Après avoir réussi à franchir la difficulté du budget, François Bayrou a gagné quelques instants de répit. Mais à la différence d’un grand tour où les compétiteurs savent quel prochain sommet les attend, le Premier ministre serait bien en peine de distinguer l’horizon d’effort qui se présente à lui et à son gouvernement. Tout le problème pour le successeur de Michel Barnier est désormais de donner de la perspective, là ou il dispose de moyens politiques insuffisants pour prendre de l’élan. À défaut l’immobilisme guettera avec le risque de tempêtes extérieures dont on ne maîtrisera pas plus la force que les effets. Le déchainement des éléments peut prendre des formes différentes : sociales avec l’enjeu des ZFE (zones à faible émissions) dont on peut pressentir qu’il s’agit là d’un puissant carburant pour un « revival » d’une nouvelle génération des Gilets jaunes ; économiques avec une trajectoire budgétaire hors contrôle comme vient de le rappeler la Cour des comptes, nonobstant l’adoption d’une nouvelle loi de finances manifestement insuffisante ; médiatiques avec les suites des révélations de l’affaire Bétharram, cet établissement religieux palois qui défraie la chronique en raison de faits présumés de violences sexuelles commis sur des élèves et dont la gauche radicale accuse Francois Bayrou d’avoir eu connaissance…
De toute part, une coalition gouvernementale minoritaire est sur-exposée dès lors qu’elle ne dispose d’aucun amortisseur politique pour se protéger. Cela signifie en conséquence qu’à tout moment le moindre coup de vent est susceptible de déstabiliser le fragile édifice d’un exécutif sans appui parlementaire pérenne. Il faut s’y résoudre : la loi de la précarité gouvernementale commandera et elle mine le pays. Dans une géopolitique caractérisée par le retour de leaders charismatiques aux visions impériales, la France est affaiblie comme jamais, soumise à des frimas politiciens l’empêchant d’avancer, nonobstant une communication qui s’efforce comme jamais de dissimuler l’impuissance. Exemple éloquent de cet affaiblissement, le sommet international sur l’intelligence artificielle aura vu le Vice-président américain J.D. Vance rappeler l’inconciliable position américaine sur les enjeux de régulation et s’en aller avant que le Président français ne prononce son discours… Une métaphore en quelque sorte qui souligne s’il le fallait que la France peut parler mais que sa parole ne compte que peu dans un monde redevenu titanesque. Le village gaulois paralysé tant par ses querelles que par le déclin de ses élites, inapte à se projeter au-delà de la barrière de l’immédiateté, traverse l’une de ses passes historiques dont il est familier : l’entropie. Il faudra un événement ou un homme, ou encore la conjonction des deux pour en sortir. Cela peut prendre du temps comme arriver là, par surprise ou inadvertance, dans une temporalité inattendue. Il suffit pour s’en convaincre de croire aux régularités « irrégulières » de l’histoire…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université