Depuis l’accélération de la dégradation des rapports Paris/Alger sous le coup de l’arrestation de Boualem Sansal, de l’affaire des influenceurs et enfin après l’attaque meurtrière à caractère terroriste perpétrée par un OQTF algérien à Mulhouse, l’exécutif français a fait le choix d’afficher un début de fermeté. En donnant six semaines au pouvoir d’Alger pour manifester sa bonne volonté en matière de reprise sur son sol de ses ressortissants considérés comme indésirables par la législation française, François Bayrou a tranché entre les deux lignes qui oscillent au sein de son gouvernement : d’un côté le ministre de l’Intérieur favorable au rapport de forces, de l’autre le quai d’Orsay qui privilégie l’accommodement sous couvert de négociation.
L’une des leçons de cet affrontement est que la seconde n’ayant jamais porté ses fruits, la première mérite d’être tentée. Elle l’exige d’autant plus que l’opinion publique y aspire majoritairement et qu’il en va de la crédibilité, voire de la stabilité gouvernementale dont on mesure qu’elle est indexée sur l’aptitude laissée à Bruno Retailleau d’incarner une politique d’autorité. Les hiérarques d’Alger n’ignorent rien des subtilités de la démocratie française ; ils n’ignorent pas non plus la fragilité qui aujourd’hui mine nos institutions ; ils savent tout de nos rapports de forces hexagonaux et des zones de faiblesse qui travaillent notre société. Ils en jouent et en rejouent, trouvant des relais qui de l’extrême-gauche à l’extrême opportunisme, lequel peut corroder bien des rangs de la scène partisane, prêtent leurs concours à l’influence qui outre-Méditerranée ne cesse de se nourrir de l’alibi mémoriel, facteur de légitimation du pouvoir des hiérarques algériens.
Ce qui se passe depuis plusieurs semaines avec le régime d’Alger n’est pas sans conséquence non seulement sur le plan diplomatique comme sur le dossier migratoire. L’enjeu porte également sur notre situation intérieure. Une trop grande faiblesse à l’encontre de « l’agit-provoc” algéroise entamerait la crédibilité de ceux qui au sein du gouvernement français, à l’instar des républicains et de Bruno Retailleau, entendent incarner une voie de droite soucieuse de ne pas reproduire les erreurs de leurs prédécesseurs. C’est dire que la question algérienne se réinstalle soixante-dix ans après, sous une autre forme certes, comme facteur d’instabilité dans notre arène nationale au moment où les institutions affaiblies ne paraissent plus en état d’amortir et d’absorber tout un ensemble de chocs extérieurs. Ruse de l’histoire ou éternel retour de cette dernière, peu importe à vrai dire mais cette rémanence là a tout d’une bombe à fragmentations multiples.
S’il parait infléchir pour la première fois depuis 1962 notre relation à Alger, François Bayrou le fait d’abord pour des raisons extérieures. A-t-il pour autant raison de procéder en mettant dans la balance de la bonne ou de la mauvaise volonté algérienne, notamment en matière de laisser-passer consulaire, le sort des accords de 1968 et de l’accord Kouchner/ Meldici de 2007 exemptant de visas diplomatiques les dirigeants algériens et leurs proches ? La question se pose car ces dispositifs aux yeux des meilleurs connaisseurs du dossier franco-algérien devront être dénoncés, tant ils ne sont plus adaptés à une situation qui empiriquement s’est considérablement transformée ces dernières années. Quoiqu’il en soit, force est de constater que la France par la voix de son chef du gouvernement a entamé une sortie du complexe du colonisateur dans lequel la nomenklatura née dans l’orbe du FLN ne cesse de vouloir enfermer nos dirigeants. Il est temps plus que jamais de sortir de ce piège, de le dénoncer et de le dépasser. Il est temps surtout de signifier au régime algérien qu’en effet le moment colonial est révolu de part et d’autre de la Méditerranée…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université