Proche des Souverainistes, Clara Egger fut candidate à la candidature pour l’élection présidentielle française en 2022 sous la bannière « Espoir RIC ». Elle est professeure de relations internationales à l’université Erasme de Rotterdam et membre du Board of Democracy International e.V., spécialiste en matière de gestion de crise et de démocratie directe. Clara Egger a répondu aux questions de Michel Dray pour la Revue Politique et Parlementaire.
Revue Politique et Parlementaire – A la présidentielle de 2022 vous n’avez pas obtenu les 500 signatures nécessaires pour vous présenter devant les Français. Les élus n’ont-ils pas vu dans votre engagement pour le Référendum d’initiative citoyen constituant (RICC)1 un court-circuitage de la représentation nationale qu’ils revendiquent ?
Clara Egger – Aujourd’hui seule une poignée d’élus dispose du droit de proposer et de valider les modifications constitutionnelles. Le RICC étend ce droit à l’ensemble des citoyens, y compris aux élus (d’opposition ou maires de petites communes rurales) qui ont peu de poids dans les décisions nationales. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont soutenu nos propositions bien que beaucoup préfèrent ne parrainer aucun candidat.
Le RICC ne court-circuite pas la représentation nationale mais la place sous le contrôle permanent des citoyens, la rendant ainsi plus représentative.
Son mécanisme est simple : quand les représentants sont sous la menace d’un RICC, ils s’assurent que leurs décisions soient concertées et rassemblent l’assentiment d’un grand nombre des personnes qu’ils représentent, y compris parmi l’opposition. Cette mesure évite à la représentation nationale d’être capturée par des intérêts particuliers comme c’est le cas aujourd’hui.
RPP – Vous connaissez l’univers de l’action humanitaire. Les ONG sont-elles les bras armés pour certains États d’imposer leur stratégie comme le Qatar avec « Qatar Charity » faux nez d’un islamisme radicalisé ?
Clara Egger – Il ne s’agit en rien d’une spécificité du Qatar mais d’une stratégie internationalement partagée. Dans mes recherches, j’ai mis au jour les mécanismes par lesquels les États qui interviennent militairement sur la scène internationale – au premier rang desquels se trouvent la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et très récemment l’Arabie Saoudite – utilisent leurs ONG pour soutenir leurs propres objectifs stratégiques. Les Etats-Unis, longtemps figure typique, ont utilisé des ONG comme « multiplicateur de force » en Afghanistan et en Irak. La Turquie et l’Arabie Saoudite suivent la même tendance. En France, cette stratégie se heurte à la forte indépendance des ONG humanitaires qui, en étant largement financées par des dons privés, sont plus à même de résister à l’emprise de leur États d’origine.
RPP – On parle beaucoup d’identité européenne opposable à une identité des nations européennes. Comment vous positionnez-vous dans ce débat ?
Clara Egger – La notion d’identité suppose un sentiment d’appartenance à une communauté de destin. Ce n’est pas quelque chose qui se décrète sur commande. Aux Etats-Unis – souvent comparés a l’UE – , les habitants de San-Francisco se sentent appartenir d’abord à leur ville, puis à leur État, la Californie, enfin à leur pays. Les travaux de Raul Magni Berton ont montré que l’on se sent appartenir à la plus petite unité dont on est fier.
La mondialisation a produit plus d’ouverture aux autres cultures mais aussi un sentiment d’attachement très marqué à sa commune.
La proximité compte. A travers notamment le programme Erasmus, les institutions européennes ont cherché à promouvoir une identité européenne conditionnant le succès d’un grand projet d’intégration européenne. Ces politiques n’ont pas produit plus d’identité européenne et de ce point de vue, elles ont été un échec. Je pense que l’intégration européenne en tant que tel n’a pas besoin d’une identité commune.
RPP – Le malaise des agriculteurs européens démontre un fossé de plus en plus grand entre le peuple européen et Bruxelles nourrie d’un libéralisme débridé. Quelle est votre analyse ?
Clara Egger – Blâmer Bruxelles est le sport préféré de gouvernants qui l’utilisent comme bouc émissaire des politiques impopulaires qu’ils mettent en place. Les agriculteurs sont victimes de choix politiques nationaux qu’ils ne contribuent pas à façonner, qui peuvent changer du jour au lendemain et qui ne reflètent en rien les intérêts de la majorité de la population, notamment rurale.
Depuis les années 1950, on incite les agriculteurs à augmenter la productivité de leur exploitation et à satisfaire les exigences agro-industrielles.
Cela les place à la merci de grands groupes industriels – qui ont les faveurs du gouvernement actuel – en les soumettant à des normes administratives de plus en plus lourdes. Pour diverses raisons, on annonce que ce modèle est dépassé et doit évoluer. Cette décision s’est prise sans les agriculteurs et les citoyens européens qui soutiennent majoritairement une agriculture locale et de proximité. Ce malaise s’exprime de façon de plus en plus prégnante et dans des domaines divers car les citoyens européens ont bien conscience que la plupart des décisions politiques reflètent les intérêts d’un petit nombre et peuvent donc changer du tout au tout au gré des majorités. C’est ce qui les poussent majoritairement à défendre un contrôle plus fort de leurs représentants, via des institutions de démocratie directe qui ont le vent en poupe dans les zones rurales d’un grand nombre de pays européens.
RPP – Vous avez travaillé sur les politiques de gestion de la Covid-19 en Europe et conseillé le gouvernement néerlandais dans ce cadre. Quel bilan tirez-vous des politiques de gestion de la pandémie en France ?
Clara Egger – Mes recherches portaient sur l’impact des politiques de gestion de crise sur la qualité démocratique et la protection des droits et libertés. La France s’est caractérisée par une réponse particulièrement lourde sur ce plan et demeure le pays européen ayant connu l’état d’urgence le plus long (861 jours). Le gouvernement a multiplié les mesures exceptionnelles avec un coût important en termes de confiance politique et de respect des droits et libertés. Si on compare la France aux autres pays européens, cette réponse n’a pas réduit l’impact humain de la pandémie car notre pays ne se distingue pas par un nombre de morts moins élevé. Il est regrettable qu’aucun bilan sérieux n’ait été tiré de cette expérience qui aura un impact fort sur la capacité de notre pays à répondre à d’autres crises.
La France est entrée dans un cercle vicieux de la défiance.
En adoptant des mesures très contraignantes en décalage avec la sévérité de la menace sanitaire, le gouvernement a perdu un fort capital de confiance politique, capital qui joue un rôle central dans la capacité d’un pays à répondre à des crises d’ampleur.
RPP – Concernant la montée islamiste, vous faites partie de ceux qui jugent la présence française notamment en Afrique comme une des sources des tensions. Faudrait-il, selon vous, un désengagement militaire de Paris en Afrique pour faire baisser la menace terroriste ?
Clara Egger – Mes travaux portent sur les causes de l’augmentation des attaques jihadistes violentes en Europe après 2015. Dans la presse et chez les décideurs, deux thèses s’opposent : celle d’attaques visant, dans une stratégie de représailles, les Etats intervenant militairement dans les pays arabo-musulmans et celle d’attaques justifiées par une haine à l’égard d’un mode de vie laïque et de la démocratie libérale. J’ai pu montrer avec Raul Magni-Berton et Simon Varaine2 que les attaques jihadistes violentes relèvent majoritairement d’une logique de représailles et ciblent principalement les Etats interventionnistes dont la France fait partie. Cela ne veut pas dire que la France ne doive pas intervenir à l’étranger, c’est une décision démocratique que la recherche peut éclairer mais non dicter. Il est frappant de constater que de telles recherches ne sont jamais invoquées lorsqu’il s’agit de décider si la France doit ou non intervenir dans un pays étranger.
Cela est d’autant plus dommageable si on considère qu’en France le Parlement et les citoyens n’ont que très peu de pouvoir sur la politique de défense qui reste très opaque.
L’engagement militaire en Afrique est une orientation de long terme et ne peut être poursuivi ou arrêté sans une information transparente et un choix direct fait par l’ensemble des peuples concernés.
Clara Egger
Professeure de relations internationales à l’université Erasme de Rotterdam
Membre du Board of Democracy International e.V.
Propos recueillis par Michel Dray