’islamophobie dans le monde, plaidant pour une meilleure éducation sur l’islam, un dialogue interreligieux renforcé et la distinction claire entre islam modéré et extrémisme. Il est une figure majeure pour la compréhension contemporaine de l’islam et la lutte contre les discriminations.
[20] Jonathan A.C. Brown, né en 1977 à Washington D.C., est un universitaire américain spécialisé en études islamiques, professeur à l’Université de Georgetown où il occupe la chaire Alwaleed bin Talal de civilisation islamique. Converti à l’islam en 1997, il est titulaire d’un doctorat en pensée islamique de l’Université de Chicago. Ses recherches portent principalement sur le hadith, le droit islamique, le soufisme, la poésie préislamique et la théorie lexicale arabe. Auteur de plusieurs ouvrages majeurs tels que Misquoting Muhammad (2014), Slavery and Islam (2019) et Islam and Blackness (2022), ses travaux ont parfois suscité la controverse, notamment sur l’histoire de l’esclavage dans le monde musulman. Brown a mené des recherches dans de nombreux pays musulmans comme l’Égypte, la Syrie, la Turquie, le Maroc, l’Arabie Saoudite, le Yémen, l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Indonésie et l’Iran. Il est également éditeur en chef de l’Oxford Encyclopedia of Islam and Law et reconnu pour sa capacité à combiner rigueur académique et compréhension des traditions islamiques.
[21] Laila Al-Arian est une journaliste et productrice primée basée à Washington D.C., reconnue pour ses documentaires d’investigation diffusés sur Al Jazeera English, notamment la série Fault Lines. Diplômée en littérature anglaise de l’Université de Georgetown et titulaire d’une maîtrise en journalisme de la Columbia Graduate School of Journalism, elle a couvert des sujets variés tels que les détenus de Guantánamo et la réinstallation des réfugiés irakiens aux États-Unis. Co-auteure de Collateral Damage: America’s War Against Iraqi Civilians, elle s’est fait remarquer notamment avec un reportage sur les Palestine Papers et a critiqué la série Homeland pour son islamophobie. Lauréate d’un Emmy pour son film The Ban: The Human Cost of Trump’s Travel Ban, ses documentaires abordent aussi bien l’épidémie d’héroïne aux États-Unis que les conditions de travail dans les usines du Bangladesh. Son travail a été récompensé par plusieurs prix prestigieux, dont le Peabody et le Robert F. Kennedy Journalism Award. Elle est mariée au professeur d’études islamiques Jonathan A.C. Brown.
[22] Enes Bayraklı est un politologue turco-autrichien, professeur agrégé à l’Université turco-allemande d’Istanbul, où il dirige le département de science politique. Titulaire d’un doctorat de l’Université de Vienne, il a également mené des recherches à l’Université de Nottingham. De 2011 à 2013, il a dirigé plusieurs centres culturels Yunus Emre en Europe. Spécialiste des relations internationales, de l’extrême droite européenne et de l’islamophobie, il est surtout connu pour être coéditeur du European Islamophobia Report, un rapport controversé soutenu par Ankara. Il intervient fréquemment dans les médias pro-gouvernementaux turcs et dans des forums internationaux pour dénoncer l’islamophobie en Europe, dans une approche souvent perçue comme instrumentale par ses détracteurs.
[23] İbrahim Kalın est un intellectuel et haut fonctionnaire turc, actuellement directeur des services de renseignement (MIT) depuis juin 2023, après avoir été pendant près de dix ans le porte-parole et conseiller spécial du président Recep Tayyip Erdoğan. Docteur en études islamiques de l’université George Washington, disciple de Seyyed Hossein Nasr, il est aussi l’un des fondateurs du think tank pro-gouvernemental SETA. Spécialiste de la philosophie islamique, des relations islam–Occident et de la géopolitique contemporaine, il a publié plusieurs ouvrages, dont Knowledge in Later Islamic Philosophy (Oxford, 2010). Il parle plusieurs langues (anglais, persan, arabe, français) et cultive une image publique de lettré musicien, jouant du bağlama. Très influent dans la définition de la politique étrangère turque, il incarne une synthèse entre islam politique, stratégie d’État et soft power culturel.
[24] Le Prince Alwaleed Bin Talal Center for Muslim-Christian Understanding (ACMCU), fondé en 1993 à l’université Georgetown à Washington D.C., vise à promouvoir le dialogue entre musulmans et chrétiens, et à renforcer la compréhension mutuelle entre l’Occident et le monde musulman. Rebaptisé en 2005 après un don de 20 millions de dollars du prince saoudien Alwaleed bin Talal, le centre est dirigé par l’islamologue Jonathan A.C. Brown, successeur de John L. Esposito. Il développe des programmes académiques (licence, master), organise des conférences internationales et publie des travaux sur les relations islamo-chrétiennes. Bien que reconnu pour son engagement interreligieux, il est parfois critiqué pour sa proximité idéologique avec certaines visions de l’islam politique promues par ses donateurs.
[25] Le Forum of European Muslim Youth and Student Organisations (FEMYSO), fondé en 1996 et basé à Bruxelles, est un réseau paneuropéen regroupant 32 associations de jeunesse musulmane de 22 pays. Il se présente comme la voix des jeunes musulmans en Europe, œuvrant pour une société inclusive, diversifiée et cohésive. FEMYSO collabore avec des institutions européennes comme le Parlement, la Commission, le Conseil de l’Europe, l’OSCE et l’ONU, menant des campagnes de sensibilisation, des formations et du plaidoyer contre la discrimination. L’organisation a été accusée de liens avec les Frères musulmans, notamment à cause de l’implication d’Intissar Kherigi, fille de Rached Ghannouchi, dans ses rangs, ce que FEMYSO dément fermement en revendiquant son indépendance politique. Malgré ces controverses, FEMYSO reste un acteur influent dans la défense des droits des jeunes musulmans et dans le dialogue interculturel européen.
[26] Dyab Abou Jahjah est un activiste et intellectuel belgo-libanais né en 1971 au Liban. Réfugié en Belgique dès 1996, où il obtient la nationalité par mariage, il se fait connaître comme fondateur en 2000 de la Ligue arabe européenne (LAE), un mouvement nationaliste arabe et antisioniste marqué par un discours provocateur et militant. En 2004, il crée le Parti démocratique musulman (MDP), qui échoue à remporter des sièges aux élections. Après un séjour au Liban à partir de 2006, il revient en Belgique en 2013 pour lancer le mouvement « 30 mars », visant à faire reconnaître la guerre israélo-palestinienne comme génocide. En 2024, il cofonde la Hind Rajab Foundation, une organisation juridique engagée dans la lutte contre l’impunité israélienne. Connu pour ses positions radicales, son franc-parler et son soutien au Hezbollah, Abou Jahjah est une figure controversée, souvent qualifiée de provocateur par ses détracteurs. Il est également l’auteur d’une autobiographie intitulée Entre deux mondes : Les racines d’une lutte pour la liberté.
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