Le 5 février, Donald Trump a annoncé vouloir transformer la bande de Gaza en « Côte d’Azur du Proche-Orient ». Cette idée radicale, qui procède d’une hallucinante et méprisante vision coloniale, supposerait la prise de contrôle de Gaza par les États-Unis, et le déplacement de deux millions de Palestiniens vivant sur cette bande de terres isolée de tout. Une alternative humaniste est possible, inventée en 1993 par Shimon Peres.
Le président américain, jamais à court d’idées simples, promet ainsi la sécurisation de l’enclave par le démantèlement des armes non explosées et le déblaiement des décombres dû aux bombardements. Mais avec cette proposition, Trump oublie les fondamentaux du droit international, de la diplomatie et de la géopolitique pour n’être que ce qu’il est : un promoteur immobilier bonimenteur, l’ersatz d’un dirigeant politique, brutal et manipulateur. En déplacement au Guatémala, le Secrétaire d’État Rubio est venu en soutien de son patron en affirmant que les Palestiniens « adoreraient » vivre ailleurs qu’à Gaza. Pour y avoir séjourné à quatre reprises au moment de la négociation des accords de Charm el-Cheikh à la fin des années 90, je sais le sentiment d’enfermement que l’on y éprouve, mais je ne crois pas que les Palestiniens veuillent quitter leur terre natale.
L’indécence de la proposition de Trump
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, s’est bien entendu opposé à l’idée d’un déplacement des « Palestiniens hors de leur patrie » en affirmant : « Nous ne permettrons pas que soient bafoués les droits de notre peuple ». L’Arabie Saoudite a rappellé sa volonté de création d’un état palestinien indépendant. Les présidents français et égyptien ont indiqué que tout « déplacement forcé de la population palestinienne à Gaza comme en Cisjordanie serait inacceptable », dénonçant une probable violation grave du droit international, une entrave à la solution à deux états et un facteur de déstabilisation majeur pour l’Égypte et la Jordanie ». Plusieurs leaders internationaux, interloqués par la déclaration de l’hôte de la Maison-Blanche, ont souligné l’indécence de cette proposition.
La promesse compensatoire de Trump consisterait à construire des « logements de qualité » et des « villes magnifiques » pour les Gazaouis dans 4 à 6 zones en Égypte et en Jordanie. S’en suivrait une déportation de la population palestinienne et aurait pour conséquence une nouvelle déstabilisation démographique et culturelle de la région.
L’argument principal de M. Trump, pour vendre son projet, concerne l’impact en termes de développement économique et de création d’emplois. Il nous donne l’occasion de revenir sur un projet plus audacieux, plus humaniste et plus ambitieux : la création d’une sorte de « Bénélux » au Proche-Orient.
Shimon Peres et sa vision d’une prospérité partagée
La vision de Shimon Peres sur la création de ce « Bénélux » proche-oriental était une partie intégrante de son projet pour une économie de paix dans la région. Il imaginait un système régional similaire à celui de l’Union économique créée en 1944 entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, mais adapté au contexte du Proche-Orient, impliquant Israël, la Jordanie et les territoires palestiniens. Cette idée était exposée dans son livre Le Temps de la paix, publié en 1993[1] peu après les accords historiques entre Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), ouvrant la voie aux accords d’Oslo en 1996.
Peres croyait que cette coopération économique régionale pourrait apporter la prospérité et la stabilité au Proche-Orient, en mettant l’accent sur des projets communs tels que le développement agricole, la gestion de l’eau, et le tourisme. Dans cette collaboration, il voyait une opportunité pour combattre les défis environnementaux comme la désertification, et pour promouvoir une économie de paix en remplacement d’une économie de guerre.
Cette vision a malheureusement rencontré des obstacles, notamment en raison des tensions politiques persistantes dans la région et des difficultés à mettre en place une confédération jordano-palestinienne, qui était un élément clé de son plan.
Que manque-t-il à une telle vision sinon une volonté politique partagée par des représentants courageux des trois pays concernés ? L’idée de Peres reste donc un espoir pour une paix durable et donne une feuille de route possible pour quiconque souhaite créer un espace de prospérité économique fondé sur une approche coopérative et non plus frontale au Proche-Orient : en faire une communauté de destin.
Trump et la stratégie de la sidération
Shimon Peres, Prix Nobel de la Paix, était un homme d’État visionnaire. Donald Trump est un bulldozer sidérant. Je conclu avec un article paru le 4 février dans Philosophie Magazine sous la plume de Michel Eltchaninoff[2] qui décrit la stratégie de sidération mise en place par Donald Trump et son entourage pour imposer des décisions radicales en multipliant annonces et revirements. Cette accumulation choque et désoriente, rendant toute opposition difficile. L’auteur rapproche cette méthode de la stratégie du choc de Naomi Klein[3], où les crises sont exploitées pour remodeler la société sans résistance. L’objectif final serait de rendre les citoyens passifs face aux bouleversements.
En plus de la brutalité, des volte-face politiques et l’aspect chaotique des décisions du président états-uniens, l’amplification des messages confus d’Elon Musk sur son réseau accroît la désorientation. Ce mélange d’imprévisibilité et d’agressivité paralyse les réactions et empêche l’organisation d’une opposition efficace à l’intérieur et à l’extérieur des États-Unis. Eltchaninoff alerte sur le risque que cette stupeur collective mène à une soumission progressive.
Pour l’instant, c’est à l’idée de paix qu’il faudrait se soumettre.
Richard Amalvy
Légende de la photo : Shimon Peres et Richard Amalvy lors d’une rencontre à Jérusalem en août 1999.
[1] Le Temps de la Paix, Shimon Peres, Éditions Odile Jacob, Paris, décembre 1993.
[2] https://www.philomag.com/articles/trump-la-strategie-de-la-sideration
[3] La Stratégie du choc, Naomi Klein, Actes Sud, avril 2008.