Face à une bureaucratie écrasante et des politiques déconnectées, l’écrivain et militant associatif Alexandre Jardin appelle à un réveil démocratique, où le peuple tranche directement les grandes questions par référendum. Il critique la technocratie, défend les plus démunis face à des mesures comme les ZFE et prône une politique inclusive, audacieuse et tournée vers l’action.
Revue Politique et Parlementaire – Vous êtes romancier mais vous avez aussi la volonté, plusieurs fois exprimée, de participer au débat politique, voire de vous engager. Quel est le continuum entre littérature et politique ?
Alexandre Jardin – Pas de grand politique qui ne contienne un grand romancier. De Gaulle, Churchill écrivent, tout est là. Le roman traite de « sujets » profonds, la presse « d’intrigues » visibles et éphémères. Un récit national est toujours un grand roman traversé par d’immenses sujets universels, intemporels : l’accès à la confiance en soi, se donner le droit de dire non, lutter par la non-violence, etc. Le roman national est la moelle de la vraie politique. Sans moelle, la colonne vertébrale tient moins bien…
Je n’ai donc jamais fait de différence entre littérature et politique car je me suis toujours fait une certaine idée de la politique.
RPP – Quel regard portez-vous sur notre situation politique ? Et quels enseignements tirez-vous plus généralement de presque huit ans désormais d’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron ?
Alexandre Jardin – Voici un jeune bureaucrate, inspecteur des finances, qui ne possède aucune trace de romancier en lui. À peine celles d’un journaliste car un média possède une ligne et des clients, deux choses qui font défaut au monsieur. Huit ans sans récit, huit années d’intrigues façon Netflix ce fut long, fastidieux. Les grands sujets – la moelle de tout récit digne de faire un beau roman – ont déserté la République. Nous y sommes en chute libre, ballotés par le rien. Nous sommes inconsistants : nous ne sommes ni centralisés, ni décentralisés, ni autoritaires ni démocrates, ni confiants dans la démocratie dite sociale, incapables d’appliquer les résultats de nos référendums : rien plus rien, cela fait peu. Que l’on songe à la puissance tonitruante des récits structurants de 1945 ou de 1958-62 !
Par la grâce de ce jeune homme girouette qui dresse la nation contre lui – la crise des gueux avec la loi ségrégationniste qui crée les zones à faibles émissions (ZFE) interdites aux pauvres – nous allons revenir en 2025 à une restructuration du grand récit national donc de nos structures fondamentales qui, à l’issue de la formidable crise en cours, va permettre notre renaissance. Il redevient possible d’envisager une sortie de notre dépression qui fabrique des réponses bureaucratiques en série.
Tous les partis étant étatistes et de culture administrative chimiquement pure, ils s’effriteront car cette folie ne porte pas de solution réelle, les citoyens le savent à pré- sent. On a déjà vu ça en 58. Chacun en France sait qui ils sont, et leur infirmité.
RPP – Il y a lorsqu’on suit vos prises de position à la fois un référentiel gaulliste, notamment dans le regard que vous portez sur la dimension exceptionnelle de la France, et en parallèle une très forte remise en question de l’étatisme. Pourrions-nous dire que vous êtes gaullo- libéral ?
Alexandre Jardin – C’est un pléonasme. Quand Charles quitte le pouvoir, la sphère publique pompe 34,5 % de la richesse produite, tout est dit. Pour rappel, on en est à 48 %. Charles n’a jamais donné les clefs de la nation aux bureaucraties françaises ou européennes ivres de reproduction des structures administratives. L’idée même de trahir le peuple en confortant ces ineptes lui paraissait farfelue. Charles est Républicain, pro-gueux, respectueux du suffrage et des référendums. Et il a une confiance illimitée dans le talent de la nation plutôt que dans celui des bureaucraties chères et peu créatives. L’idée de déglinguer la croissance à coups de règles invasives ne l’effleurait pas. Guerrier, il savait qu’un combattant doit être maigre, agile, prompt à l’initiative victorieuse. J’aime cet homme rugueux, amoureux de la France et incarnant ce qui va revenir dans le désordre périlleux et salvateur de 2025 : la possibilité de l’action réelle.
Et puis une autre famille parle à mon cœur épris d’efficacité : le monde mutualiste, très performant. Sans lui notre santé se serait effondrée, notre secteur bancaire ne ferait pas respirer le territoire.
RPP-La crise de la France est-elle la crise de ses élites ? Et di- riez-vous qu’il existe un séparatisme d’une partie de ces dernières ?
Alexandre Jardin – Pourquoi de tels euphémismes?Il y a un effondrement élitaire. La
caste est enfermée dans un schéma étatiste de quasi demeuré : agir = contraindre = dépenser = normer = voter une loi ou se soumettre à Bruxelles. Cette équation tragique de bêtise gouverne les esprits élitaires alors que le pays, lui, agit et se débrouille selon des modalités efficaces, complexes. Il n’a pas le choix ! Le séparatisme, oui, fonctionne à plein et sans honte. Sinon la nation vent debout – courez voir sur les réseaux – ne se serait pas reconnue dans l’ironie du terme « gueux », chargé du mépris social ressenti par tous.
RPP – Ces derniers temps vous vous êtes fortement engagés contre les ZFE. S’agit-il de la décision par nature susceptible de réactiver une révolte de type Gilets jaunes ? Vous avez sur votre compte X utilisé l’expression de « gueux » pour définir ceux qui sont les premiers pénalisés par cette mesure. Serions-nous à la veille de l’une de ces grandes ruptures dont la France est à intervalles irréguliers, mais néanmoins prégnants, le théâtre
?
Alexandre Jardin – C’est bien pire que les Gilets jaunes cette fois. Cette loi ségrégationniste d’illuminés a inventé le concept de sous-citoyens : elle a imaginé l’inter- diction de transport et d’accès aux villes des manants (et de la classe moyenne) qui vivent hors des villes. Plus de huit millions de véhicules interdits, démonétisés… Imaginez combien de millions de gueux se cachent derrière ce chiffre… bannis de toute vie normale. On est chez les barges.
Il faut relire L’Empire du Bien de Philippe Muray… c’est pire que sous sa plume. Paru il y a trente-quatre ans, ce livre vigoureux semblait outrancier et jubilatoire par ses excès. Trente-quatre ans après, avec cette loi anti-gueux qui crée les ZFE, on vit dans du Muray pur. Depuis le 1er janvier, les voitures des gueux – leur petit pécule – désormais invendables ont perdu toute valeur.
La spoliation légale des pauvres est immédiate et historique. Il fallait trouver cette astuce pour voler massivement au nom du bien, sans aucune culpabilité.
De plus, le gueux est assigné à résidence s’il a le toupet de ne pas avoir les moyens d’acheter une auto hors-de-prix puisque, détail savoureux (ou sadique ?), les panneaux ZFE fleurissent au bord des nationales et des autoroutes (très bon il est fait comme un rat, ne peut pas faire de- mi-tour !). Donc le voici… légalement interdit de déplacement. Bonheur supplémentaire : le gueux vivra désormais dans l’anxiété avec sa chariote clandestine puisque nul ne sait jamais quand on pénètre dans une zone ZFE. Il devient un suspect dans son pays.
Joie supplémentaire ! Le jeune gueux est enfin neutralisé – et interdit d’accès au travail. Jadis on trouvait heureux de démarrer sa vie avec une bagnole d’occasion pas trop chère. Terminé les enfants ! La loi anti-jeune absolue vient de sortir, estampillée verte and Co : tous les poli- tiques ont trempé là-dedans, dans cette logique punitive à grand échelle qui vise le pauvre.
Enfin le meilleur pour la fin : si le manant doté d’une chariote souffre d’une sale maladie (cancer, etc.), les hôpitaux étant situés dans les zones ZFE il ne peut s’y faire conduire par son conjoint, il ne peut plus accéder à ses soins sans être verbalisé ou sans creuser le trou de la Sécu en multipliant les transports onéreux pour la nation. Muray avait vu trop petit, en timoré ! Et la mairie de Paris, créative, a même inventé le Pass-Gueux puisque 24 fois par an le miteux a le droit de solliciter à l’avance – il ne faut plus qu’il soit trop spontané – le droit de s’infiltrer pendant 24 heures à l’intérieur du périmètre de la A86, en Boboland.
L’approche bureaucratique frise la démence. Pas sûr que les millions de manants relégués, punis, brimés et spoliés trouvent très drôle qu’on sorte d’une logique républicaine. La République, c’est l’inclusion de tous. Ça va chier….
RPP – Il y a tout de même des urgences écologiques à traiter !
Alexandre Jardin – Oh que oui ! Mais l’écologie ne peut pas être une déclaration de guerre aux gueux. Maintenant on le sait : toute réponse bureaucratique aboutit à cette horreur. La bureaucratie verte est une débilité de classe : elle veut du bio cher, des voitures chères, des appartements chers, des vols chers, pour un citoyen uniformément riche qui n’existe pas. Les solutions populaires doivent être massives – donc mobiliser la créativité de la sphère industrielle qui sait gérer les grands chiffres –, se spécialiser sur quelques sujets impactant réellement (et non des gestes religieux) et venir du dynamitage des normes : toutes les bureaucraties se liguent pour empêcher la créativité verte ! Elles asphyxient TOUTE forme d’initiative, y compris dans ce domaine vital, sacre bleu !
RPP – La technocratie a-t-elle remplacé le politique ? Et comment justement rétablir le politique ?
Alexandre Jardin – En en faisant sans mégoter. Par une série de référendums clairs puisque nos (très) chers partis étatistes nous ont plantés tous en cœur : maximisons la dispute démocratique. Parions sur la démocratie à l’issue de la période un peu agitée (euphémisme) qui nous pend au nez. Parions sur le respect intégral de chacun : 1+1+1…
RPP – Vous critiquez le bureaucratisme, la sur-administration.
Quelle est votre position sur d’autres enjeux prioritaires pour de larges segments de l’opinion : le régalien, l’identité, la question migratoire entre autres.
Alexandre Jardin – Je suis pour la démocratie, et contre la dépossession : le peuple doit trancher directement des questions structurantes en ne laissant aucune place à l’interprétation par les crânes d’œufs. Les intelligents prétendent que ce sont des questions complexes qui ne peuvent faire l’objet de questions simples. Je crois rigoureusement l’inverse, comme dans les réunions de famille où l’on évoque un secret de famille que tout le monde connait : il faut y aller au bazooka, ne pas hésiter à vivre en France un grand remake de Festen.
La démocratie vivante doit être une formidable dispute familiale : voulez-vous oui ou non un moratoire intégral sur la politique migratoire pendant 5 ans, le temps de mettre en place des politiques d’intégration et de formation populaires efficaces ? Voulez-vous oui ou non que le droit français s’impose à tout autre droit ou traité ? Voulez-vous oui ou non que l’on revienne aux codes normatifs (liste…) de 1995, avant l’inflation des normes ?
Voulez-vous oui ou non un Référendum d’Initiative Populaire local ou national ? Voulez-vous oui ou non que le Conseil constitutionnel revienne au périmètre d’intervention qui était le sien à l’origine de la Ve Ré- publique ? Voulez-vous oui ou non que le déficit public soit formellement interdit en dehors de pures dépenses d’investissement ? Voulez-vous oui ou non que le coût de l’électricité dépende du seul coût de production en France (avec un coefficient de marge de x %) ?
Voulez-vous oui ou non que toute atteinte au corps de l’autre soit puni de x années d’emprisonnement automatique afin que le corps de chacun en France soit protégé ? Etc. Etc.
Posons les questions et engueulons-nous fermement, avec des arguments légitimes, forts ! Puis votons en démocrates sincères capables de s’affronter gaillardement. Plus les questions seront saignantes, difficiles, plus nous purgerons 40 années de déconnexion pitoyable, de dépossession indigne et vénéneuse, pour remettre la République sur un grand chemin de vitalité.
RPP – Et vous, que pensez-vous ?
Alexandre Jardin – Sur ces questions, je m’intéresse très peu à mes propres positions : elles reflètent mon pauvre petit moi, mon histoire de gentil garçon et mes croyances étriquées ; tout ce qui n’a aucun intérêt quand l’essentiel est en cause : l’identité de la nation qui doit s’exprimer. Le processus démocratique me semble beaucoup plus important que le résultat pour faire renaitre une nation vivante, sûre de sa direction.
RPP – Une dernière question. Boualem Sansal est incarcéré en Algérie depuis plusieurs semaines. Vous êtes membre de son Comité de soutien. La position de la France est à vos yeux trop timorée. Que faire selon-vous et comment ?
Alexandre Jardin – Canonner : on ne touche plus aux citoyens français à l’extérieur. La France doit les récupérer au prix fort. Chaque Français doit savoir qu’on le récupérera au prix fort, que France is back, qu’elle ne mégote plus. Ça suffit la France pas back du tout ! Donc bloquer sans coup férir les avoirs et biens immobiliers des dirigeants algériens en France, leur interdire de se faire soigner en France, bloquer tout visa entre les deux pays et empêcher tout envoi d’argent depuis la France tant qu’on ne nous rend pas notre écrivain Sansal : revenir à la possibilité de l’action franche. En sachant que le prix sera très élevé : sans doute une vague terroriste. Le régime finissant là-bas a déjà montré ses élégances et ses coups de billard complexes. Être Français doit redevenir un courage. C’est tout. On doit déshabituer le monde de se conduire mal avec nous. En français, avoir du cœur possède deux sens très forts : être tendre et avoir du courage. Sauvons Boualem Sansal, malade et âgé, avec cœur !
Alexandre Jardin