Dans un contexte sécuritaire tendu en raison du poids des groupes criminels, le référendum constitutionnel, organisé hier en Équateur, ne devait pas se réduire à un simple exercice démocratique. Il devait permettre au Président Daniel Noboa de faire valider sa stratégie sécuritaire et transnationale par près de 14 millions d’électeurs appelés aux urnes. Mais, les électeurs en ont décidé autrement. Quels étaient les enjeux de cette consultation électorale en termes de refondation institutionnelle et d’alliances diplomatiques ? Décryptage.
Le défi sécuritaire face au carcan constitutionnel corréiste
Le 16 novembre 2025, un référendum constitutionnel était organisé en Équateur. Sur le même bulletin de vote, les citoyens devaient répondre aux quatre questions suivantes : a/ permettre d’installer des bases militaires étrangères sur le territoire national ; b/ mettre fin au financement public des partis politiques ; c/ diminuer de moitié le nombre de députés ; d/ approuver la convocation d’une assemblée constituante. La victoire du « NON » sur ces quatre questions constitue un revers électoral pour un Président largement réélu il y a seulement quelques mois[1].
Enserré entre les deux plus gros producteurs mondiaux de cocaïne et l’Océan Pacifique, l’Équateur est devenu un point névralgique de ce trafic international, passant d’un simple pays de transit à un hub stratégique pour l’expédition vers l’Europe et les États-Unis[2]. Ce nouveau statut a engendré une violence extrême qui fait vaciller le pays et a conduit le Président Noboa à déclarer en 2024 l’état de « conflit armé interne » contre 22 groupes criminels[3]. Avec 4 619 meurtres au premier semestre 2025 (+47 % par rapport à 2024), l’Équateur connaît le taux d’homicides volontaires le plus haut de son histoire[4].
Léguée par l’ancien Président Rafael Correa (2007-2017), la Constitution actuelle date de 2008. La révision du cadre constitutionnel, souhaitée par le gouvernement, répondait à une logique compréhensible : simplifier le corpus normatif et renforcer les capacités d’action de l’État pour faire face à la violence du crime organisé. Bien que déjà modifié à plusieurs reprises[5], ce texte constitutionnel est considéré par Daniel Noboa comme un obstacle au déploiement de sa politique sécuritaire. Au contraire, ses détracteurs craignaient une concentration du pouvoir entre les mains de l’exécutif et un recul des libertés fondamentales, sur le modèle salvadorien[6].
Le retour d’une base américaine sur le sol équatorien
Dans la lignée altermondialiste d’Hugo Chavez au Venezuela et d’Evo Morales en Bolivie, Rafael Correa a mené une politique hostile à Washington. Il a mis fin à la coopération bilatérale en matière de renseignement, a fermé la base aérienne américaine de Manta et a fait inscrire dans la Constitution l’interdiction d’accueillir des bases militaires étrangères à l’avenir.
La réponse positive à la première question du référendum d’hier devait permettre à l’armée américaine de rouvrir rapidement une base aérienne en Équateur. Le choix devait se porter sur les villes côtières de Salinas ou de Manta. À cette fin, la secrétaire à la Sécurité intérieure américaine, Kristi Noem, était venue visiter des installations susceptibles de convenir au projet[7].
L’Équateur et sa proche région
La coopération militaire entre les deux pays s’inscrit plus largement dans une stratégie globale de lutte contre le trafic de drogue, qui inclut aussi les opérations menées actuellement en mer des Caraïbes. L’installation d’une base aérienne américaine sur la côte Pacifique représentait une étape supplémentaire dans ce partenariat sécuritaire. Un premier accord SOFA (Status of Forces Agreement) avait été signé en 2023 pour autoriser les soldats américains à entrer sur le territoire équatorien (visites de navires, exercices communs, activités de coopération en matière de sécurité)[8].
Pour un think tank américain conservateur, le retour d’une présence américaine devait renforcer la souveraineté équatorienne en traduisant une alliance transparente avec les démocraties occidentales, mais aussi le refus d’une subordination économique insidieuse à la Chine[9].
L’Équateur sur un chemin de crête
Le pays tente de trouver un équilibre entre sa nouvelle alliance stratégique avec les Etats-Unis et son partenariat économique avec la Chine, hérité de l’ère Correa-Moreno.
En effet, d’un côté, Daniel Noboa est un proche allié de l’administration américaine depuis son arrivée au pouvoir fin 2023, sur les plans idéologique et sécuritaire, comme Nayib Bukele au Salvador et Javier Milei en Argentine. Il est un des rares chefs d’État à être reçus à la résidence privée de Donald Trump à Mar-a-Lago. Pour Washington, le rapprochement stratégique avec Quito représente aussi une occasion de contenir l’influence chinoise dans l’« hémisphère occidental », entendu comme l’ensemble du continent américain qui doit redevenir le pré carré de la Maison Blanche.
D’un autre côté, le Président Noboa doit faire preuve de pragmatisme. Après des années de rapprochements diplomatiques et économiques avec la Chine à l’initiative de Rafael Correa et après l’adhésion au programme des nouvelles routes de la soie (« La Ceinture et la Route ») en 2018 par le Président Lenin Moreno (2017-2021), la deuxième puissance mondiale est devenue le deuxième partenaire économique de l’Équateur en 2024 (24% des exportations vers les États-Unis et 18 % vers la Chine, laquelle a doublé sa part depuis 2018). Lors de sa visite en Chine pour la 16ème Réunion annuelle des nouveaux champions, du 23 au 27 juin 2025, Daniel Noboa a rencontré Xi Jinping et a confirmé la continuité du programme « La Ceinture et la Route »[10]. Les investissements massifs du dragon asiatique, ces vingt dernières années (secteur minier, infrastructures d’énergie et de télécommunications…), ont conduit l’Équateur à accumuler plusieurs milliards de dettes à l’égard de la Chine, même si le Fonds monétaire international et les États-Unis tentent d’aider Quito à desserrer l’étau de l’endettement[11].
À la tête d’un pays en situation de dépendance budgétaire avec son partenaire chinois, le Président Noboa ne peut pas rompre brutalement les alliances économiques nouées par ses prédécesseurs. Cependant, sur le plan politique, il a déjà acté une rupture géopolitique franche : l’éloignement des pays se revendiquant du Sud global et le rapprochement du camp occidental[12].
En conclusion, sous l’impulsion du Président Noboa, Quito a confirmé son rapprochement stratégique avec Washington dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic, d’une part, et dans un contexte plus large de rivalité entre le Sud global et le camp occidental, d’autre part. Le référendum équatorien du 16 novembre 2025 représentait bien plus qu’une simple consultation populaire. Il devait constituer une étape décisive dans la consolidation de l’alliance sécuritaire et idéologique avec l’Oncle Sam, version Trump 2.0. Malgré cet échec référendaire, la stratégie de Daniel Noboa ne va pas changer, même s’il devra se passer de la présence d’une base militaire américaine tant espérée par Washington[13].
David Biroste
Docteur en droit
Vice-président de l’association France – Amérique latine (latfran.org)
[1] Résultats complets sur le site du Conseil national électoral (CNE).
[2] Ryan C. Berg et Rubi Bledsoe, « In the Eye of the Storm: Ecuador’s Compounding Crises », Center for Strategic & International Studies, 24 avril 2024 : voir la responsabilité du Président Correa dans l’affaiblissement de l’État (arrêt de la coopération sécuritaire avec les États-Unis, politique migratoire ayant attiré des acteurs criminels comme des gangs albanais, légalisation de gangs en les transformant en organisations politiques communautaires).
[3] David Biroste, « Réélection du Président Daniel Noboa : l’Équateur au pied du mur », Fondapol.org, 30 juin 2025.
[4] Renato Rivera et al., « Boletín semestral sobre homicidios intencionales en Ecuador: Análisis estadístico primer semestre 2025 », Observatorio Ecuatoriano de Crimen Organizado, 5 août 2025.
[5] Par exemple, lors du référendum d’avril 2024, deux amendements constitutionnels ont été approuvés pour autoriser les extraditions de citoyens équatoriens (principalement des trafiquants de drogue vers les États-Unis) et pour accepter l’appui de l’armée aux forces de l’ordre dans la lutte contre certains crimes (trafic de drogue…).
[6] Marie Delcas, « En Équateur, un référendum pour renforcer l’exécutif et favoriser l’exploitation minière », Le Monde, 13 novembre 2025.
[7] « Équateur : une ministre américaine visite des installations pouvant servir de base militaire », Courrier international (avec AFP), 6 novembre 2025.
[8] Emilien Pérez, « L’Équateur ouvre la porte à la militarisation étrangère des Galápagos », Courrier international, 10 janvier 2025.
[9] J. Adan Gutierrez, Octavio Perez et Rafael Marrero, « Ecuador on Edge: A Nation at the Crossroads of Security and Sovereignty », Miami Strategic Intelligence Institute, 5 novembre 2025.
[10] « Conférence de presse du porte-parole du ministère des Affaires étrangères Guo Jiakun », Pékin, 27 juin 2025.
[11] François Bignon et Emilie Dupuits, « Daniel Noboa réélu en Équateur : une autre tentation trumpiste sur la scène internationale ? », Le Rubicon, 16 juillet 2025.
[12] Pascal Drouhaud, « La tentation du « Sud global » », Revue Défense Nationale, n° 865, Décembre 2023 ; Renée Fregos, « Le « Sud global », coalition virtuelle, menace réelle », Revue politique et parlementaire, 16 mai 2024.
[13] María Martín et Carolina Mella, « El primer gran revés de Noboa: Ecuador dice no a todas sus reformas constitucionales », El Pa s, 17 novembre 2025.



















