La question du rapport entre la science et l’éthique est depuis longtemps sujette à débat. Dans cet article, Nicolas Marty explore les multiples facettes de cette problématique, tout en s’opposant à la thèse défendue par Bernard Meunier sur l’idée d’une taxe sur l’utilisation d’animaux en laboratoire, en réaction à trois amendements proposés et adoptés par des politiques de tous bords avant d’être rejetés avec l’ensemble de la partie recettes de la loi finance.
Le 22 novembre 2024, Bernard Meunier s’interrogeait dans les colonnes de la Revue Politique et Parlementaire sur l’idée d’une taxe sur l’utilisation d’animaux en laboratoire, en réaction à trois amendements (I-2458, I-3119 et I-3430) proposés et adoptés par des politiques de tous bords avant d’être rejetés avec l’ensemble de la partie recettes de la loi finance. L’idée de ces propositions était de financer le développement des méthodes sans animaux ou l’éventuelle « retraite » des rares animaux qui ne sont pas tués à l’issue des expériences. Mais les personnes impliquées dans l’expérimentation animale y ont vu une attaque contre elles, voire contre la science dans son entier, réagissant par des tribunes, des articles et même des courriers collectifs aux parlementaires.
L’article de Bernard Meunier dénonce quant à lui « la profonde méconnaissance (…) de la vie scientifique de notre pays » par les promoteurs de ces amendements et appelle les parlementaires à discuter avec les personnes qui pratiquent l’expérimentation animale.
Plusieurs de ses affirmations sont cependant fausses.
Concernant les chiffres, l’article affirme que « 67 % des utilisations résultent de contraintes réglementaires établies par les autorités » tandis que « les 33 % restants sont liés à des impératifs de recherche fondamentale ». En fait, d’après le rapport du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche cité par l’auteur, seules 24 % des utilisations relèvent d’obligations de tests réglementaires avant utilisation chez l’être humain, dont 67 % (soit 16 % du total) sont imposés par des législations sur les médicaments à usage humain.
Concernant la réglementation, l’auteur souligne que « toutes les demandes d’expériences sont motivées et examinées par des comités d’éthique dont l’accord est incontournable », mais ne sait peut-être pas que ces comités d’éthique ont fonctionné illégalement pendant dix ans, ni que les inspections constatent que près d’un laboratoire sur cinq est en non-conformité moyenne ou majeure vis-à-vis de la réglementation.
Enfin, l’article met en avant une affirmation qui ressemble fort à un reductio ad hitlerum, ce procédé rhétorique qui tente de discréditer une proposition en l’associant au régime nazi : « N’oublions pas que le premier pays européen à avoir proscrit l’utilisation des animaux dans les laboratoires est l’Allemagne, avec un texte de loi signé par Hermann Goering en novembre 1933 ». Or, l’historienne Élisabeth Hardouin-Fugier a relaté en 2009 dans la Revue Semestrielle de Droit Animalier l’histoire de cette « désinformation récurrente » que constitue l’idée d’une interdiction de l’expérimentation animale par les nazis.
Si l’interdiction de la « vivisection » a bien fait partie des points discutés par le régime nazi au cours de l’élaboration de sa loi de protection des animaux, la loi finalement adoptée en novembre 1933 s’est contentée de mettre en place un système d’autorisation, encore moins contraignant que la loi qui était en vigueur en Angleterre depuis 1876.
L’Allemagne n’a donc jamais interdit l’expérimentation animale, et n’était même pas le premier pays à la réglementer. Pourtant, malgré les « criantes invraisemblances » et les « innombrables textes » disponibles (cités par Hardouin-Fugier), qui confirment notamment la présence de nombreux animaux non-humains destinés aux expériences dans les laboratoires des camps de concentration, le mythe d’une interdiction de l’expérimentation animale par les nazis perdure encore au XXIe siècle.
Finalement, je rejoindrais Bernard Meunier sur l’idée que « ce débat sensible mérite mieux qu’une approche strictement émotionnelle ».
Les nazis n’ont rien à y faire,
pas plus que les faux dilemmes qui suggèrent que la fin de l’expérimentation animale ferait de nous des cobayes. Si l’on veut parler d’histoire, demandons aux historiens et historiennes. Si l’on veut parler de réglementation, demandons aux spécialistes du droit. Si l’on veut parler d’opinion publique, demandons aux sociologues. Et, comme y invite une tribune que j’ai cosignée avec plus d’une vingtaine d’universitaires dans Libération, si l’on veut parler d’éthique, il est temps de donner la parole aux spécialistes de philosophie morale.
Nicolas Marty