En ce début des travaux de la Délégation paritaire permanente la voie du paritarisme se présente étroite et, il est à craindre, sans issue. C’est là une évolution logique qui ne doit rien aux partenaires sociaux mais résulte du biais politique qui, depuis l’annonce du conclave, s’est fait plus présent. La négociation qui s’annonçait comme un exercice difficile est bloquée par l’annonce d’un possible référendum qui vient ruiner la confiance que le Premier ministre disait mettre dans les partenaires sociaux.
S’ils pouvaient courir le risque d’un accord de compromis qui serait, ou non, remis en cause par la représentation nationale, les partenaires sociaux peuvent-ils courir le risque d’un tel accord qui ne satisfera, en aucune façon, un débat devenu extrême dans le public, et un public certainement séduit par un référendum qui « emporterait tout » et pas seulement la réforme des retraites ? L’hypothèse d’un référendum rend inutile et illusoire la négociation d’un accord de compromis. Il ne revient pas aux partenaires sociaux de « chauffer un peu plus encore la patate chaude » pour livrer aux urnes référendaires un éventuel accord qui ne satisferait personne, ni l’exécutif, ni la représentation nationale, ni le peuple souverain.
La représentativité des partenaires sociaux, salariés et employeurs, est réputée universelle mais elle se limite, dans la pratique du syndicalisme à la française, à la représentativité des adhérents. Il ne leur revient pas de donner à paritairement des arguments à la rue.
La Délégation paritaire permanente a-t-elle alors encore une raison d’être ? Quel rôle peut-elle encore jouer sous cette contrainte politique qui, bien plus qu’avec une lettre de cadrage, bloque la négociation ? Hélas plus celui de trouver un accord !
La remise en chantier qui leur a été confiée confère aux partenaires sociaux la légitimité de demander à l’Exécutif de clarifier encore les comptes des retraites. De rendre lisibles par chacun ce que sont les flux de financement et de dépense des retraites. Le biais politique qui les contraints conforte cette légitimité. L’audit flash de la Cour apporte des éclaircissements insuffisants : Plus on apprend, plus on ne sait rien chante un chanteur populaire ou, selon les mots d’un expert du dossier, « il n’y a pas de déficit caché mais il peut y avoir des subventions cachées ». Les partenaires sociaux auraient-ils pu engager une négociation quand demeurent des incertitudes (bêtement) comptables ? S’ils sont capables de gérer en responsabilité les régimes complémentaires c’est parce qu’ils en ont la maîtrise des comptes. S’ils sont capables de s’accorder, sur tel régime complémentaire du public, sur la capitalisation c’est, encore, parce que les comptes sont clairs. Tel n’est pas le cas pour cette remise en chantier. La Délégation paritaire permanente, sauf à refuser de se réunir, doit tenir ce rôle pédagogique pour enrichir encore le débat public en forçant à ce que les liens entre contributions et prestations d’assurance, les liens entre impôt et prestations de solidarité soient clairement rendus. S’il y a des « subventions cachées » l’Exécutif doit à la Délégation paritaire de dire où elles sont et pourquoi elles sont. Il ne s‘agit pas là de chercher une nouvelle « convention comptable » mais une convention démocratique : pour une réforme plus juste il faut que les efforts à fournir, différents entre les divers régimes de prestations, soient précisément identifiés.
Un diagnostic flou ne permettra, jamais, une bonne réforme.
C’est sur des comptes clairs, sûrs et sincères qu’ils pourront, sinon négocier, au moins confronter leurs positions et oppositions et apporter au débat démocratique.
Le « grain à moudre » que peut saisir la Délégation paritaire permanente est là. Il ne s’agit plus qu’elle serve, à l’issue de ses travaux, un café serré, ou allongé, prêt à consommer (prêt à consumer serait plus juste). C’est un « café gourmand » qu’elle doit proposer à l’Exécutif ! A l’Exécutif ensuite de choisir, selon son appétit, selon les arbitrages, ou le courage, du moment, entre ce qui dans ce café gourmand lui paraîtra doux, très doux ou amer, très amer.
J’écrivais ici[1], avec naïveté, « Il faut croire qu’en se retournant vers les partenaires sociaux, le Premier ministre sait, comme le disait le général de Gaulle, à qui il s’adresse et qu’il est sûr d’être entendu ». Le Premier ministre se serait-il adressé aux partenaires sociaux pour passer l’obstacle d’une motion de censure ? C’est maintenant au tour de la Délégation paritaire de passer l’obstacle avec la même élégance en demandant à l’ Exécutif que le sujet soit débarrassé des illusions d’optique qui l’entourent et le brouillent.
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale, Think tank CRAPS, est ancien DGA de l’Unédic.
[1] https://www.revuepolitique.fr/retraites-les-partenaires-sociaux-au-pied-du-mur/