La libération de l’écrivain franco-algérien, notamment obtenue grâce à l’activité diplomatique de l’Allemagne, augure-t-elle d’un dégel des relations franco-algériennes et d’une décision semblable pour le journaliste Christophe Gleizes, toujours emprisonné par l’Algérie ?
Libre ! Libre enfin Boualem Sansal, ce grand écrivain franco-algérien au regard aussi doux que la voix ! C’est un immense soulagement pour tous ceux qui admirent son talent, son courage et son parler franc, de savoir qu’enfin il a pu quitter la prison algérienne dans laquelle il était incarcéré depuis un an.
Libre, mais outre-Rhin… C’est à l’Allemagne et à son président Frank-Walter Steinmeier qui, en début de semaine, avait officiellement formulé une demande de grâce auprès du président algérien Abdelmadjid Tebboune, que Sansal doit d’avoir été libéré mercredi 12 novembre. C’est en Allemagne que l’écrivain, atteint d’un cancer de la prostate, sera soigné. C’est notamment le résultat des bonnes relations entre Alger et Berlin, où le président Tebboune, atteint de la Covid, s’était fait soigner à plusieurs reprises depuis 2020. Pour l’Algérie, l’Allemagne est « un pays ami » dans lequel Tebboune envisage de se rendre au début de l’an prochain. Malgré les apparences, l’Algérie souffrirait en effet de son isolement sur la scène diplomatique et souhaite rétablir des relations avec l’Europe. Mais il ne pouvait être question de visite officielle à Berlin si Boualem Sansal était toujours en prison.
Certes, Paris, ainsi que l’Italie, a été étroitement associée au long travail diplomatique engagé dès le début de l’année par Berlin. Certes, après plusieurs déplacements de conseillers de l’exécutif à Alger, Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune avaient fini par se reparler. Mais la détention en France de plusieurs ressortissants algériens et l’expulsion par l’Algérie de plusieurs diplomates français avaient interrompu ce début de dialogue. Quant au choix du président français de soutenir en 2024 le plan du Maroc pour l’autonomie du Sahara occidental, les autorités algériennes ne l’ont toujours pas digéré. Et cette plaie a été ravivée fin octobre par le soutien du Conseil de sécurité de l’ONU au plan marocain.
Certes encore, peu de temps après sa nomination, le ministre de l’Intérieur Laurent Nunez a tenu des propos conciliants à l’intention d’Alger expliquant que « la méthode brutale ne marche pas », en opposition complète avec la position défendue par son ancien ministre de tutelle Bruno Retailleau qui préconisait le rapport de force. Certes enfin, la reprise de contact entre Macron et son homologue algérien a été formalisée par courrier. Une lettre envoyée fin octobre par le président français à l’occasion de la commémoration du début de la guerre d’indépendance aurait reçu un accueil favorable. Certes. Mais il n’empêche. Pas question pour l’Algérie de donner le point à la France. Pas question de donner le sentiment qu’elle aurait cédé à la pression de l’ancienne puissance coloniale. Voilà pourquoi ce n’est pas un avion de la République française qui a ramené Boualem Sansal.
Malgré la libération de Sansal, voilà qui ressemble fort à une humiliation pour la France et pour Emmanuel Macron. Beau joueur, ce dernier a exprimé sa gratitude à l’égard du président allemand Steinmeier et souligné le succès d’ « une méthode faite de respect, de calme et d’exigence », propos repris par le Premier ministre Sébastien Lecornu. Allusion transparente à la position de Bruno Retailleau auquel l’exécutif tente de faire porter le chapeau du temps qu’il a fallu pour que Boualem Sansal sorte de prison. L’attaque à peine voilée, et peu élégante, contre l’ancien ministre de l‘Intérieur était-elle bien nécessaire en ces circonstances ? La critique est sans aucun doute destinée à masquer le dépit de l’Elysée, mais qu’apporte-t-elle à part le sentiment d’un règlement de comptes politicien déplacé, au moment où il devrait seulement s’agir de se réjouir ? Ces critiques sont, du reste, d’autant plus étonnantes quand on se souvient que, cet été, c’est Emmanuel Macron lui-même qui avait demandé au gouvernement d’ « agir avec plus de fermeté et de détermination » à l’égard de l’Algérie…
La méthode Macron-Nunez réussira-t-elle à surmonter les différends qui demeurent entre les deux pays ? La feuille de route du ministre de l’Intérieur, qui espère se rendre bientôt à Alger, est en effet bien remplie : réenclencher une coopération sécuritaire, obtenir la réadmission dans leur pays des Algériens sous OQTF (obligation de quitter le territoire français), et surtout, faire libérer le journaliste Christophe Gleizes, arrêté il y a maintenant dix-huit mois et condamné en juin dernier à 7 ans de prison. Son procès en appel doit se tenir le 3 décembre prochain. Il faut espérer que l’ambassadeur de France en Algérie ne se trompe pas en parlant d’ « un climat nouveau » entre Paris et Alger.
Carole Barjon
Editorialiste politique



















