De la Françafrique et ses financements occultes aux envolées lyriques des néo Che Guevara des rues africaines, en passant par le discours de Ouagadougou du 28 novembre 2017 par lequel le président de la République française avait présenté son ambition de renouveler la relation entre la France et les pays africains ; ainsi que le Nouveau Sommet Afrique-France de Montpellier du 8 octobre 2021 qui avait pour but d’offrir un nouveau cadre de réflexion et d’actions aux nouvelles générations ; force est de constater que la relation Afrique-France est aujourd’hui dans le creux de la vague.
Cet état de déprime, pourtant prévisible pour ceux qui s’intéressent de près aux questions liées au continent noir, est considéré par le noyau dur des frondeurs comme un mouvement de bascule irréversible qui devrait permettre à la nouvelle génération d’Africains de tourner une bonne fois pour toute la page de « l’impérialisme et ses valets locaux », et entrer à cœur vaillant dans une nouvelle ère : celle du partenariat gagnant-gagnant et de l’émergence des pays africains.
Cependant, cette lecture idyllique, dictée par l’air du temps (questions sécuritaires, pauvreté, effondrement du tissu économique et social des subsahariens), très éloignée des considérations géopolitiques, des nouveaux rapports de puissance et des enjeux économiques mondiaux ; et plaçant sur le même piédestal la France, les hommes d’affaires français et les dictatures locales, ne devrait pas clouer au pilori de façon irrémédiable cette relation séculaire, si la France s’engage à un réajustement radical de sa politique et de son regard à l’égard du continent de Nelson MANDELA.
L’effondrement de la politique française en Afrique
Il y a plus de sept ans, le 28 novembre 2017, devant les étudiants de l’Université Joseph KI-ZERBO de Ouagadougou, au Burkina-Faso, le président de la République Emmanuel MACRON affirmait « il n’y a plus de politique africaine de la France ! ».
Et pourtant, depuis les indépendances, à travers les accords militaires, le franc CFA, l’Agence Française de Développement (AFD), la Francophonie et une emprise sur les élites politiques et militaires, le pays du Général de Gaulle avait maintenu son ascendant sur ses anciennes colonies.
Longtemps considérée comme « le gendarme de l’Afrique », la France avait toujours réussi à maintenir la stabilité, quelques fois à marche forcée, par des méthodes que la jeunesse et les populations africaines considéraient comme peu orthodoxes.
Depuis, cinq coups d’états en trois ans et une stratégie très agressive de quelques activistes radicaux soutenus par ceux qui ambitionnent de prendre la place de la France dans le cœur des Africains, ont suffi pour voir toute l’influence française sur le continent s’écrouler comme un château de cartes.
Aussi, la mise en relief dans le débat politique national français d’un argumentaire jugé excessivement « anti-africain » (effets positifs de la colonisation, restrictions de visas et lutte contre les flux migratoires, freins à la mobilité des étudiants africains, propos considérés comme hostiles à l’islam) a également été vécu de façon négative à travers le continent africain.
Ajoutons à cela le fait qu’aujourd’hui, les demandes intempestives de départ des militaires français de certains pays considérés comme des chasses gardées de la France, marque un tournant historique majeur, un véritable camouflet.
Mais, au-delà de ces imbroglios franco-africains, l’ubiquité de certaines puissances comme la Russie à travers le groupe paramilitaire Wagner, une Chine arrivée en rampant avec ses investissements et prêts sans conditionnalité et qui n’a cure de la démocratie, la Turquie, les pays du Golfe ; et même les Etats-Unis, alliés historiques de la France qui n’ont jamais hésité à montrer leur caractère hégémonique, parfois au détriment des intérêts de la France comme ce fût le cas au Niger, il est question pour la France de revoir de fond en comble sa politique en Afrique.
Quelles perspectives pour un nouveau départ ?
Le renouveau de la politique française en Afrique doit partir du postulat selon lequel le rejet actuel de l’influence française s’inscrit dans un contexte plus large : celui des transformations profondes sur le continent africain ; transformations menées tambours battants par une jeunesse plus instruite qui s’identifie à d’autres peuples avec lesquels elle est connectée à travers le monde.
Il est question pour la France d’inventer avec les peuples africains, aussi bien dans son pré-carré que dans d’autres pays (anglophones et lusophones), des politiques prenant en compte les aspirations des peuples.
Il s’agit donc de passer d’une logique passéiste de domination héritée de la colonisation et conduite sur le continent par une poignée d’élites corrompues considérées comme des pions, à une relation basée sur le respect mutuel et des partenariats indubitables et gagnant-gagnant.
Face à la concurrence d’autres puissances (bloc occidental ou sud global) et à la révolution générationnelle en cours sur le continent ; révolution qui s’accompagne d’un renouvellement des élites politiques et économiques, la nouvelle politique de la France en Afrique devrait mettre l’accent sur la formation (in situ) en faveur de cette jeunesse dynamique en quête de repères et sur la simplification de la procédure d’obtention de visas pour les étudiants. De surcroît, il est indispensable que les investissements solidaires français soient axés sur le soutien à l’entrepreneuriat des diasporas, véritables actrices de la croissance des économies africaines.
Par ailleurs, on ne peut parler de renouveau sans aborder la lancinante question de l’un des totems qui rend toxique la relation entre la France et une partie de l’Afrique : le Franc CFA. Anciennement « Franc des Colonies Françaises d’Afrique », aujourd’hui « Franc de la Communauté Financière Africaine », le Franc CFA est considéré comme un avatar de violation de la souveraineté monétaire et un obstacle à la croissance des économies africaines ; et, le cas échéant au développement.
Bien que ce vestige de la Françafrique, utilisé dans quatorze pays du continent, confère une stabilité monétaire grâce à sa parité fixe avec l’Euro et ait permis de faire face à une inflation galopante dans les pays situées hors de la « zone franc », ses effets pervers dans la relation entre l’Afrique et la France plaide pour son abandon. Il convient toutefois de préciser que la balle est dans le camp des états africains concernés. Ces derniers hésitent en effet à aller au bout de la réforme. Aussi, leur priorité actuelle est d’élargir la zone en intégrant le Cap-Vert, la Gambie et surtout le Ghana.
Enfin, à l’image d’autres puissances qui explorent le continent africain, la France devrait réellement faire confiance aux diasporas et aux afro-descendants. Elle devrait miser sur eux. Véritables ponts, ambassadeurs de la relation, leurs impacts sur la métamorphose en gestation est irréfragable.
Sira SYLLA,
Juriste
Laurent DZABA,
Consultant en géopolitique
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