A la satisfaction de voir un effet accélérateur de la réforme de 2019 sur le retour à l’emploi il faut ajouter un regard économique … qui dit l’effet négatif de cette réforme.
Réforme de l’indemnisation du chômage : un rendement social négatif.
Le comité d’évaluation de la réforme de l’Assurance chômage initiée en 2019 a rendu son rapport, la Dares l’a publié. Des commentateurs et observateurs des politiques publiques concluent, à la lecture certainement rapide du rapport, que cette réforme a des effets favorables sur la reprise d’emploi par les chômeurs. C’est à moitié vrai, donc c’est faux. Sur la période 2019-2024 la création d’emplois et l’amélioration de la situation financière de l’Assurance chômage résultent de la conjoncture économique favorable davantage que la réforme de l’indemnisation.
Retenir que la réforme a amélioré le retour à emploi c’est omettre que, réforme des seuls paramètres de l’indemnisation[1], elle laissait dans l’angle mort des politiques publiques les chômeurs non indemnisés qui comptent pour 50% des demandeurs d’emploi inscrits à France travail.
Á la satisfaction rapide qui assimile les effets de la réforme à l’amélioration de la situation de l’emploi et celle, financière, de l’Unédic, il faut ajouter les questions que se posent les économistes.
Un retour plus rapide dans l’emploi des chômeurs indemnisés ne crée-t-il pas un effet d’éviction pour les non-indemnisés ? La réduction du nombre des demandeurs d’emplois, et l’amélioration de la situation financière de l’Unedic résultent-elles de la réforme ou de la conjoncture économique ?
Les chômeurs de longue durée non-indemnisés ont-ils subit un effet d’éviction ?
Sur la période 2019-2023, le taux de chômage de longue (CLD) durée évolue de 2,3% à 1,8% ; le taux de chômage de 8,2% à 7,5%. Un simple – simpliste – ratio rapportant le taux de CLD au taux de chômage ne détermine pas un effet d’éviction : passant de 28 à 24%, le poids du CLD dans le chômage diminue, les chômeurs de longue durée n’auraient pas subi d’effet d’éviction. La diminution du chômage de longue durée, pour lequel il n’existait pas d’incitation, est un fait qui invite à penser que l’effet conjoncture a pleinement joué à la baisse sur le taux de chômage davantage que ne l’a fait la réglementation de l’indemnisation.
Conjoncture économique, chômage et indemnisation.
L’Insee[2] nous dit que « depuis 2019, 1,3 millions d’emplois salariés ont été créés ». Cette dynamique, modulo l’augmentation de la population active (« la population active aussi est restée dynamique, si bien que le taux de chômage au sens du BIT s’est stabilisé à 7, 3% de la population active en 2023 »). Ce 1,3 millions d’emplois a-t-il eu un effet sur le nombre des inscrits à France travail ? Ils étaient 6,509 millions fin 2019 et 5,215 millions fin 2024. Peut-on ne pas voir que ces emplois qui ont absorbé partie de l’augmentation de la population active ont aussi permis le retour à l’emploi d’une part des chômeurs ? L’effet conjoncture sur l’emploi a été plus fort que la réforme de l’indemnisation, ce que semble confirmer, sur la même période, le nombre des indemnisés par l’Assurance chômage : de 2,6 millions fin 2019 il augmente à 3 millions en 2020 pour se « stabiliser » à 2,5/2,6 millions de 2021 à 2024.
La réforme de 2019, quels effets incitatifs ?
La commission d’évaluation nous dit que « les travaux quantitatifs concluent sans ambiguïté que les mesures portant sur l’indemnisation ont accéléré le retour à l’emploi des demandeurs d’emploi », et précise que ces mesures (calcul du salaire de référence et conditions d’accès aux droits) « n’ont pas provoqué d’allongement de la durée des emplois repris [et ont] vraisemblablement renforcé la précarité ». La commission ajoute que la dégressivité des hautes indemnisations « ne change pas les incitations à reprendre un emploi long. Elle ne semble pas dégrader les caractéristiques des emplois retrouvés, qui restent principalement des CDI sans perte significative de niveau de salaire de base. La mesure de dégressivité apparaît particulièrement efficace, puisqu’elle provoque une accélération du retour à l’emploi, sans pour autant dégrader la qualité de l’emploi salarié retrouvé ». Cette accélération du retour à l’emploi est-elle conséquence de la dégressivité ou est-elle favorisée par le contexte porteur de l’emploi des cadres (+ 13% en moyenne annuelle ces trois dernières années – APEC) ?
La réforme de 2019 n’a pas, à ce stade, d’effet majeur sur le retour à l’emploi des chômeurs indemnisés les mieux armés pour le retour à l’emploi et un effet négatif sur les plus précaires.
Vu depuis l’Assurance chômage la réforme a pour conséquence d’accélérer en les raccourcissant, pour les demandeurs d’emploi les plus précaires, les alternances entre emploi et chômage.
Réforme de l’indemnisation et situation financière de l’Unedic.
L’amélioration de la situation financière de l’Assurance chômage sur la période 2019-2024 est une réalité qui ne doit rien (au mieux qui ne doit rien encore) à la réforme de 2019 mais à une conjoncture économique favorable qui, elle-même, est avant tout un « rebond ».
Á défaut d’effets imputables, dès aujourd’hui, à la réforme de 2019, l’État fait jouer son droit d’aubaine et engrange un « gain » financier. Tant pis si le retour à meilleure fortune des comptes de l’Assurance chômage est affecté à autre chose qu’au désendettement de l’Unedic : c’est bon pour les comptes publics ! Faut-il voir là que l’État se rembourse, pour partie, du quoi qu’il en coûte qui permettait de maintenir l’appareil productif ? Faut-il voir qu’agissant ainsi l’’Etat maintient le déficit de l’Unédic qui justifiera une prochaine réforme ?
La réforme de 2019 : rendement social négatif et effet d’aubaine !
La réforme « visait à encourager la reprise d’emploi durable dans un contexte de difficultés de recrutement élevées et de recours marqué aux contrats courts », elle n’a pas donné, à ce stade, les effets attendus. La Commission conclut que cette première analyse « appelle néanmoins un élargissement de la portée de l’évaluation pour inclure l’impact macroéconomique, les effets de bord sur le recours aux minima sociaux et le non-recours à l’Assurance chômage… ».
Une autre conclusion est possible : la réforme a, à ce jour, un rendement social négatif parce qu’elle ajoute à la précarisation des chômeurs altérant emploi de courte durée et chômage sans améliorer celle des chômeurs les plus proches de l’emploi.
Il est probable que, hors conjoncture économique favorable elle aurait créé un effet d’éviction au détriment des chômeurs non indemnisés. La satisfaction tirée d’un faux constat sur la base d’un bilan non définitif fait craindre qu’une prochaine réforme de l’indemnisation soit décidée sur la fausse vérité que celle de 2019 a accéléré le retour à l’emploi durable des chômeurs indemnisés par l’assurance chômage.
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale – Think tank CRAPS, est ancien DGA de l’Unédic.
[1] (1) changement du mode de calcul du salaire journalier de référence et de la durée potentielle d’indemnisation ; (2) allongement de 4 à 6 mois de la condition d’affiliation minimale au régime d’Assurance chômage pour ouvrir un droit ; (3) dégressivité pour les allocations élevées et (4) bonus-malus de cotisations pour certains employeurs en fonction de leur recours aux contrats courts.
[2] In « Emploi, chômage, revenus du travail » – édition 2024, Insee références 22 août 2024.