Daniel Keller explore comment endiguer l’idéologie islamiste. Analyse approfondie des défis actuels et des pistes pour contrer cette menace insidieuse.
Dans un récent entretien donné au Figaro1, Florence Bergeaud-Blackler constate que la lutte contre la diffusion de l’idéologie islamiste n’a pas réellement commencé, indépendamment des mesures anti-jihadistes prises sur le fondement de la loi séparatisme. Elle appelle donc à contrebattre la guerre de basse intensité dont les Frères musulmans sont le cheval de Troie avant que l’islamisation de notre société ne devienne irréversible.
L’interrogation de Florence Bergeaud-Blackler a le mérite de cibler la question majeure à laquelle nombre de pays occidentaux vont être confrontés pour les décennies à venir. Deux remarques préalables s’imposent. La première tient au fait que la volonté de l’islam de conquérir l’Occident est une constante à travers l’Histoire. Sauf à céder aux sirènes des théories chérissant l’avènement de la fin de l’Histoire, ce retour de balancier rappelle opportunément ce qui fait l’essence même de l’histoire humaine : un éternel affrontement entrecoupé d’armistices. « History is again on the move » pourrait-on dire de la période actuelle, pour reprendre la célèbre formule d’Arnold Toynbee.
Deuxièmement, si l’islam fondamentaliste, quel que soit le caractère approximatif de cette expression, constitue un phénomène idéologique, alors son expansion et son éventuelle future contraction procèderont comme il en alla pour les religions séculières du XXème siècle. Comme le communisme en son temps, l’islam radical mélange subtilement la foi et la terreur et les Frères musulmans jouent le rôle que remplissait le parti unique dans l’idéologie communiste, pour reprendre la terminologie de Raymond Aron dans Démocratie et Totalitarisme.
Florence Bergeaud-Blackler s’interroge sur la façon de repousser l’islam radical. On pourrait à ce titre regarder comment l’idéologie communiste s’est peu à peu désintégrée. Elle a d’abord été victime de l’effondrement de sa maison mère, l’URSS. Elle s’est en parallèle routinisée au point de perdre définitivement l’éclat envoûtant de ses débuts. Enfin elle a été politiquement combattue en France par un socialisme réformiste qui l’embrassa pour mieux l’étouffer. Mutatis mutandis, il en ira de même pour l’islam radical. Tout dépendra d’abord de l’essoufflement du rigorisme islamique en vigueur dans les pays hébergeurs de cette idéologie sous couvert du retour à un islam plus littéral. Le dessèchement progressif de cette idéologie suivra pour sa part la courbe de Gauss qui vectorise toutes les aventures humaines. Cette issue dépendra enfin de l’émergence d’un islam plus modéré capable de combattre et de rejeter le rigorisme d’un islam fondamentaliste dont l’une des faiblesses sur le long terme demeure d’avancer à contre-courant d’une certaine modernité. Celle-ci, malgré ses failles, ne cesse en effet de gagner des parts de marché, à pas comptés en Arabie Saoudite ou au rythme des manifestations de femmes en Iran.
Tout cela ne dit pas bien entendu quand cette inflexion pourra se produire. Sans paraphraser Fernand Raynaud concernant le temps de refroidissement du fût du canon, nos sociétés devront s’armer vraisemblablement pour quelques décennies d’un esprit de résistance certain. Voyons donc quelles initiatives pourraient être de nature dans ce contexte à accélérer une issue heureuse.
Indépendamment des mérites incontestables de la loi de 1905, l’Etat ne pourra pas ne pas se mobiliser en faveur des partisans d’un islam modéré répondant certainement aux attentes de la plupart de nos concitoyens musulmans. Cela étant, de récents sondages ne doivent pas nous faire oublier qu’à ce jour il est vraisemblablement minuit moins cinq. L’urgence commande donc d’agir. Par ailleurs, sans tomber dans un ostracisme inconvenant, notre pays gèrera d’autant mieux cette situation que les flux migratoires baisseront drastiquement afin que notre pays puisse enfin s’occuper dignement des populations étrangères ou d’origine étrangère déjà présentes sur le territoire national. Ce constat rappelle également que les immigrations réussies sont les immigrations qui ont eu une fin !
Dans ce cadre, il conviendra notamment de livrer une bataille culturelle et éducative au nom des principes républicains qui sont les nôtres. Dans l’objectif de tarir l’attractivité de ce messianisme d’un genre nouveau auprès des jeunes générations, les enfants des quartiers prioritaires des politiques de la ville qui regroupent environ cinq millions d’habitants mériteront en effet une attention toute particulière, à fortiori dans une période où les familles sont passablement disloquées.
Enfin, force devra toujours rester à la loi, au nom des principes qui régissent une société ouverte telle que la nôtre. Les contrevenants aux règles en vigueur, les prêcheurs de haine et les agents de l’étranger devront en subir les conséquences qui s’imposent, comme cela commence à être timidement fait.
Pour conclure, je dirai que notre pays en a vu d’autres. Mais l’analyse proposée repose sur la conviction qu’une société ne saurait être comparée à un hall d’aéroport où des individus qui ne se connaissent pas ne font que se croiser. Elle doit former au contraire une collectivité soudée autour d’une histoire et d’une culture assumées. La question inquiétante pour le présent est toutefois de constater que ces postulats ne sont pas universellement partagés. C’est un handicap sérieux. Puisse celui-ci ne pas être le signal d’une fatalité désastreuse !
Daniel Keller
Ancien membre du conseil économique, social et environnemental
- Edition du vendredi 10 mai 2024 ↩