La proposition d’instaurer un impôt mondial de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, popularisée par Gabriel Zucman, a trouvé un large écho. Politiquement, le slogan est imparable : qui refuserait l’idée de “taxer le patrimoine des ultra-riches” ? Mais derrière l’efficacité sémantique se cache une véritable aporie économique.
L’illusion sémantique
Dans l’imaginaire collectif, “patrimoine” renvoie à des villas, des yachts, des bijoux, des œuvres d’art. Bref, la rente ostentatoire et improductive. Le terme est ainsi un instrument politique redoutable : il simplifie, rassure et rend la mesure immédiatement populaire.
La réalité économique et comptable
En fiscalité, la notion de patrimoine est bien plus large : elle recouvre l’ensemble des actifs nets. Or, pour les milliardaires, l’essentiel ne réside pas dans des biens de luxe, mais dans des parts d’entreprises. Des actifs souvent illiquides, volatils, dont la valeur peut fluctuer au gré des marchés. Autrement dit : non pas du cash dormant, mais du capital productif.
Une confusion dangereuse
Taxer indistinctement “2 % sur tout” revient à amalgamer la rente dormante et l’outil de production. L’héritier vivant de ses loyers peut aisément s’acquitter de l’impôt. Mais l’entrepreneur ou l’actionnaire majoritaire doit céder chaque année une partie de son capital pour payer, au risque de fragiliser sa société et, paradoxalement, de voir l’État devenir actionnaire par défaut.
Un raz-de-marée médiatique et politique
Ce qui frappe, c’est l’étonnante couverture médiatique et l’adhésion populaire massive. Les sondages sont spectaculaires : près de 86 % des Français, toutes appartenances politiques confondues, se disent favorables à la mesure. Rarement une proposition aura suscité une telle unanimité transpartisane. Mais ce consensus est moins le fruit d’un raisonnement fiscal que d’un mot. Patrimoine agit ici comme un cas d’école de soft power : il évoque spontanément des signes extérieurs de richesse, il rassure et séduit. Le mot emporte la bataille culturelle avant même que la discussion économique ait lieu.
Un slogan politique, une illusion économique
Pourtant, la réalité est tout autre : ce ne sont pas les yachts ou les villas qui seraient principalement concernés, mais les entreprises productives. LVMH, certes, mais aussi Airbus, Hermès, Sanofi, Schneider, Dassault, sans oublier la French Tech et les start-up en croissance. Autant de fleurons créateurs de valeur, d’emplois et de savoir-faire. Derrière un mot séduisant, on fragilise la machine à produire de la richesse et l’on attaque la dynamique entrepreneuriale.
Les vrais enjeux
Le diagnostic de Zucman est juste : les ultra-riches contribuent trop peu en proportion, protégés par l’optimisation et l’évasion fiscale. Mais la solution n’est pas “2 % sur tout”. Le véritable enjeu est de cibler les flux réels (dividendes, plus-values réalisées, loyers), de fermer les niches, de réguler les montages internationaux et d’harmoniser les règles fiscales à l’échelle mondiale. La justice fiscale passe par la taxation des rentes, pas par l’affaiblissement du capital productif
Dr HDR Virginie Martin
Politiste, sociologue
Kedge BS – Medialab