Le rôle de l’école dans la lutte contre les inégalités scolaires prend souvent la forme d’un questionnement : l’école peut-elle contribuer à limiter l’aggravation des inégalités entre les élèves ? Si cette question est régulièrement posée, c’est avant tout à partir d’un diagnostic aujourd’hui tabou : de la maternelle à l’université, l’école est pensée par et pour les catégories sociales les plus favorisées et notre système éducatif n’est pas conçu pour faire réussir tous les élèves.
C’est ainsi qu’en 2015, à l’issue de la scolarité du premier degré, à l’entrée en sixième, un enfant d’ouvrier sur dix souffrait d’un retard dans son parcours scolaire contre seulement 3% d’enfants de cadres. Cet état de fait se confirme au niveau du baccalauréat : en 2023, si 79 % des lauréats enfants de cadres obtiennent un baccalauréat général, 13 % un baccalauréat technologique et 7 % un baccalauréat professionnel, la répartition est respectivement de 43 %, 24 % et 33 % pour les enfants d’ouvriers.
Si l’école ne peut, à l’évidence, être tenue pour responsable de cette situation, il n’en demeure pas moins qu’elle ne permet pas aux élèves des classes modestes de compenser les faiblesses de l’environnement social et familial dont on connaît l’impact majeur sur la réussite scolaire : pour être clair, ce n’est pas notre école qui creuse les inégalités mais elle ne parvient pas à les réduire.
C’est pourquoi nous devons sans tarder examiner les leviers qui doivent permettre à l’École de lutter efficacement contre les inégalités pour mieux garantir une démocratisation de la réussite scolaire aujourd’hui encore réservée à quelques-uns.
Trois thématiques parmi d’autres apparaissent comme essentiels et nécessitent à la fois un véritable changement de paradigme ajouté à un courage politique jusqu’alors trop timide : la mixité sociale et scolaire, l’éducation prioritaire et la reconnaissance des personnels d’éducation.
L’indispensable mixité sociale et scolaire
Si l’objectif de mixité sociale et scolaire est bien inscrit dans l’article 1 de la loi de Refondation de l’Ecole de 2013, seules quelques expérimentations ont été financées conjointement par l’État et les collectivités territoriales.
Or le constat est éloquent : 12 % des élèves fréquentent un établissement qui accueille 2/3 d’élèves issus de milieux socialement très défavorisés. En classe de 3e au collège, 45 % des établissements pratiquent une ségrégation active et 25 % des formes de séparatisme social. L’enseignement privé -qui perçoit des subventions publiques pour la majorité d’entre eux- scolarise 36,7 % d’élèves d’origine sociale favorisée contre 20,6 % dans le public.
Alors que l’importance de la mixité sociale et scolaire pour tous les élèves n’est plus à démontrer, la persistance d’une ségrégation sociale et scolaire entre établissements, entre les classes d’un même établissement et entre public et privé -du fait même de l’État- alimente quotidiennement un entre soi qui reproduit les inégalités et entrave toute démocratisation de la réussite.
Plus que jamais les expérimentations destinées à améliorer la mixité sociale et scolaire – comme celle de Toulouse – doivent être développées et soutenues, les questions de carte scolaire doivent être revisitées pour un meilleur équilibre en intégrant notamment les établissements privés qui bénéficient des deniers publics à hauteur de 75 % sans être à ce jour soumis aux mêmes obligations d’accueil que l’enseignement public et sans quasiment aucun contrôle administratif, pédagogique et financier.
L’éducation prioritaire doit être… une priorité
Au risque de déplaire aux contempteurs du « donner plus à ceux qui ont moins » et de contredire un récent rapport de la Cour des comptes, rappelons ici que sans les dispositifs d’éducation prioritaire installés depuis 1981, la situation des inégalités scolaires et de réussite des élèves dans les quartiers concernés seraient bien plus grave qu’elle ne l’est aujourd’hui, dans un environnement socio-économique qui s’est dégradé sur de nombreux territoires.
Pour autant, ces inégalités ne vont pas en diminuant et les écarts se creusent entre ceux qui réussissent et ceux qui sont en grandes difficultés, faute d’un investissement massif – plutôt qu’un saupoudrage inefficace – dans deux domaines au moins qui impactent durablement les apprentissages et la réussite des élèves.
La santé
Comment réussir sa scolarité en REP – Réseau d’Education Prioritaire – quand les enfants de 6 ans qui y vivent ont deux fois plus de problèmes dentaires, d’audition et d’obésité que dans les écoles hors-REP ? Comment réussir sa scolarité quand les enfants de ces quartiers ont en moyenne 30 % de problèmes de vue en plus que la moyenne hors éducation prioritaire ?
La médecine scolaire -médecins, infirmières- doit être omniprésente dans ces établissements afin de permettre dès l’école maternelle une prévention médicale de tous les instants, un véritable travail en lien avec les équipes éducatives, les familles et les structures de soins dans les quartiers.
Et aujourd’hui cette médecine scolaire est exsangue : 1 infirmier pour 1 600 élèves, 1 psychologue pour 1 500 élèves, un assistant social pour 4 000 élèves et un médecin scolaire – rémunéré 2 000 euros – pour 13 000 élèves quand dans le même temps une enquête de Santé Publique France de 2022 indique que 13 % des 6-11 ans présentent au moins un trouble psychique et que celle menée par EnClass indique que 15 % des adolescents présentent un risque élevé de dépression avec 13 % des lycéens qui auraient déjà fait une tentative de suicide…
Des financements à la hauteur des enjeux
Cessons de rabâcher l’antienne éculée selon laquelle « l’éducation prioritaire, ça coûte cher ». Et rappelons que par exemple, à effectifs identiques, un collège en éducation prioritaire peut avoir une masse salariale inférieure à celle d’un centre-ville du fait du nombre important de jeunes enseignants en début de carrière dans les établissements en REP ou REP+.
De la même manière peut-on continuer à accepter que l’État finance en moyenne 18,80 euros par élève en éducation prioritaire pour l’accompagnement éducatif et dans le même temps 45 fois plus pour un élève qui prépare les concours en classe préparatoire ? – rapport de la Cour des comptes de 2016 -.
Il est grand temps que les responsables politiques tournent le dos à une politique de saupoudrage en mettant en place une véritable politique de financement massif et pérenne sur ces secteurs les plus en difficultés et en l’articulant de manière cohérente avec les autres dispositifs comme par exemple ceux relevant de la politique de la ville.
Reconnaître les enseignants, piliers de notre République
Sans eux, rien ne sera possible : reconnaître les enseignants à leur juste place au cœur de notre projet de société, c’est à la fois les former et revaloriser leur fonction.
Une formation initiale et continue digne de ce nom
Tant qu’on ne comprendra pas qu’enseigner, plus qu’une vocation, est un métier qui nécessite des professionnels de très haut niveau, nous ne parviendrons pas à faire de l’école un levier dans la lutte contre les inégalités.
N’oublions jamais, comme le soulignent régulièrement les études de l’OCDE, que les systèmes éducatifs performants sont ceux dont les enseignants ont bénéficié de longs stages pratiques de formation initiale et qui, par la suite, ont pu bénéficier d’une formation continue importante basée sur les besoins des équipes pédagogiques.
Des salaires décents et attractifs
Le constat est aujourd’hui connu : entre 2000 et 2020, les enseignants ont perdu entre 15 % à 20 % de leur pouvoir d’achat avec 70 % des professeurs des écoles et 50 % des certifiés qui aujourd’hui perçoivent moins de 2 500 euros mensuels nets, primes et heures supplémentaires comprises quand dans le même temps leurs homologues de catégorie A de la fonction publique gagnent 1000 euros de plus.
Essentiellement basée sur l’acceptation par les enseignants des charges supplémentaires de travail définies dans un fameux « pacte » décrié par une grande majorité de la profession, une revalorisation digne de ce nom devrait en réalité se traduire par une révision des grilles indiciaires indépendamment des indemnités et des primes non prises en compte dans les retraites et par un point d’indice calé à minima sur l’inflation.
Redonner confiance et permettre aux métiers de l’enseignement et de l’éducation de redevenir attractifs quand le nombre de démissions a triplé en dix ans, c’est aussi placer la question de la revalorisation des personnels au cœur des enjeux éducatifs.
Réaffirmons avec force que pour que certains réussissent, il n’est pas nécessaire que d’autres échouent et que les inégalités ne sont pas une fatalité.
Une Ecole juste pour tous, exigeante pour chacun, une Ecole qui ne laisse personne au bord du chemin : telle doit être notre ambition collective.
Yannick Trigance
Secrétaire national PS école, collège, lycée
Conseiller régional Ile-de-France