Des députés favorables aux « conventions citoyennes » veulent, sous prétexte de démocratie, mettre sous tutelle le suffrage universel, expression de la souveraineté du peuple.
Tel le fameux serpent de mer, c’est de façon périodique que nous voyons resurgir l’appel aux fameuses « conventions citoyennes » formées de personnes tirées au sort et encadrées par des experts, se présentant comme porte-parole du peuple. Pour leurs promoteurs, c’est une révolution démocratique ; en fait, c’est une habileté pour mobiliser les citoyens sans toucher au pouvoir politique réel, voire même pour effacer toute souveraineté populaire.
A l’origine, cette proposition était particulièrement portée par des experts qui -par hasard peut-être- se voyaient animateurs de ces conventions. L’un d’entre eux ne déclarait-il pas naïvement qu’il était frappé par le fait qu’à l’issue des débats, les tirés au sort se trouvaient, pour l’essentiel, en accord avec les experts ?
A propos des députés
Le 15 janvier 2025, ce sont donc des élus qui se sont déclarés porteurs de cet objectif, en l’occurrence 11 députés membres de 5 groupes parlementaires. Ils demandent rien de moins que la constitutionalisation de ces conventions dites citoyennes. Un colloque doit d’ailleurs être organisé sur ce sujet, colloque qui semble essentiellement rassembler des partisans du projet. Il est vrai que l’esprit critique n’est pas, de nos jours, la chose du monde la mieux partagée.
Que des députés s’inquiètent du déclin de la démocratie est en soi plutôt une bonne chose. Nous les avons souvent appelé à plus de distance par rapport au système et à participer au renouvellement de la vie démocratique. En effet, le système dit représentatif génère de moins en moins de véritables représentants. Voir des députés aider à la création d’assemblées communales de citoyens pour la reconstruction de la vie démocratique est une bonne chose, entendre des députés contester des lois visiblement contraires à la volonté du peuple (par exemple la loi retraites) serait infiniment souhaitable, mais on ne peut accepter l’idée que des députés souhaitent inscrire dans la Constitution la légitimité de conventions sans rapport avec le suffrage universel. Car, ce faisant, ils remettent en cause les principes républicains de citoyenneté et d’égalité des citoyens et créent un conflit de légitimité. En effet, pour les promoteurs des Conventions, leur résultat est présenté comme le « bon » résultat, sous les apparences de la froide objectivité. Le parlement qui s’en saisit ensuite est ainsi sommé de le suivre : il est tancé s’il ne le fait pas. Il s’agit donc en réalité de mener les citoyens comme un troupeau d’enfants à qui il faut montrer le droit chemin[i].
Peuvent-ils faire une proposition aussi grave touchant à la Constitution et même au suffrage universel sans revenir devant les électeurs ? Dans la profonde crise institutionnelle et démocratique aujourd’hui, quel est le sens d’un député ?
De la Constitution
Qu’il y ait besoin de repenser la Constitution, ce n’est pas nous qui demandons depuis longtemps l’élection d’une Constituante qui nous opposerons à cette perspective. Mais il ne saurait s’agir de créer une instance supplémentaire qui permettra peu ou prou, au prix de quelques retouches largement maitrisées par l’entre-soi douillet des « conventions », de maintenir les pouvoirs actuels, en particulier celui du Président de la République et celui des instances européennes. Il faut au contraire rappeler que la souveraineté appartient au peuple et que tout ce qui est constitutionnel doit donc donner lieu à référendum. Ce n’est pas un hasard si le Président de la République ou les instances européennes regardent d’un œil bienveillant les conventions citoyennes qui évitent de passer par la case peuple. La « Conférence sur l’avenir de l’Europe » convoquée en 2021 illustre à merveille ce mécanisme finalement très rassurant pour les pouvoirs en place[ii].
Du suffrage universel
Les campagnes en faveur du tirage au sort dans le choix des représentants du peuple (car que sont les tirés au sort sinon des représentants ?) sont conjuguées avec la progression du rôle des experts dans la vie publique. Et, bien évidemment, on ne compte plus le nombre d’ « experts » favorables aux « conventions citoyennes ». Il faut bien guider ce peuple d’ignorants et c’est pourquoi des campagnes se développent contre le suffrage universel. Que n’a-t-on pas entendu contre le vote Non des Français lors du référendum du 29 mai 2005 ?
Les citoyens critiquent de plus en plus la caricature de démocratie portée par les institutions françaises et européennes. Mais la crise de la démocratie ne résulte pas de l’emploi du suffrage universel. Bien au contraire, elle est la conséquence du dévoiement, voire du mépris du suffrage universel, en particulier par le traité de Lisbonne qui bafoua le vote émis par les Français en 2005.
Aujourd’hui le droit n’est plus du tout l’émanation des principes démocratiques. Il émane d’un processus technocratique dont les principaux acteurs sont la Commission européenne et la Cour de justice de Luxembourg. Dans ce cadre, le droit européen est devenu supérieur au droit national. Nous appelons à affirmer la volonté de tous les citoyens au travers d’un référendum posant la question de cette supériorité.
Pour la souveraineté du peuple
La souveraineté populaire, c’est l’affirmation d’une confiance dans le citoyen comme dans le peuple en tant qu’être politique. Le suffrage universel, conquête politique et sociale obtenue de haute lutte depuis 2 siècles, traduit ces principes humanistes. Que des institutions le dévoient, en lui laissant son apparence, en lui supprimant son efficacité, ne justifie pas son discrédit pour lui chercher des remplaçants. Au contraire, il doit servir à sortir de la crise de régime. Il est d’ailleurs le seul légitime pour le faire, sans la contrainte d’une main qui l’oriente comme le veulent les Conventions.
C’est au travers de ces questions qu’il faut juger les fameuses « Conventions citoyennes ». En fait, elles apparaissent comme l’expression d’une volonté de trouver des substituts au peuple et à sa souveraineté, en se posant comme une nation en miniature. Cette idée est absurde car elle remplace une représentation politique par une représentation statistique, en elle-même sujette à débat. Refusons donc ce discours aristocratique alors que tant de signes ont indiqué l’aspiration des citoyens à un peuple libre en France, à une véritable légitimité des institutions. Luttons ainsi contre le pessimisme sur les capacités du citoyen à construire la volonté générale dans le cadre du suffrage universel. Car le tirage au sort rappelle plutôt le suffrage censitaire, cher à Sieyès.
Tout doit être fait pour redonner son pouvoir au peuple, souverain naturel en démocratie.
André Bellon
Ancien Président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Président de l’Association pour une Constituante
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[i] Pourquoi tant de haine pour le peuple ?, par André Bellon
https://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article1808
[ii] Le piège européen, par Anne-Cécile Robert
https://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article2028