En annonçant qu’il renoncerait à utiliser l’article 49-3, Sébastien Lecornu n’a pas seulement fait une concession au Parti socialiste, il s’est fait le relais du président de la République. Face à l’impasse politique dans laquelle se trouve son Premier ministre, ce dernier consent désormais à renoncer à une partie de son pouvoir. Une première sous la Ve République.
« Partager le pouvoir » : c’est évidemment la phrase clé de la déclaration matinale de Sébastien Lecornu ce vendredi 3 octobre. Au-delà des concertations et autres consultations menées par le Premier ministre en quête d’un compromis improbable depuis trois semaines, au-delà des discussions qui s’éternisent, c’est un changement de méthode complet qu’il a annoncé en affirmant qu’il ne recourrait pas à l’article 49-3 pour faire adopter le budget de la France.
Certes, il s’agit pour lui de tenter de se dégager de la tenaille dans laquelle il est enfermé, pris entre les revendications du Parti socialiste d’un côté et celles des Républicains de l’autre, et de transférer la responsabilité d’un éventuel échec aux seuls parlementaires priés de s’entendre. Certes, il s’agissait pour lui, de répondre à Bruno Retailleau qui avait haussé le niveau de ses exigences en sortant jeudi soir de Matignon. Mais, en s’exprimant à l’heure où les Français sont sur le chemin de leur travail, le Premier ministre a choisi de s’adresser aux seuls responsables des partis, qu’il allait recevoir dans la foulée de sa déclaration. Un appel de la dernière chance en quelque sorte.
Mais le renoncement à l’utilisation du 49-3 va bien au-delà de la concession accordée aux socialistes et de la recherche d’un consensus sur le budget. L’abandon d’un outil fondamental à la disposition du pouvoir exécutif signifie, au moins pour un moment, un changement radical dans le fonctionnement de la Ve République. Pour opérer ce revirement complet, il lui fallait l’accord du président de la République avec qui il a dîné jeudi soir, à la veille de sa déclaration. Jusque-là, Emmanuel Macron s’y opposait. Partager le pouvoir ? Jamais !
Face à l’impasse devant laquelle se trouvait son Premier ministre, il a pourtant fini par céder et se rendre à la thèse défendue… par un de ses ex-Premiers ministres. Dès l’échec de Bayrou à obtenir la confiance de l’Assemblé nationale, Gabriel Attal avait en effet préconisé dans un tweet que Macron devrait désormais « accepter de partager le pouvoir ». En clair, se résoudre à une forme de cohabitation. Propos qui avait ulcéré l’intéressé, moins disposé que jamais à le faire, et avait achevé de consommer la rupture entre les deux.
Dans la situation folle que traverse le pays, ce n’est donc pas le moindre des paradoxes de voir le chef de l’Etat s’en remettre, contraint et forcé, à la solution préconisée par le patron de Renaissance, le parti qu’il a lui-même fondé, désormais en opposition frontale avec lui. En clair, se soumettre plutôt que de risquer d’être obligé de se démettre.
Carole Barjon
Editorialiste politique