Donald Trump, tout au long de son premier mandat, a été accusé de mentir à une échelle impensable même pour le plus athlétique des sophistes de l’Antiquité. Selon le Washington Post, il a distillé plus de 30 000 déclarations fausses ou trompeuses entre 2017 et 2021. Depuis le lancement de sa première campagne présidentielle en juin 2015, le milliardaire excentrique, puisqu’il est affublé ainsi par les médias, déclenche pour seule réaction simpliste de la part des acteurs qui entrent en collision avec ses hallucinations mensongères, l’offense.
Pas parce que Trissotin est inculte, ignore ou déforme par inadvertance, mais en toute connaissance de cause, parce que sa stratégie politique repose sur une rupture fondamentale avec les mécanismes traditionnels de validation du discours. Pour comprendre ce phénomène, il faut aller au-delà de la critique morale et analyser la manière dont ses propos sont pris la main dans le sac de la manipulation. Nous rappellerons tout d’abord les fondements de la performance mensongère trumpiste. Puis, je recourrai aux outils conceptuels fournis par Gloria Origgi, certes philosophe et chercheuse en sciences sociales, mais surtout authentique « policière scientifique de la vérité ». Et vous verrez que ce concept porte plus de complexité qu’on ne le pense.
La mécanique politique et sociale du mensonge : la vérité comme faiblesse
Trump a construit son succès sur une posture anti-élites. Or, la vérité, validée par des experts ou des institutions scientifiques, est précisément le pilier des élites traditionnelles. Pour Trump, admettre cette vérité reviendrait à renforcer les positions d’un système qu’il cherche à détruire ou, du moins, à discréditer. Par exemple, son refus de reconnaître la gravité du changement climatique n’est pas une simple ignorance, mais une stratégie délibérée pour séduire une base électorale dépendante des industries fossiles. Dire la vérité serait se désarmer dans la bataille culturelle et économique qu’il orchestre.
Trump a émergé dans un paysage médiatique où la vérité objective importe moins que la capacité à attirer l’attention d’une machine médiatique métamorphosée en tonneau des danaïdes par la généralisation des outils et supports numériques.
Trump tamisé par les 5 dimensions de la vérité de Gloria Origgi
Selon Gloria Origgi, la vérité est aujourd’hui un bien relationnel, validé non par son contenu intrinsèque, mais par le réseau social qui la soutient. Trump, maître de la mise en scène, a parfaitement exploité cette logique : ses déclarations fausses ne cherchent pas à convaincre, mais à polariser et à renforcer l’identité de son camp. Par exemple, en affirmant sans preuve que l’élection de 2020 était truquée, il n’a pas cherché à convaincre la majorité, mais à cimenter la loyauté de sa base.
La vérité comme phénomène social : la rupture avec les élites
Mme Origgi soutient que la vérité n’est pas seulement un phénomène objectif ou scientifique, mais avant tout une construction sociale. Ce que nous acceptons comme une « vraie information » dépend de la confiance que nous accordons à nos sources. Autrement dit, la vérité repose sur des réseaux de crédibilité. Dans une société où la vérité est validée par des institutions (scientifiques, médiatiques, académiques), Trump s’est positionné comme l’outsider. Il n’a pas besoin de dire la vérité, car sa base ne la recherche pas dans les institutions traditionnelles. Elle la trouve dans sa parole, qui remplace le rôle des médias traditionnels. Sa promesse de construire un mur à la frontière mexicaine, bien qu’impossible à réaliser dans les termes annoncés, a marqué son rejet des « vérités » administratives. Vous comprenez pourquoi, quoi que l’on pense des journalistes, leur éthique professionnelle exige la vérification des informations ; là est une différence avec nos propres systèmes d’élaboration de la vérité.
La vérité comme réputation : la stratégie du chaos
Pour Mme Origgi, la vérité est liée à la crédibilité des sources. Elle explique que la réputation des individus, institutions ou médias joue un rôle central dans l’établissement de ce que nous considérons comme vrai. Nous ne vérifions pas tout par nous-mêmes, mais nous nous fions à ceux que nous jugeons crédibles. Trump, en multipliant les attaques contre les médias traditionnels (fake news), a délibérément fracturé la hiérarchie des sources. Ce faisant, il a créé une économie où sa propre réputation remplace les faits. Cette réputation qui l’autorise à bâtir son propre réseau social et dont la valeur est telle, que E. Musk a décidé d’acheter son indulgence en lui versant une somme considérable parce qu’il fut évincé de Twitter, le réseau qu’il a racheté et rebaptisé X. Souvenez-vous, en pleine pandémie, son insistance sur des traitements non prouvés (comme l’hydroxychloroquine) n’a pas pour but de convaincre les experts, mais de renforcer son aura de « guide alternatif ».
La vérité comme bien relationnel : renforcer les loyautés
La vérité, selon Mme Origgi, se construit dans les relations sociales. Dans son ouvrage Réputation. Ce que les autres disent de nous, elle rappelle que la vérité ne se situe pas dans les faits eux-mêmes, mais dans la relation que nous entretenons avec les autres. Nous acceptons certaines vérités parce qu’elles sont validées par des groupes sociaux auxquels nous appartenons ou que nous respectons (notre travail, notre famille, notre patrie : oups la gaffe ) Trump recourt à des formes de vérités relationnelles : ses mensonges servent à renforcer le lien avec ses partisans, peu importe leur véracité. Lorsqu’il prétend que les démocrates sont des socialistes radicaux, il joue sur une narration émotionnelle qui renforce les divisions, plutôt que de se baser sur des faits.
La vérité performative : séduire plutôt que prouver
L’autrice affirme que, dans notre monde contemporain, marqué par les réseaux sociaux et les flux rapides d’information, la vérité tend à devenir performative. C’est-à-dire qu’elle doit produire des effets tangibles pour être considérée comme vraie et répandre sa capacité à convaincre, donc à être relayée. Trump, grand utilisateur des réseaux sociaux, a transformé sa vérité en une arme performative : une déclaration est vraie si elle fait parler, polarise et surtout mobilise. La fausse polémique accusant Barack Obama de ne pas être né aux États-Unis a semé le doute dans une partie de la population et galvanisé sa base (concept du birtherism). Le pseudo-complot qui a conduit à l’envahissement du Capitole procédait du même principe manipulatoire.
De la vérité objective à la vérité relationnelle : parler à une communauté
Enfin, Mme Origgi souligne que la vérité moderne n’est plus universelle. Elle montre que dans une société complexe, marquée par une surcharge informationnelle, nous naviguons dans une hiérarchie des sources d’information plutôt que de chercher la vérité absolue. La vérité devient ainsi une question de médiation sociale. Trump s’adresse à une communauté spécifique et adapte sa « vérité » à leurs attentes. Dire la vérité scientifique ou objective serait trahir cette dynamique. Lorsqu’il affirme sa capacité à relancer des industries obsolètes ou minimise le racisme systémique en affirmant que « l’Amérique est la meilleure nation du monde pour les minorités », il parle à une frange de l’électorat blanc qui rejette les discours critiques.
Trump, symptôme d’une crise plus large
À quel point il serait simple et doux de se dépeindre le croquis d’un Trump en première fripouille d’un trafic interlope de contrevérités. Ainsi, nous construirions un système logique rassurant, puisque la téléologie du déviant, forcément manichéenne et teintée de judéo-christianisme, ne peut se concevoir ailleurs que dans les poubelles de l’histoire. Or, comme j’ai tenté de le décrire, Donald Trump ne joue pas dans la catégorie des simples manipulateurs ; il est si simple de voir en lui le négatif du merveilleux destin de Forest Gump. Son système idéologique navigue ailleurs. Or certains continuent à le sous-estimer. Il s’est forgé en promoteur d’un système où la vérité repose sur la définition d’enjeux relationnels et performatifs plutôt que sur la recherche de la logique et la démonstration. Au lieu de se draper dans l’indignation à chaque excès ou mensonge, il faut repenser notre système de défense et comprendre qu’il a forcé deux grandes faiblesses de notre époque. Le monde médiologique décrit par Régis Debray, qui propose d’examiner comment les idées, les croyances, les savoirs ou les institutions se diffusent, se pérennisent ou évoluent grâce aux dispositifs matériels et techniques de communication. Viendra l’exploitation d’une seconde faille, qui promet de faire turbuler bien davantage notre système. Il s’agit de l’injection dans le corps social des idéologies anarcho-capitalistes de ses amis milliardaires d’Afrique du Sud MM. Musk, Thiel et Sacks. À voir dans un prochain épisode !
Jacky Isabello
Pour en savoir plus sur les travaux de Gloria Orrigi :