Voilà bien un objet politico- administratif mal identifié, sujet aux fantasmes sur son
pouvoir supposé, comme aux critiques sur son utilité réelle. « Le Service d’Information du Gouvernement » n’est certes pas un service de renseignement comme son nom trompeur pourrait l’évoquer, mais il n’est pas non plus un simple service communication, comme ses textes réglementaires pourraient le laisser supposer.
Créé au milieu des années 70 et rattaché à Matignon, son directeur est nommé en Conseil des ministres depuis une vingtaine d’années, ce qui lui donne un statut particulier parmi les « communicants » de l’État. Le SIG, matignonesque par essence, a ainsi vocation interministérielle, celle de coordonner la communication, hier surtout publicitaire, aujourd’hui surtout numérique, des ministères et des administrations (mais pas celle des ministres, soulignons-le, de loin la plus visible dans l’actualité !).
Le SIG est d’abord au service du Premier ministre et de son cabinet, sa tutelle préférée, mais son rôle dans la communication personnelle du Premier ministre est aussi très variable, sous l’œil vigilant sinon soupçonneux du conseiller com et du service presse du cabinet de Matignon.
Et il entretient une relation ambiguë, pas toujours officielle, et toujours non fonctionnelle, avec l’Élysée.
LE SIG, CET ÊTRE HYBRIDE
Le SIG en réalité est une hybridation très particulière de politique et d’administration, vivant dans une double temporalité structurelle, celle très courte du gouvernement et celle, longue, de l’État. Là est son aporie constitutive, qui peut conduire son directeur, s’il n’y prend garde, à la schizophrénie.
Son rôle véritable en effet, y compris sur le long terme, dépendra des relations fluctuantes de ce directeur avec les rues de Varenne et du faubourg Saint Honoré, (dont les relations elles-mêmes sont toujours simples, comme on sait). En cas de difficultés dans la communication politique du gouvernement – mais quand n’y en a-t-il pas ? – ce directeur, responsable de rien dans le détail, peut être désigné coupable de tout en particulier. Voilà en effet une personne d’influence, qui peut ne pas en avoir : c’est un politique qui n’en fait pas toujours, ou bien un gestionnaire qui est amené à en faire, selon les grâces et disgrâces des moments. D’où un horizon temporel souvent limité, deux à trois ans en moyenne, au rythme des contrats de location de Matignon, à l’exception notable de l’actuel titulaire du poste, Michaël Nathan, en fonction depuis sept ans :
Plus les Premiers ministres se succèdent à un rythme effréné, plus le directeur du SIG deviendrait stable ?
Mais pour quoi faire exactement ? Le SIG est censé d’abord « communiquer » sur l’action du gouvernement et de l’État, mais son rôle le plus constant est tout de même de sonder les Français à intervalles très réguliers – et depuis une douzaine d’années d’analyser et d’alerter sur les vagues capricieuses ou dangereuses des ré- seaux sociaux.
LES « CAMPAGNES »
Aux beaux jours de cette administration (alors appelée SID), dans les années 70, 80 et 90, qui étaient aussi l’âge d’or de la publicité télévisée et des budgets publics généreux, il joua un rôle stratégique dans des publicités d’État sur la sécurité routière et la santé publique en particulier, qui ont marqué les esprits (« Un verre, ça va, trois verres, bonjour les dégâts »). Soulignons que ces campagnes dites « comportementales » furent souvent des succès, quand les campagnes de promotion de l’action gouvernementale ont été le plus souvent des bides, parfois coûteux. La pub n’est pas faite pour la propagande, ni même pour la « com » – même si elle peut être utile pour l’information de service public.
Ici comme dans d’autres domaines, celui de l’identification graphique puis numérique de l’État par exemple, le SIG a été bien plus utile pour agir sur le temps long, que sur le temps court de l’action gouvernementale.
Alors que bien entendu, il est plus attendu par ses autorités politiques sur le temps court…
Depuis cet âge d’or, les budgets d’achats d’espace publicitaire – précisément parce que coûteux et trop gaspillés en campagnes promotionnelles – sont en réduction, la publicité et la TV n’étant plus par ailleurs ce qu’ils étaient. Le numérique et les réseaux sociaux sont censés les remplacer, ce qu’ils ne font pas, et la visibilité des campagnes du SIG en a fortement souffert. Hormis un court revival lors de la pandémie de Covid, quand il a fallu rappeler Gilbert Bécaud (« Je reviens te chercher »…) pour inciter les Français à se faire vacciner.
En réalité, au SIG, les sites et les tweets remplacent de plus en plus les spots. Le SIG a été l’initiateur efficace de la numérisation de la communication du gouvernement et de l’État, d’abord sous Lionel Jospin, puis à partir de Jean-Marc Ayrault. Comme il est devenu dans le même temps, sous contrainte budgétaire, le centralisateur de la communication des ministères, en concentrant les grands marchés publics auxquels ces derniers sont bien obligés de recourir.
QUAND LE SIG SONDE
Grands marchés publics nombreux, se multipliant avec la numérisation de la communication, mais ceux des sondages sont les plus stratégiques. Cette dernière activité est en effet la plus secrète car la plus politique du SIG – la plus politique car intéressant le plus cabinets et ministres, souvent dans l’immédiat de l’action gouvernementale. Et peut-être la plus vaine…
Le SIG sonde toujours, pour remédier à la fameuse « déconnexion » du pouvoir, isolé dans sa bulle technocratique, médiatique, partisane, courtisane : le SIG sonde de façon ponctuelle et de façon hebdomadaire, et même quotidienne s’il le faut en période de crise ; le SIG sonde de façon quantitative et qualitative ; il sonde encore de façon sectorielle ou globale, dans des études ad hoc ou barométriques… Précisons les choses : il est interdit au SIG de mener des études électorales, et déconseillé de trop travailler sur la stratégie politique personnelle du Premier ministre ou du Président. Sans pouvoir néanmoins s’en désintéresser…
Mais toujours le SIG sonde, en plus de veiller et de diffuser à qui de droit les sondages publiés un peu avant leur publication. Et qui plus est, il les analyse, grâce à une équipe le plus souvent remarquable : il est donc la Mecque des sondages en France, où tout bon chargé d’études est allé en pèlerinage, avant ou après avoir fait carrière dans un institut privé.
L’ancien directeur et sous-directeur que je suis, est parfois traversé, avouons-le, par un doute affreux : à quoi bon tant sonder si c’est pour avoir des politiques menées aussi impopulaires, un système politique aussi délégitimé, des gouvernants aussi détestés ? À quoi bon sonder si on en tire aussi peu de conséquences et de conclusions ? Ou pire encore, si ces conclusions ne servent à pas grand-chose, comme si le train des décisions s’affranchissait des états d’âme populaires ?
J’ai eu l’honneur de servir le gouvernement et le Premier ministre les plus impopulaires de la Ve République (2012-2014) et auparavant, en tant que sous-directeur, un de ses gouvernements les plus populaires (1997-2002) – avant que son Premier ministre respecté ne passe pas le 1er tour de la présidentielle, un certain 21 avril 2002… Le risque, avéré en effet, de la bêtise du « gouvernement par les sondages » « au fil de l’eau » comme on dit, fait un peu sourire au regard des 25 dernières années : il arrive, bien plus souvent qu’on ne le pense, que les gouvernants ne veuillent pas entendre ce que disent les études d’opinion. La persévérance dans une telle surdité politique est étrange. Les sondages disent rarement ce qu’il faudrait faire, mais soulignent bien ce qu’il ne faudrait pas faire, ce qu’on ne peut négliger, ce que ne disent pas les statistiques officielles. Entres autres ! Ils peuvent surtout donner une réalité charnelle et intellectuelle, par les études quali en particulier quand elles sont bien faites, à ces entêtantes préoccupations appelées « pouvoir d’achat », « insécurité », « retraites », « immigration » qui lassent à la longue la technocratie…
Il est bien sûr nécessaire de prendre parfois des mesures impopulaires, mais il est hasardeux de gouverner durablement contre le peuple, du moins sa majorité.
Un jour, quand tout sera sur le point de disparaitre (à cause d’un Elon Musk local ?) il faudra sauvegarder les armoires du SIG afin de faire l’histoire exacte de la chute de la Ve République : pour comprendre comment telle décision surprenante a pu être prise, comment tel sondage n’a pas été compris ou a été écarté par un conseiller contrarié par les résultats. Comment tel autre sondage a mal posé les questions parce qu’on ne voulait pas des réponses…
Au fond le SIG est très utile pour orienter dans la durée la communication de l’État, ses multiples administrations et agences ; moins quand il se soumet aux exigences et contraintes politiques de la courte durée. La plus belle réussite du SIG, sous la forte impulsion personnelle de Bernard Candiard, entre 1997 et 2002, est d’avoir réussi à imposer l’identité graphique de l’État à l’ensemble des administrations – c’est la fameuse « Marianne », de profil – sans que personne ne moufte alors que les censeurs potentiels étaient nombreux ! Mais elle incarnait avec un tel naturel la République française dans laquelle les Français se reconnaissent spontanément. Réussite créative, graphique, finalement métapolitique ! 25 ans plus tard, personne de sérieux n’a songé à la remettre en cause, mais bien plutôt à en prolonger les applications dans la communication numérique de l’État.
Les réussites silencieuses sont souvent les plus durables.
Philippe Guibert
Chroniqueur Ancien directeur du SIG