À chaque poussée de la dette publique, désormais au-delà des 3 100 milliards d’euros, le réflexe revient : taxer les grandes fortunes à la hauteur de l’effort demandée aux classes moye,nnes. L’idée d’un impôt annuel sur le patrimoine, remise au goût du jour par l’économiste Gabriel Zucman, a récemment trouvé un écho important tout en faisant l’objet de contestations fortes sur son applicabilité.
L’une des questions majeures posées est simple et presque banale : faut-il imposer ce qui n’a pas encore été encaissé ?
Dans les très hauts patrimoines, une large part de la richesse, environ 45 % selon l’Observatoire de la fiscalité européenne, n’est pas liquide. Il s’agit de plus-values latentes, c’est-à-dire de la hausse de valeur d’actifs financiers non encore cédés. Actions, parts d’entreprise, obligations… Tant que rien n’est vendu, aucun impôt n’est dû et le patrimoine continue à croître.
Or, vouloir imposer cette richesse patrimoniale non liquide, de manière annuelle pose plusieurs problèmes : cela crée un risque de ventes forcées, fragilise les transmissions familiales, et peut même provoquer des stratégies d’évitement pures et simples.
Il est pourtant possible de concilier justice fiscale et stabilité économique. Une solution ? Un outil encore absent du débat public, pourtant d’une redoutable simplicité : le compteur fiscal différé.
Concrètement, il s’agirait de créer, pour chaque contribuable concerné, un compte fiscal numérique. Chaque année, les plus-values latentes y seraient enregistrées, sans déclencher de prélèvement. Le fisc observe, note, suit l’évolution. Puis, lorsque l’actif est vendu, transmis ou racheté, les gains accumulés deviennent automatiquement imposables.
Ce mécanisme respecte une logique de fond : on ne taxe pas le capital tant qu’il n’est pas devenu un montant tangible. Mais on n’oublie rien et on résout le calcul lorsque la situation l’exige (donation, divorce, héritage, …).
Il ne s’agit pas d’un nouvel impôt, encore moins d’une révolution fiscale. C’est un ajustement du calendrier, une manière de documenter la richesse qui s’accumule sans en perturber la dynamique. Et surtout, c’est une réponse moderne à une richesse moderne — volatile, différée, souvent invisible à l’administration fiscale.
Techniquement, tout est déjà prêt. Les administrations fiscales disposent des données nécessaires : comptes-titres, déclarations de plus-values, déclarations IFU. Il s’agirait simplement d’intégrer un module de suivi — neutre et automatique — qui archive les gains latents année après année.
Une telle réforme pourrait être calibrée finement : durée de détention, abattements en cas de réinvestissement, seuils de déclenchement. L’objectif n’est pas d’assécher le capital, mais de garantir qu’il finira par contribuer.
Dans une économie où 10 % des Français détiennent plus de 50 % des actifs financiers, continuer à ignorer les plus-values latentes revient à valider une forme d’exception permanente. À l’inverse, taxer trop tôt peut briser les équilibres d’investissement.
Le compteur fiscal différé permet de sortir de ce dilemme. Il crée un lien entre richesse réelle et effort fiscal, sans sacrifier l’avenir à l’impulsion politique du moment.
En matière de fiscalité, le temps est souvent l’arbitre le plus juste. Encore faut-il savoir l’utiliser.
Jean Langlois-Berthelot
Lieutenant-Colonel
Christophe Gaie
Administrateur des Finances Publiques Adjoint



















