Baron noir, la série politique made in France semble plus réelle que jamais ! Nombreux sont ceux qui après avoir vu la série se sont interrogés sur la distinction entre le réel et la fiction, se demandant facilement si « les politiques sont tous des pourris ?» Laissant ainsi une question en suspens : notre opinion pourrait-elle être influencée par les séries télévisées?
Baron noir, c’est ce nouveau drama à la française sortie le 8 février 2016 sur Canal +, réalisé par Ziad Doueiri d’après un scénario de Eric Benzekri et Jeans-Baptiste Delafon. Cette fiction télévisée, inspirée du parcours en politique de Eric Benzekri, proche de Jean-Luc Mélenchon et de Julien Dray, retrace le parcours politique et judiciaire du député-maire de Dunkerque, Philippe Rickwaert, membre du parti socialiste. L’histoire se déroule entre le second tour de l’élection présidentielle que va remporter Francis Laugier (PS) et une fin de mandat écourté par des affaires judiciaires.
Les séries ne sont pas récentes en France dans les grilles des chaînes de télévision. Présentes depuis les années 60, elles ont eu un rôle fort dans la vie culturelle et sociale du pays. Depuis leurs débuts, elles se sont diversifiées pour s’adapter aux évolutions culturelles, mais aussi au développement des technologies. Les séries réalistes qui étaient la norme des années 1990 à 2000 ont peu à peu laissé place à la fiction et au drame. Depuis la dernière décennie, on a vu se développer un nombre considérable de fictions politiques, notamment aux Etats-Unis : A la maison blanche, House of cards, Commander in chief, Scandal, Madame Secretary, etc. Les productions françaises sont plus récentes. Après Les hommes de l’ombre en 2012 sur France 2, Baron noir est la deuxième du genre.
Alors même que nous traversons ce que de nombreux auteurs appellent une « crise démocratique », qui se traduit dans les faits par un désintérêt de la chose politique, nous avons assisté à une évolution de la mise en scène de la politique à la télévision. Nous sommes passés du débat au divertissement afin de (ré) attirer le téléspectateur vers la politique. Les séries politiques peuvent aussi se présenter comme une évolution de ces dispositifs, une réponse à la distanciation de la chose politique et une façon d’intéresser de nouveau le citoyen. Céline Bryon-Portet s’interroge par exemple sur la dimension politique de la série Plus belle la vie. Elle démontre sa capacité, dans une certaine mesure, à faire réfléchir les citoyens sur des débats en tout genre. Au-delà, de la captation d’un public, les séries télévisées peuvent également agir sur le jugement, l’opinion du citoyen sur des thématiques. Vanessa Bertho montre en ce sens comment la série télévisée Buffy contre les vampires, en transgressant les codes habituels de l’époque autour du genre, a été un « véritable modèle pour la génération qui a suivi la série ».
Si l’on prend en compte le contexte actuel, de défiance vis-à-vis des politiques et des institutions, il n’est alors pas aberrant de voir se multiplier des séries qui traitent directement de la politique. Mais la question qui se pose alors est de savoir si ces séries participent à l’élaboration d’une opinion sur les pratiques politiques ? La série construit-elle une fiction à partir d’une réalité ou à l’inverse la réalité peut-elle se retrouver impactée par la fiction ? Cela revient finalement à questionner le sentiment que l’on a quand on termine la saison 1 de Baron noir où l’on se dit facilement que « les politiques sont tous des pourris », en ne faisant pas la distinction entre le réel et la fiction.
Les séries politiques, un genre qui permet d’intéresser un public large
Les résultats de la dernière enquête Pratiques culturelles confirment l’intérêt que les Français portent aux séries et feuilletons. 76 % d’entre eux, regardent ou ont regardé par le passé régulièrement ce type de programme. Ce constat est encore plus important chez les jeunes.
Aucune étude précise sur l’audience de Baron noir n’existe encore. Mais l’on sait que, loin des 1,5 million de téléspectateurs des revenants, Baron noir à eu une audience 511 000 abonnés en moyenne par épisode et 2,6 millions de plus l’auraient regardé en ligne. Ces chiffres laissent envisager que c’est une audience plutôt jeune, très connectée et surtout pas forcément impliquée politiquement qui regarde cette série. Si l’on regarde les études qui existent sur une série similaire, comme House of cards, on s’aperçoit qu’aux États-Unis, moins de 30 % des téléspectateurs se déclarent intéressés par la politique. Si l’on s’intéresse également aux utilisateurs de Netflix, dispositif analogue à la VOD de canal + qui diffuse Baron Noir, ont note que 48 % d’entre eux sont des 15-34 ans, très connectés. On se trouve donc ici à voir un public de téléspectateurs relativement jeune, particulièrement touché par l’abstention, critique vis-à-vis de la politique, ou alors peu ou pas engagé. Un public exposé à ce média qu’est la série télévisée et qui va être amené, à travers la fiction, à réfléchir sur la politique, ou en tout cas à formuler un jugement en confrontant sa vision de la politique avec celle portée par la série.
Une occasion d’être dans les coulisses de la politique
Ce qui rend la série à la fois attractive pour le citoyen politisé et celui qui l’est moins est sans doute cet angle que la série nous permet d’avoir. En suivant le parcours de Philippe Rickwaert, du moment où il conseille dans l’ombre le futur président, jusqu’à la fin où il conseille à l’ombre la future candidate à l’élection présidentielle, la série amène le téléspectateur à découvrir les secrets de la politique. Elle donne accès à travers la fiction à un espace normalement interdit, lieu de pouvoir. Comment se passe une élection ? Comment un président s’organise pour prendre des décisions ? Comment se déroule un congrès d’un parti politique ? Comment se gère un mouvement étudiant ? Toutes ces questions qui attisent la curiosité du spectateur et font en grande partie l’intérêt de la fiction.
C’est une vision sur un monde qui relève pour des raisons de symbolique et de pouvoir, du secret. La série nous donne la possibilité de désacraliser la politique en la regardant, à la fois comme un observateur extérieur, mais aussi en cassant les symboliques de distanciation du politique avec le citoyen, du représentant avec les représentés. La fiction nous donne à voir les coulisses du pouvoir, elle nous permet de confronter un imaginaire personnel, avec un réel ou en tout cas une réalité portée par la fiction.
Baron noir : une vision politique et une vision de la politique
Loin d’être anodin, le parcours d’Eric Benzekri est une forte source d’inspiration de la fiction. Il ne s’en cache d’ailleurs pas. Dans de nombreuses interviews, il retrace son parcours politique. Il s’engagea contre la loi Jospin en 1990, avant de rejoindre le Bureau National de l’UNEF (Union Nationale des Etudians de France). Il fut membre de SOS Racisme et du MJS (Mouvement des Jeunes Socialistes) tout en s’investissant dans le courant du parti socialiste « Gauche socialiste » de Jean Luc Mélenchon et de Julien Dray. Il travailla d’ailleurs étroitement avec Jean-Luc Mélenchon dont il fut membre du cabinet alors qu’il était ministre délégué à l’enseignement professionnel. Il reste également un des proches de Julien Dray, avec qui il travailla à la mairie de Sainte-Geneviève des Bois (Essonne). Jusqu’en 2002, il resta relativement à la Gauche du pari socialiste avant de s’éloigner simplement de la politique.
Son parcours est important, car il influe sur le contenu de la série. L’auteur en recherchant le réalisme s’appuie sur ce passé militant. Mais au-delà cette recherche de réalisme, il paraît compliqué de ne pas voir en Baron noir et dans la succession des épisodes, un projet politique de la gauche bien différent de celui que François Hollande a mis en place et sans doute plus proche du parcours politique d’Eric Benzekri. Le bras de fer que Francis Laugier entreprend avec l’Union européenne sur la question du déficit fait étrangement écho à l’abandon de la promesse de François Hollande — très attendu par la gauche du PS — de renégocier le traité budgétaire européen qui instaure entre autres « la règle d’or ». La réforme de l’éducation avec les quotas de bacheliers technologiques et professionnels dans les IUT rappelle des revendications de longue date de l’UNEF qui viennent d’être obtenue par le syndicat lors des négociations autour de la loi travail. On peut enfin percevoir des ressemblances évidentes entre Clamex, l’usine de la circonscription de Philippe Rickwaert menacée de fermeture et que Francis Laugier vient « sauver » à la veille de l’élection avec l’usine de Florange. Systématiquement, l’auteur emprunte des positions, des projets, ancrés à la gauche du parti socialiste, plus proche de son parcours pour en faire les éléments de la fiction. Ne voudrait-il pas simplement démontrer que le parti socialiste aurait pu mener un quinquennat différent ?
Une vision orientée de la pratique politique
Sous couvert d’une description objective de la politique, il n’en est donc rien. Mais au-delà même des thématiques que l’auteur porte dans la série, il y porte avant tout une vision de la politique elle-même. Chose surprenante, les deux scénaristes trouvent dans une interview pour Télérama leur fiction « flatteuse pour le milieu » soutenant que leurs hommes politiques sont « mieux que les vrais ». Ils affirment que leurs personnages sont complexes et que « ce n’est pas parce qu’un personnage fait quelque chose de dégueulasse qu’il est lui même dégueulasse », refusant finalement l’idée qu’il participe à véhiculer une image peu flatteuse de la politique.
Alors certes le Baron noir rappelle systématiquement la raison pour laquelle il agit : l’intérêt général, le bien commun. Il est la gauche qui agit pour le peuple. Certes, on ne peut pas résumer les personnages à une dichotomie blancs/noirs. Mais il n’empêche que Philippe Rickwaert, comme Francis Laugier, et comme bon nombre de personnages de la série agissent également dans leur intérêt. Tous les coups sont permis. Tout se « théorise politiquement ». Il n’y a aucune limite, et surtout pas la loi !
La question de la morale, d’une pratique transparente de la politique, voulue par la démocratie, demandée par tant de citoyens est ici absente. Seule persiste une pratique très critiquable de la politique. Celle où l’élu au bout du compte pense davantage à son intérêt, qu’a celui de ceux qu’il est censé représenter. Et quand bien même on pourrait voir dans certains personnages comme celui d’Ameli Dorendeu, qui veut refaire de la politique de façon plus morale en défendant un renouvellement des pratiques, une vision plus positive de la politique, la fin de la saison 1 nous ramène à la réalité défendue dans la fiction : une nouvelle génération prend la main en dénonçant les mauvaises pratiques, mais en retombant dans les mêmes travers (trahison, coups politiques), les instituant comme une norme de la pratique politique. Et puis au final, celui qui à la main, depuis sa prison, n’est-il pas le Baron noir ?
Une fiction qui s’appuie sur le réel pour se crédibiliser
Emmanuel Taïeb, en étudiant House of cards explique tout l’enjeu autour de la réalisation de « coups politiques fictionnels » dans la série. Ces coups politiques qui en cherchant à être le plus importants possible dans la narration, en deviennent au final moins plausibles et réalistes. Pourtant il n’empêche qu’en regardant Baron noir, et même quand il s’agit des coups politiques les plus gros, il est compliqué de s’empêcher de les trouver crédibles, plausibles dans notre pays. Cela s’explique sans doute par l’ancrage fort de la série, à la fois historique et contextuel.
Des éléments historiques…
Qui ne s’est jamais interrogé à la fin d’une série télévisée sur le rapprochement évident entre fiction et réalité ? C’était ici une des conditions pour la production de la série posée par canal +. Il fallait réaliser une série crédible. Pour atteindre cet objectif la série emprunte ici des représentations historiques de la politique française, des anecdotes réelles, qui augmentent la confusion pour le téléspectateur entre la réalité et la fiction. C’est une des raisons qui favorise la création d’un jugement de la part du téléspectateur sur la pratique de la politique. C’est aussi une des raisons du buzz de la série. De nombreux articles de presse relatent d’ailleurs cette ressemblance entre des personnages de Baron noir et des faits politiques existants. Plus précisément des moments de la série où, tour à tour, les personnages semblent incarner des personnalités politiques réelles…
L’entrée à l’assemblée en bleu de travail ressemble étrangement à celle de Patrice Carvalho en 1997. Le PS en 2012, après l’alternance, a récupéré des locaux sans ordinateurs et dans la série on voit les socialistes détruire des documents après la défaite électorale de Dunkerque. Quant au mouvement étudiant de la série, il retrace, de façon relativement fidèle, les grèves de 1990 contre la réforme Jospin, là où Erik Benzekri a fait ses premières armes et où Julien Dray tirait les ficelles. Là également où un jeune, Français d’origine kabyle, Malek Boutih, aujourd’hui cadre du parti socialiste, fait ses premières armes en politique en affrontant le gouvernement comme Mehdi Fateni dans la série. Et les comparaisons possibles sont encore nombreuses…
Baron noir reste pourtant bien une fiction. Jamais un député ne pourrait interagir de cette façon avec un ministre lors de la séance de question au gouvernement : son micro serait coupé. Il n’y a pas non plus eu de président de la République qui ait dû écouter son mandat à cause de son implication dans des affaires judiciaires.
… Et un contexte défavorable à l’image du politique sur lequel s’appuyer et renforcer
L’ancrage contextuel était l’une des conditions également de la production de la série par canal +. La 7e enquête du CEVIPOF (Centre de recherches politique de Sciences Po) qui depuis 2009 réalise une étude régulière autour de la confiance des Français, révèle un constat assez affligeant quant à la confiance des Français vis-à-vis des politiques. Pour 88 % des Français, les politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent les citoyens, seuls 12 % d’entre eux ont confiance dans les partis. Quand ils réfléchissent à la politique, 82 % ont un sentiment négatif et 76 % estiment que les dirigeants politiques sont plutôt corrompus. Ces chiffres, alarmants et tristes pour notre démocratie, sont assez expressifs pour comprendre en quoi Baron noir s’appuie sur une réalité.
En surfant sur ce contexte défavorable à l’image du politique, la série, bien qu’étant une fiction, participe au renforcement de cette réalité. Des chercheurs ont montré que « Face aux défis de la société contemporaine, les individus iraient puiser, dans la fiction sérielle, des normes et modèles de référence dont ils peuvent ensuite se servir comme support. »
Baron noir s’appuie sur une réalité, mais la renforce également. La série oriente le jugement que porte le téléspectateur sur la politique. La série vient renforcer des idées, des visions, des solutions, déjà existantes. À force d’évoquer ces idées, telle une prophétie auto réalisatrice, elles deviennent une réalité encore plus forte. Et ce processus se répète.
Les séries exercent un rôle important dans la capacité des citoyens à se créer des normes, et porter des jugements. Il est sans doute dommage que peu de séries donnent à voir un visage positif de la politique et plus généralement de la démocratie, qui malgré de nombreux problèmes, reste pourtant un de nos biens communs le plus précieux.
Alexandre Gavard