Un sommet France-Espagne se tient ce jeudi 19 janvier à Barcelone pour resserrer les liens entre les deux pays. Après la récente célébration du traité franco-allemand dit de l’Elysée, « l’Europe l’Europe l’Europe » se porte bien !
Dans une célèbre conférence datée de 1882, Ernest Renan a proposé une définition de la Nation. Ses propos ont eu un impact considérable et on se sert aujourd’hui encore de ses analyses. Avant d’aborder le point précis de la Nation, il étudie au préalable les formes de la société humaine dont il décrit les délinéaments extrêmement variés. Avec l’œil de son temps, il cite les grandes agglomérations « d’hommes » comme l’était alors la Chine ou l’Egypte ; la cité à la façon d’Athènes et de Sparte ; les communautés sans patrie, maintenues par le lien religieux, faisant référence à celles des israélites ; des parentés comme celles que la langue établit entre les différentes branches de Germains (on sait pour ces deux dernières formes ce qu’il advint plus tard) ; les nations comme la France, l’Angleterre et la plupart des modernes autonomies européennes. Pour ne pas confondre ces groupes les uns avec les autres Renan propose, pour les définir, de faire de « la vivisection », traiter les vivants comme on le fait habituellement avec les morts. Quant à l’Europe, l’Union européenne tout particulièrement, qu’en est-il de sa substance à la lumière, en admettant l’anachronisme, de l’état d’esprit d’Ernest Renan. Son statut, son état actuel nous sont connus, mais que dire de son devenir ? Joie ou peine, risques ou opportunités, gain de puissance ou perte de son âme, quels que soient les qualificatifs épinglés sur son poitrail par ses alliés et contempteurs, année après année, l’Europe élargit ses compétences. Or, à l’instar de ce que Renan admet des organes essentiels d’une Nation, pourrait-on affirmer que l’Europe devient, couche après couche, une telle forme organisationnelle des sociétés humaines. L’Europe une Nation en devenir parce qu’ : « elle s’appuie sur deux choses, l’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs, l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté qu’on a de faire vivre l’héritage qu’on a reçu indivis ».
Le protectionnisme, certains parleraient de repli sur soi, à mon sens ce serait une fausse interprétation, s’impose dans les rapports entre Etats et régions du monde.
L’Europe n’échappe pas à une tendance qui a irrigué la littérature économique comme l’a mis en exergue l’excellente émission animée par Emmanuel Lechypre sur Bfm Business, la librairie de l’éco. Outre la littérature ce sont des actes concrets dont l’Europe modifie sa doctrine radicale (au sens des racines). Dernièrement l’Union européenne propose de s’armer face à la rivalité croissante entre les blocs. Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission de Bruxelles, affirmait à Davos : « pour maintenir l’attractivité de l’industrie européenne, nous devons être compétitifs par rapport aux offres et aux mesures incitatives actuellement disponibles en dehors de l’UE ». Il s’agit d’une réponse, rapide n’allons pas jusque-là, aux « tentatives agressives » de nos « alliés » américains d’attirer à coup de subventions, outrancièrement généreuses n’ayons pas peur des mots, les capacités industrielles de l’Europe vers un supposé paradis fiscal états-uniens. Année après année le poids du monde et de ses crises systémiques, toujours plus nombreuses et dont le rythme s’accélère, force l’Europe à organiser des missions qui relevaient de la subsidiarité et du seul ressort des Etats. Dès 2012 l’Europe combat enfin les terribles effets de la crise des Subprimes provoquée par une certaine vision de l’activité bancaire qui n’appartient qu’aux Américains par la mise en place du Mécanisme européen de stabilité entré en vigueur en septembre 2012. Son objet, fournir une aide financière aux Etats membres qui connaissaient de graves problèmes de financement sur les marchés. Ensuite, la crise de la Covid a forcé l’Europe à poser les 27 doigts de sa main forcément pataude dans le domaine de la santé, un sujet théoriquement exclu des traités. Et l’élargissement non, pas des membres, mais des demandes de réponses au niveau supranational n’ont cessé de s’imposer : la bruyante guerre d’agression de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine, un autre Etat souverain, désarticule plusieurs doctrines concernant les armes et l’énergie. Il s’agit du projet d’achats de gaz en commun avec un prix optimal tout comme la Facilité européenne pour la paix, dont la beauté rhétorique pour éviter l’emploi de l’expression subventions pour l’achat de matériels militaires est appréciée des spécialistes du langage. En ce qui concerne ces deux points l’Europe n’est pas seule à s’interroger sur sa doctrine. Certains Etats comme l’Allemagne voient leurs jurisprudences (énergie, armes) se désarticuler à force de contorsions.
Ce désir de vivre ensemble cher à Renan, impose aux Etats européens, qui consentent à le faire autre aspect cardinal pour l’historien-écrivain de Tréguier (Côtes-du-Nord désormais désignées Côtes-d’Armor), une promesse d’avenir en commun.
De cette promesse d’avenir en commun sous la forme d’une Nation, je conçois la contestation par les plus grands spécialistes du sujet. Dans un ouvrage récent Caroline de Gruyter[Monde d’hier, monde de demain – Actes Sud] affirme : « n’est-il pas pertinent de comparer l’Union européenne à l’Empire austro-hongrois qui s’effondra en 1918 après six siècles d’existence ? » Toujours est-il que de mon point de vue se forge l’ébauche de preuves, ce que Renan définit comme : « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ». Sans remonter à l’invocation des pères fondateurs, ces bâtisseurs de l’Europe qui ont lancé le processus de construction européenne avec la fondation du Conseil de l’Europe en 1949, la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1950 et de la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, l’Europe s’impose chaque jour un peu plus dans nos vies. Aux partis politiques désireux de remettre en question sa monnaie, il a été amputé un membre essentiel à leur existence, la victoire politique. Aux anciens Etats-membres qui pratiquèrent avec morgue l’auto-exclusion il est rappelé, par les lois impassibles de l’économie, leurs terribles erreurs de jugement. Petit à petit le dogme européen de la concurrence, ultime règle qu’on croyait d’un airain infrangible, se fissure. En effet Mme Margrethe Vestager commissaire européenne en charge de la prestigieuse Direction générale de la concurrence, vice-présidente de la Commissaire qui déclarait hier encore « La concurrence, la clé pour reconstruire notre économie » étudie le moyen d’assouplir le régime communautaire sur les aides d’Etats dont on sait le mal qu’il fit lors de la tentative de rapprochement entre les sociétés Siemens et Alstom, à seules fins, incomprises, de mener une violente et rude compétition à l’international.
Pour Renan cette idée était forcément saugrenue, lui qui pensait impossible l’établissement de nouveaux empires. Vis-à-vis de l’Europe il n’en évoquait même pas la possibilité d’une île-Nation : « La division de l’Europe est trop grande pour qu’une tentative de domination universelle ne provoque pas très vite une coalition qui fasse rentrer la nation ambitieuse dans ses bornes naturelles nationale ». Quelle prescience de la réplique d’une double « mésentente » germano vs « #EverybodyElse ».
Il faudra davantage de mise en commun. Renan rappelle le rôle de la religion et de la langue pour former des ensembles cohérents. Mais que dire de la puissance de l’oubli et la brutalité dans laquelle se fait l’Union qui sont pour Renan des éléments que l’histoire a consacré en théorème ; le numérique a fait disparaître l’oubli, c’est de cette reconnaissance tacite qu’il est admis un droit pour ce faire.
La guerre en Ukraine sera-t-elle, les historiens le diront, ce pont fusionnel entre les Etats pour s’inventer un avenir commun ?
Au sens de Renan l’Europe n’acquerra sans doute jamais le nom de Nation. Mais un sens nouveau, apocryphe c’est certain se dessine. Admettons d’un point de vue français que l’élection d’un Président viscéralement et authentiquement européen interroge toujours. Des valeurs européennes restant le seul marqueur ou stigmate que le Président peut et pourra s’arroger sans contestation. Alors même que le vocable dominant couronne les termes protectionnisme et souveraineté. Le macronisme ajoute un indice à la nouvelle forme de Nation abusivement extraite à partir des analyses de Renan. Il demeure une inconnue : quel gentilé ?
Jacky Isabello
Chef d’entreprise – communicant