Depuis plusieurs années, la question du réchauffement climatique occupe toutes les conversations, tous les médias, toutes les institutions. Désormais c’est également le droit qui se saisi du sujet, comme l’illustre la récente décision du Conseil d’Etat venant confirmer une amende de l’Arcom contre CNews pour des propos « climatosceptique » tenus par un invité à l’antenne.
Le conseil d’Etat au rôle d’arbitre scientifique
Lors de l’émission « Punchline été » du 8 août 2023, et à rebours du discours habituel, l’économiste Philippe Herlin a pourtant eu le malheur d’affirmer sur le plateau de CNews que « le réchauffement climatique anthropique » était « un mensonge relevant du complot » sans que le présentateur ne lui apporte ensuite la contradiction. L’Arcom avait ainsi, en juillet dernier, sanctionné la chaîne d’une amende de 20.000 euros pour avoir manqué à ses obligations, selon lesquelles la chaîne « est tenue d’assurer une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue »
Face à cette sanction, la chaîne a usé de son droit au recours (comme tout justiciable aurait pu le faire) et saisi le Conseil d’Etat. La haute juridiction a ainsi, par un arrêt du 6 novembre 2025, confirmé la sanction de l’Arcom.
Cette décision a été saluée par une partie des commentateurs médiatiques et politiques, elle est pourtant tout à fait discutable. En effet, elle ne se limite pas à rappeler les obligations de pluralisme d’une chaîne de télévision, elle vient juridiquement enserrer et limiter le débat scientifique, elle consacre l’existence d’une vérité scientifique juridiquement opposable, comme un catéchisme imposé par l’État, validé par la Justice, que les médias n’auraient plus le droit de laisser contester, alors même que toute science authentique implique la contradiction, la critique et la confrontation permanente des idées.
Une conception étroite du pluralisme
Pour comprendre la situation, il faut revenir au cœur du débat. La théorie du réchauffement climatique, selon la définition du dictionnaire Larousse, désigne la modification du climat terrestre se caractérisant par une augmentation de la température moyenne à sa surface.
Pour se justifier, le Conseil d’Etat évoque des propos « grossièrement erronés et manifestement non conformes aux données acquises de la science ».
Les Conseillers d’Etat se jugent ainsi compétents pour évaluer la véracité de données scientifiques. Cela nous semble être un basculement conceptuel majeur, car une instance juridique se transforme ainsi en arbitre du vrai scientifique.
La science, comme nous l’avons évoqué plus haut, ne peut progresser sans critique, doute, confrontation et remise en cause permanente. Le progrès scientifique n’a pas émergé du conformisme mais d’un esprit de contradiction comme en témoignent Pasteur face à la génération spontanée, Wegener contre les géologues de son temps ou encore Einstein dépassant Newton.
De manière paradoxale, l’arrêt reproche à CNews un manque de « pluralisme » alors même que l’expression d’un point de vue minoritaire constitue une condition essentielle de ce même pluralisme. Le raisonnement du Conseil d’État revient à affirmer qu’une opinion non conforme au consensus scientifique, exprimée sans contradicteur, suffit à établir une violation du pluralisme et à justifier une sanction.
Cette logique est profondément incohérente, car la diversité des opinions inclut nécessairement les points de vue minoritaires, divergents, dérangeants, voire erronés.
Avec une telle approche, la liberté d’expression n’existe que tant qu’elle ne contredit pas la vérité officielle. Le pluralisme n’existe que s’il ne diverge pas trop de la ligne dominante, ce qui revient à instaurer un pluralisme conditionnel et strictement surveillé.
On ne peut que ressentir qu’une injustice criante face à une telle situation. Comment un pays qui place la liberté d’expression au cœur de ses valeurs peut-il condamner une chaîne pour avoir laissé s’exprimer un avis différent, alors même que la fonction première du débat est de permettre aux invités d’exposer leur opinion et aux téléspectateurs de se faire leur propre jugement ? Ce raisonnement de bon sens semble pourtant étranger au juge de la haute juridiction.
Le savoir sous tutelle : du débat scientifique à la doctrine institutionnelle
Cet arrêt est d’autant plus préoccupant qu’il s’inscrit dans la continuité de lois venant encadrer fortement certains discours. La France n’en est en effet pas à son coup d’essai dans la sanctuarisation juridique de la Vérité, et on pense bien sûr à la loi Gayssot de 1990, présentée à l’époque comme une exception, mais qui confiait au juge le pouvoir de déterminer ce qui pouvait ou non être discuté sur un événement historique. On affirmait alors que ce serait un cas isolé.
Trente-cinq ans plus tard, la même mécanique réapparaît, cette fois dans le domaine scientifique. La loi Gayssot sacralisait une vérité historique et l’arrêt contre CNews sacralise une vérité scientifique. La tendance est évidente : dès qu’un domaine devient politiquement sensible, L’Etat, et maintenant certains juges, tentent de sanctuariser les récits considérés comme acceptables.
Il faut pourtant rappeler les dangers d’un tel chemin. La science ne doit pas s’imposer par la loi mais par l’expérience, la démonstration et la reproductibilité (La reproductibilité d’une expérience scientifique est l’une des conditions nécessaires pour que des observations faites lors de cette expérience puissent entrer dans le processus d’amélioration perpétuelle des connaissances scientifiques). Lorsque le pouvoir politique prétend protéger la science en sanctionnant les opinions divergentes, il ne protège en réalité que sa propre narration, verrouille le débat et transforme un consensus en dogme. Ce glissement rappelle les régimes comme l’URSS et sa génétique lyssenkiste ou la Chine maoïste où la médecine traditionnelle est devenue “scientifique” par décret.
Lorsque l’État décide du vrai, il ne s’agit plus de science mais de doctrine, et quand la vérité devient imposée, la confiance s’effondre.
Cette affaire dépasse largement une simple sanction administrative et soulève un enjeu démocratique fondamental : une juridiction peut légalement déterminer ce qui est vrai ou faux dans un débat scientifique ?
Si la réponse est affirmative, alors après l’histoire et le climat, ce sont d’autres domaines qui suivront inexorablement au détriment de la vérité scientifique et des possibilités de progrès qu’elle offre. Une démocratie ne repose pas sur une vérité d’État mais sur un espace où toutes les idées, même fausses, peuvent être discutées, réfutées et dépassées.
Voltaire écrivait qu’une institution corrompue donne des fruits venimeux, peut-on utiliser ce qualificatif pour le Conseil d’Etat ? Le lecteur en sera seul juge, en attendant sagement qu’un magistrat prenne une prochaine décision lui intimant ce qu’il a le droit de dire ou non.
Louis Labrosse
Membre du Cercle Droit & Liberté

















