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dans Politique

Stopcovid : une application problématique sur le plan éthique et politique

ParPierre-Antoine Chardel,Valérie Charolleset1 autre
11 mai 2020
Stopcovid : une application problématique sur le plan éthique et politique

Pierre-Antoine Chardel, Valérie Charolles et Eric Guichard font le point sur les risques engendrés par la mise en œuvre d’une solution de type Stopcovid, solution techniciste de court terme qui viendrait renforcer une défiance des citoyens envers l’État et ses représentants, ou à l’inverse un excès de confiance dans le numérique, au détriment de projets technologiques soucieux de l’éthique et susceptibles de faire honneur à un État démocratique.

L’application Stopcovid, développée à la demande du secrétaire d’État chargé du Numérique, permettrait, sur la base du volontariat et des données de téléphonie mobile émises via la technologie Bluetooth, de suivre les personnes dans leurs déplacements, de leur indiquer en temps réel si elles sont en contact avec une personne diagnostiquée malade du Covid-19, et qui se serait signalée comme telle, en permettant ainsi de retracer ces contacts. Cette application s’inscrit dans une perspective d’usage des données bien différente de celles utilisées par les services de santé pour le suivi des patients du Covid-19 et pour le repérage, à des fins, strictement médicales des personnes avec lesquelles elles ont été en contact. Comme il a été souligné dans une tribune parue le lundi 28 avril dernier dans Le Figaro1, non seulement l’application Stopcovid soulève un nombre important de difficultés en matière d’efficacité technique, mais celles relatives aux plans éthique et démocratique nous semblent encore plus sensibles : elles posent de redoutables questions de légitimité. Précisons d’emblée que notre propos n’est pas d’opposer une science supposée dangereuse à une éthique supposée vertueuse, il n’y a en effet aucun intérêt à se restreindre à une quelconque appréhension binaire des problèmes, mais de montrer que l’articulation entre des projets techniques et le traitement politique de la pandémie ne peut se faire sans prendre en compte la nature de notre contrat social et les dimensions qui l’animent.

La question de l’efficacité

La structuration même du dispositif Stopcovid répond au vieux rêve cybernétique de développer des machines qui communiquent entre elles. Mais ce mode de communication, s’effectuant par le biais du signal, pose des problèmes majeurs, ne serait-ce qu’en termes d’efficacité.

L’état des techniques n’assure pas la fiabilité du système

La technologie Bluetooth retenue, ainsi d’ailleurs que la géolocalisation, ne sont pas opératoires pour déterminer la distance exacte entre deux téléphones émetteurs de signal avec un degré de précision suffisant en-dessous du niveau du mètre ; ce niveau de précision dépendant en outre des performances du smartphone utilisé2 : c’est le point essentiel sur lequel repose le dispositif et qui permet d’en garantir l’efficacité. Par ailleurs, ce dernier ne saura faire la différence entre un contact entre deux personnes selon qu’elles soient dans le même espace ouvert, séparées par une vitre ou un mur. Or la dangerosité potentielle d’une personne malade est radicalement différente entre le premier cas et les autres.

Le système laisse de côté les personnes sans téléphone mobile

Par définition, le système ne concernera pas les personnes qui n’ont pas de smartphone, ou qui préfèrent avoir un téléphone qui sert uniquement à téléphoner. Ainsi, le choix de l’utilisation d’un smartphone écarterait immédiatement près de 20 % des Français qui n’en possèdent pas – notamment les enfants et certaines personnes âgées.

Même sans ces limitations, le dispositif ne pourrait être efficace que dépassé une certaine taille critique, difficilement compatible avec le volontariat

Pour produire des effets, il est estimé qu’un tel dispositif devrait couvrir au moins 60 % de la population. Il ne peut y avoir de traçage anonyme, comme le relèvent des chercheurs de l’Inria3. Ce risque d’une application non compatible avec la Constitution ni avec les législations en vigueur en France invite le gouvernement à privilégier le recours au volontariat4, sur la base d’un consentement des utilisateurs dont nous connaissons les limites (selon leurs savoirs, leurs centres d’intérêt, leurs fragilités sanitaires, leur réel libre-arbitre). Pour ces raisons, y compris au sein de la sphère publique, l’application Stopcovid fait débat5. La solution technique privilégiée jusqu’au 2 mai, portée par l’Inria et accompagnée par un ensemble d’entreprises, reposait sur un serveur centralisé, hébergé par l’Institut afin de garantir que les données ne seront pas stockées par d’autres opérateurs. En effet, une solution décentralisée, reposant sur la communication de téléphone à téléphone, aurait à l’inverse l’effet de donner à Apple et Google l’accès aux données et à leur historique6 « History to be stored on the server », p.4 , ligne 4, https://blog.google/documents/61/Android_Exposure_Notification_API_v1.1.pdf].

Mais aucune solution n’élude totalement la question de l’usage des données personnelles.

En Allemagne, une application, elle aussi fondée sur le volontariat, a été mise en place début avril par l’équivalent outre-Rhin de Santé Publique France. Or seulement 500 000 personnes l’ont téléchargée au 24 avril7. Pourtant, son objectif se limite au suivi de la propagation du virus et à des fins statistiques, sans recours à la personnalisation des usages. Si une ébauche d’application de type Stopcovid est à l’étude en Allemagne, elle soulève comme en France beaucoup d’interrogations et sa mise en œuvre reste en suspens tant au niveau fédéral qu’à celui des Länder8.

La mise en œuvre d’une telle application ne peut que générer des biais de perception

Dans un tel contexte, il convient également de prendre en compte un double risque en termes de perception. D’une part, les personnes n’ayant pas reçu de notification pourraient se sentir protégées du virus sans que cela ne soit le cas (au vu des failles du système en termes techniques, sans compter le temps d’incubation).

D’autre part, la découverte du signal d’une personne malade dans un lieu pourrait déclencher des mouvements de panique qui auraient pour effet de réduire à néant l’application des gestes barrières et d’aboutir à une éventuelle propagation du virus.

La question de la croyance en la technique

De façon plus générale, le fait de (laisser) croire que la pandémie pourra s’arrêter grâce à des solutions numériques relève de l’illusion. Le ministère de la Santé vient de demander aux médecins de prévenir les « brigades sanitaires » afin qu’elles enquêtent sur les contacts des malades du Covid-19. Le repérage des sources de l’épidémie est donc en bonne voie. L’idée de profiter de toute technique à notre disposition pour comprendre le contemporain et combattre l’adversité est saine. Si l’idée de passer d’un confinement absolu à un repérage précis des malades est entendue au bout de six semaines, celle qui suppose que les nouvelles technologies résoudront nos soucis sanitaires, politiques et sociaux relève d’une croyance : cette foi a un nom, le déterminisme de l’innovation. Elle affirme que les nouvelles techniques vont transformer la société. Les meilleurs historiens des techniques, ont montré son inanité.

Le fait que nos gouvernants y souscrivent et incitent nos concitoyens à partager cette croyance est triplement dangereux.

Premièrement, il les invite à perdre tout esprit critique en les focalisant sur des solutions industrielles nationales ; mieux vaudrait tirer des leçons des pays voisins comme le Portugal, l’Allemagne, le Danemark, etc., qui ont trouvé des moyens efficaces de lutter contre la pandémie bien avant que se répande l’idée d’une solution invisible et immatérielle.

Deuxièmement, à l’heure où l’Europe, avec le RGPD, nous fait prendre conscience de la dangerosité des entreprises qui font commerce de nos pratiques, centres d’intérêt et réseaux d’amitié, et en ces temps de « distance sociale » imposée où nous utilisons plus que jamais les réseaux numériques qui facilitent l’échange, la présentation de Stopcovid comme solution « magique » ne peut qu’amoindrir notre vigilance face au « numérique » en matière de vie privée. L’insistance de certains promoteurs de Stopcovid sur le fait que nous sommes déjà « tracés » par les systèmes de publicité numérique y contribue. Ainsi, l’invitation à porter systématiquement son téléphone sur soi pour faciliter le traitement de la pandémie via un outil comme Stopcovid, qui n’utilise pas la géolocalisation, expose de façon accrue les Français à des systèmes intrusifs peu respectueux de notre vie privée.

Troisièmement, il renforce l’illusion que le débat sur l’avenir de nos démocraties puisse être exclusivement piloté par des enjeux techniques ou scientifiques (en l’occurrence médicaux) et par les experts de ces domaines, sans suffisamment prendre en compte les spécificités de l’humain et des interactions sociales.

 La question de la légitimité

Le problème de la légitimité du recours à une application de type Stocovid se pose à de nombreux titres et engage la conception de l’éthique et de la politique dans un État démocratique, au plan pratique comme théorique.

Au plan pratique : si l’exécutif devait poursuivre dans la voie d’une solution de type Stopcovid, trois conditions au moins sont nécessaires pour conférer une légitimité à cette décision :

  • Le consentement éclairé des personnes, ce qui suppose qu’elles soient conscientes du fait que l’application ne pourra pas fonctionner en respectant leurs données personnelles
    Comme précédemment montré, l’application ne pourra fonctionner sans traiter les données personnelles de ses usagers ; et son déploiement suppose que les personnes porteuses du virus soient détectées et parfois explicitement repérées (par exemple lors d’un échange tête à tête, comme un entretien d’embauche). Il ne pourra donc être question de consentement éclairé des personnes qui utiliseraient volontairement cette application sans que ces points et leurs conséquences possibles ne soient clairement détaillés ; point sur lequel insistent également les Académies des Sciences et de Médecine dans leur avis et communiqué9.

  • La stricte limitation dans le temps de l’usage de l’application et la destruction des données collectées
    Il convient également d’éviter de créer ce que nous nommons une « confusion des genres temporels » : l’état d’urgence sanitaire dans lequel nous vivons depuis le 23 mars dernier est une situation juridique inédite qui ne doit pas conduire à négliger la nécessité pour une société de se projeter dans le temps long. Comme le souligne à cet égard le magistrat Denis Salas, « il est essentiel que cette situation soit limitée dans le temps et soumise à un contrôle – par le Parlement et le juge »10. Il sera donc nécessaire de créer les conditions d’un contrôle impartial et indépendant et de cette destruction des données (avec des garanties institutionnelles et déontologiques spécifiques, spécifiant la qualité et la fiabilité de l’information, le type de recours, etc.)

    A défaut de ces conditions préalables, le risque serait la généralisation d’un système qui perdure au-delà de l’état d’urgence sanitaire actuel, instituant ainsi les règles d’un pouvoir « numérique » à l’ensemble de la société, déplacements et socialisations inclus. Le numérique, par sa porosité même, facilite l’agrégation et le traitement de données issues de nos téléphones dits « intelligents », y compris quand lorsque ces données ne semblent pas comparables. Le fait d’y ajouter des données de santé, censées être confidentielles, peut s’avérer éthiquement très problématique mais n’est pas techniquement irréaliste. Loin s’en faut. Les cas d’assurances maladie ayant recours aux données de santé de leurs clients sont déjà légion11.

    Il convient donc de s’interroger, dès à présent, sur les possibles dévoiements du dispositif en tenant compte des effets de porosité engendrés par les infrastructures numériques. Il est très facile de faire passer des données personnelles d’un contexte à un autre. La question qui se pose en l’espèce est de savoir s’il y a une véritable politique publique derrière ce projet porté par un État dont la souveraineté paraît de plus en plus « liquide » (selon la formule chère au sociologue Zygmunt Bauman12) et se transformer en une suzeraineté de plus en plus opportuniste : adaptée aux rapports de force de l’instant, avec des délégations de pouvoir à des groupes de pression peu démocratiques. Autant que l’outil lui-même, le mode de gouvernance qui l’entoure pose question.

    A l’issue du Conseil des ministres du 2 mai, la mise en œuvre de l’application a été reportée ; elle n’interviendra pas sans débat devant les deux Chambres et des protocoles décisionnaires alternatifs semblent recherchés.

Il convient d’être particulièrement vigilants sur le contenu de tels protocoles, aux contours inconnus, ainsi que sur la qualité de la décision démocratique conduisant à la mise en œuvre de ce dispositif, quel qu’il soit finalement.

  • Le besoin d’une décision prise par la voie démocratique, avec l’accord des deux chambres
    La simple existence d’un débat suivi d’un vote dans les deux chambres ne paraît pas suffisante au vu des problèmes d’efficacité et de légitimité en jeu. Le dépôt d’un projet de loi offrirait la garantie d’un débat parlementaire plus en profondeur, d’un examen préalable par le Conseil d’Etat et d’une potentielle saisine du Conseil constitutionnel. Même s’il s’avérait que la solution retenue se fait à législation constante et donc à protection constante des droits des personnes, ce ne serait pas la première fois que la loi viendrait empiéter sur le domaine du règlement. En effet, les travaux autour de l’état d’urgence montrent, d’une part, que l’usage de tels pouvoirs exceptionnels tend de toute évidence à s’imposer avec toujours plus de régularité et de fréquence ; d’autre part, qu’il devient essentiel de réfléchir à l’impact durable – sur l’équilibre des pouvoirs, sur les comportements sociaux etc. – de moyens conçus pour être provisoires, mais appliqués en réalité de façon toujours plus répétée. À tout le moins, il est essentiel que les citoyens soient mieux informés sur ce que le dispositif emporte.

    Or, sur ces points, le projet de loi prorogeant l’état d’urgence déposé par le Gouvernement le 2 mai pose très fortement question : son article 6 proposait que le pouvoir exécutif puisse, par voie d’ordonnance, créer des systèmes d’informations pour lutter contre l’épidémie et traiter des données personnelles sans respecter le principe du consentement des personnes. Le Sénat a supprimé ce recours aux ordonnances et explicitement exclu la possibilité de passer outre le principe du consentement pour les applications de type Stopcovid, disponibles sur équipement mobiles et visant à informer les personnes qu’elles ont été à proximité de personnes porteuses du virus. Le débat a commencé à l’Assemblée nationale le 6 mai sur ce texte et s’est achevé dans la nuit du 8 au 9 mai par un vote confirmant les orientations du Sénat. Sur un sujet aussi sensible en termes de libertés, il ne peut qu’être de bonne politique que le Parlement soit entendu et que la sagesse prévale.

Au plan théorique : au vu de la conception de la personne qu’engage le recours à ce type d’applications, d’autres solutions sont de loin préférables

L’accent systématiquement mis sur les aspects sanitaires et techniques a fini par recouvrir le fait qu’il s’agit en dernière instance, de choix politiques concernant un mode de vie commune, y compris lorsque nous sommes confrontés à la crise et à une pandémie13. Or dans notre manière d’aborder collectivement la crise sanitaire, la dimension anthropologique (le rapport aux autres comme lieu de socialisation et non pas seulement comme question médicale, le rapport à la mort comme question symbolique et pas seulement biologique, etc.) a été occultée et mérite d’être pleinement réinterrogée pour préparer l’après. Par exemple, nous nous focalisons sur la survie des personnes âgées, majoritairement touchées par le Covid-19, en oubliant leurs conditions de vie, parfois indignes dans certains EHPAD, pourtant débattues dans les médias il y a à peine six mois.

Il est, à ce titre, important d’ouvrir un questionnement relatif au contrat social, à la dimension proprement politique de nos choix de vie communs, cela bien au-delà de la crise actuelle.

Le privilège accordé à la « vie de l’espèce humaine », au détriment d’une éthique protégeant l’égale dignité de chaque être humain comme droit auquel il ne peut être dérogé (art.1 DUDH) est problématique à plus d’un titre. Certes, idéalement, ces deux approches, biologique comme éthique, devraient évoluer de façon étroitement interactive au fil du temps. Mais, privilégier la première revient à considérer l’humain, non plus comme un être doué de logos et capable d’argumenter au moyen de signes, mais comme un support de signaux dédiés à des machines auxquelles est réservé le droit de communiquer.

C’est donc bien une conception de la personne humaine qui est en jeu dans le recours à tel type d’application.

Notre réalité d’êtres sociaux est indéniable ; les débuts de la pandémie nous ont montré que la solidarité n’est pas un concept, mais une réalité de notre humanité, pleinement partagée. Nous fonctionnons aussi avec des symboles et avec des imaginaires, des actes de solidarité et de générosité.

Or dans le traitement actuel de la pandémie, trois d’entre eux semblent en concurrence. Celui de la quarantaine, advenu avec la peste noire ; celui de la démocratie, hérité de notre histoire républicaine (les mêmes contraintes s’appliquent à tous et toutes, car nous sommes égaux en droit) ; celui du management des individus, réduits à des billes aux déplacements modélisables. Le fait que les approches les plus négatives de ces trois imaginaires soient aujourd’hui privilégiées et qu’un projet de société épouse une approche techniciste tout en niant une troisième dimension anthropologique de notre statut d’humains — des êtres s’étant construits avec la technique, pour lesquels elle est une seconde peau, au point de se confondre parfois avec la culture—, ne nous semble pas seulement une impasse éthique, il nous apparaît aussi contradictoire : il suppose que la technique ne nous appartient pas, qu’elle nous est extérieure. Qu’elle est un outil magique14.

Par rapport au but poursuivi par l’application Stopcovid, il nous semble que des solutions existent qui sont bien plus compatibles avec les principes démocratiques et en phase également avec les choix des nations européennes les plus respectueuses du droit des personnes. D’autant que l’évidence du caractère international de la pandémie nous invitent à étudier les solutions de nos voisins, en assumant ainsi de manière constructive notre condition mondiale et transnationale. Le dépistage massif, choisi par l’Allemagne, en est un. Il semble plus efficace qu’une application à venir, certainement truffée de bugs, comme tout logiciel en sa période « infantile ». Si nous voulons profiter d’une informatique simple, robuste, garante de l’anonymat, nous pouvons toujours mobiliser des technologies qui nous aident à vérifier que les lieux collectifs ne sont pas surchargés et nous prévenir de trop faibles distances physiques entre personnes, par exemple dans les transports en commun. Il y a tant d’usages vertueux des technologies numériques à inventer et à mettre en œuvre, susceptibles de générer plus de confiance que de défiance dans le corps social.

Comme tous les moments dits « d’exception », la fulgurance d’une crise peut donner l’occasion au pouvoir de transiger avec les libertés. Or il se trouve que les exceptions dont on se presse d’agiter l’autorité ne sont bien souvent qu’une impréparation due à une insuffisante anticipation des menaces, ou au fait que l’aléa ne pourra jamais être totalement éliminé, encore plus dans des sociétés interdépendantes marquées par une forte mobilité. Dans ce contexte, une attention particulière doit être collectivement portée au risque de dislocation de nos ancrages symboliques et culturels, au risque également que des idées excessives ou volatiles ne deviennent communes au nom d’urgences devenues récurrences.

Ces séquences à répétition pointent les impensés ou les mal-pensés de démocraties contemporaines prises dans la frénésie de l’action et de la communication politique instantanée.

La vie démocratique repose sur des institutions dont les pouvoirs sont clairement définis. Le fait que les moments exceptionnels conduisent à remettre en cause leurs prérogatives au profit du seul pouvoir exécutif constitue une menace très profonde à long terme pour la démocratie elle-même et pour la confiance que les citoyens lui accordent. Or, de tels moments exceptionnels sont régulièrement convoqués dans le temps présent. Face à eux, et contrairement à ce qui se produit aujourd’hui, il nous paraît légitime que la recherche du maintien du droit commun constitue une priorité, que les prérogatives du pouvoir législatif soient préservées au maximum, et lorsque ces voies ne sont réellement pas envisageables, que prévale un dialogue entre institutions, avec les partenaires sociaux et les élus territoriaux pour aboutir aux choix les plus partagés possibles. Ne pas faire ces choix reviendrait à altérer le fondement de notre démocratie, la conception même de l’Etat et la bienveillance dont il est supposé porteur. L’exercice du pouvoir nécessite ainsi d’être infléchi par une doctrine plus éthique, imprégnée de temps long, en prise avec les enjeux et les périls contemporains. Une éthique d’État « solide » constitue un prérequis indispensable à la confiance sans laquelle aucun Contrat Social adapté au temps présent ne sera possible.

Les moments d’exception comme ceux que nous vivons ne doivent pas conduire à mettre de côté ce contrat social mais au contraire à le réaffirmer, en rappelant qu’il est fondé sur la confiance dans autrui et non sur la défiance et la désocialisation, ou l’autre est vu comme une menace, et non comme un partenaire.

Parier sur des mesures barrières à échelle humaine (comme une distanciation adaptée aux contextes), mettre la population en position de les appliquer, développer les politiques de dépistage des malades mais aussi des personnes immunisées, rechercher des traitements et des vaccins pour que la situation inédite que nous vivons en France en matière de libertés publiques soit la plus courte possible : ce sont là les ressorts d’une nation forte, à la hauteur de son histoire, des droits de l’Homme qu’elle promeut, bien plus qu’une réponse trompeuse et techniciste.

Pierre-Antoine Chardel, philosophe et sociologue, professeur à l’Institut Mines-Télécom Business School (IMT-BS), membre de l’Institut Interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain (CNRS / EHESS) et de l’Observatoire d’Ethique Publique

Valérie Charolles, philosophe, ancien magistrat, chercheure à l’Institut Mines-Télécom Business School (IMT-BS) et chercheure associée à l’Institut Interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain (CNRS / EHESS)

Eric Guichard, philosophe et anthropologue, maître de conférences HDR à l’Enssib, chercheur au laboratoire Triangle et membre du comité de pilotage de l’Institut Rhônalpin des Systèmes Complexes (CNRS / ENS de Lyon).

  1. Pierre-Antoine Chardel, Valérie Charolles, Mireille Delmas Marty et Asma Mhalla, « StopCovid: Il est contre-productif de proposer une solution techniciste à un problème qui ne l’est pas », FigaroVox, 27 avril 2020. ↩
  2. Voir à ce propos les explications très éclairantes et instructives de Baptiste Robert, spécialiste de cyber-sécurité : https://www.youtube.com/watch?v=12X8TjAJoLo ↩
  3. « Le traçage anonyme, dangereux oxymore Analyse de risques `à destination des non-spécialistes », 21 avril 2020 : https://risques-tracage.fr/docs/risques-tracage.pdf. Le protocole centralisé de l’INRIA se dénomme Robert : ROBust and privacy-presERving proximity Tracing, https://github.com/ROBERTproximity-tracing/documents/ ↩
  4. C’est également l’avis de la Commission de l’Ethique en sciences et en technologies du Québec. Elle a publié une note sur les prérequis du développement de telles applications, soulignant notamment que l’anonymat a peu de chances d’être assuré: https://www.ethique.gouv.qc.ca/media/1329/cest-conditions-acceptabilite-ethique_v7.pdf ↩
  5. https://www.acteurspublics.fr/evenement/recours-aux-gafam-centralisation-les-choix-techniques-sur-stopcovid-ont-attise-les-tensions-au-sein-de-letat ↩
  6. [1 ↩
  7. https://www.rki.de/DE/Content/InfAZ/N/Neuartiges_Coronavirus/Corona-Datenspende.html ↩
  8. https://www.zeit.de/digital/datenschutz/2020-04/corona-app-tracking-handydaten-bluetooth-datenschutz ↩
  9. https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/2020_04_10_avis_tracage.pdf, http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2020/04/L%E2%80%99utilisation-de-Smartphones-pour-le-suivi-du-d%C3%A9confinement-du-Covid-19-en-France-2.pdf. ↩
  10. Denis Salas, “Etat d’urgence sanitaire : il faudra ne pas céder à la tentation d’une surveillance généralisée”, L’Obs, 30 mars 2020. ↩
  11. Cf. https://www.wsj.com/articles/google-s-secret-project-nightingale-gathers-personal-health-data-on-millions-of-americans-11573496790? mod= hp_ lead_pos1 pour un premier exemple, aisément extensible aux compagnies d’assurance. ↩
  12. Voir à ce sujet, Pierre-Antoine Chardel, “Zygmunt Bauman, penseur de la modernité liquide”, Le Nouveau Magazine Littéraire, 10 août 2018. ↩
  13. Cf. Valérie Charolles, Philosophie de l’écran. Dans le monde de la caverne, Fayard, 2013. ↩
  14. Voir à ce propos l’interview d’Eric Guichard : http://www.lettresnumeriques.be/2020/01/31/rencontre-avec-eric-guichard-philosophe-de-linternet-et-du-numerique/ ↩
Pierre-Antoine Chardel

Philosophe de formation, sociologue, docteur de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, titulaire d'un PhD de l'Université Laval (Canada), habilité à diriger des recherches de l’Université de Paris (Faculté des SHS – Sorbonne), Pierre- Antoine Chardel est professeur à l'Institut Mines-Télécom (IMT-BS) et directeur scientique du LASCO IdeaLab, membre du Laboratoire d'Anthropologie Politique (UMR 8177, CNRS / EHESS). Il est aussi notamment co-responsable du séminaire « Socio-philosophie du temps présent » à l’EHESS et membre des comités de rédaction des revues Politique et Parlementaire, Hermès, Etudes Digitales. Derniers ouvrages : L’empire du signal. De l’écrit aux écrans, CNRS Editions, 2020 ; Socio-philosophie des technologies numériques. Ethique, société, organisations, Presses des Mines, 2022.

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