Longtemps reléguée à l’arrière- plan, la communication politique est aujourd’hui le cœur des séries politiques. Plus qu’un simple outil, elle devient un enjeu narratif central, mêlant immersion, tension et émotion. Les séries dévoilent leurs coulisses techniques, des spin doctors aux stratégies de crise, en passant par la fabrication des discours, les débats télévisés et les études d’opinion. Une politique réduite à son image.
Les séries ont toujours aimé le pouvoir. Mais là où le cinéma privilégiait souvent des récits biographiques ou des fresques historiques (« JFK », « The Queen », « Nixon »), les séries, elles, ont investi la politique comme un cadre dramatique foisonnant, un théâtre permanent de tensions, d’alliances et de trahisons. Depuis « The West Wing », qui incarnait une vision idéalisée du leadership présidentiel, jusqu’à « House of Cards », qui en a révélé l’ombre cynique, en passant par « Years and Years », « Dans l’Ombre » ou « La Fièvre », les séries n’ont cessé d’explorer la politique sous toutes ses formes. Certaines, comme « The Loudest Voice », montrent même que ce sont les médias qui fabriquent les leaders plus que les urnes.
Et pourtant, ce qui frappe, ce n’est pas tant leur traitement du pouvoir en soi, que la façon dont elles se sont systématiquement concentrées sur sa mise en scène, sur son image, sur la façon dont il se fabrique médiatiquement. Dans « Designated Survivor », la question n’est pas seulement de savoir comment un président gouverne, mais comment il est perçu. Dans « Scandal », « The Good Wife » ou « The Po- litician », la communication est une arme de guerre. Dans « Intimidad », une sextape suffit à pulvériser une carrière publique. La politique n’existe plus comme entité autonome : elle est totalement absorbée par la gestion de son apparence, par la mise en récit permanente qu’en font les médias et les réseaux sociaux.
Comme je l’avais déjà montré dans Le Charme discret des séries (Humensciences 2021), la politique en séries est systématiquement instrumentalisée à travers sa seule communication, vidée de sa substance et réduite à une mécanique de gestion d’image.
Ce qui compte, ce n’est plus la politique comme projet, mais la communication comme mise en scène du pouvoir.
Pourquoi ce tropisme narratif ? Pourquoi la communication politique fascine-t-elle autant les séries ? Parce que la politique d’aujourd’hui ne se pense plus sans son spectacle, parce que le spin doctor est plus puissant que l’élu, parce qu’un bon storytelling vaut mieux qu’un bon programme. Et surtout, parce que cela produit des récits d’une tension permanente : une guerre du contrôle, où chaque mot peut être une bombe, chaque image un piège, chaque crise une opportunité.
LA COMMUNICATION POLITIQUE, PLUS FORTE QUE LA POLITIQUE ELLE-MÊME
Les séries qui traitent de politique ne s’intéressent ni aux politiques publiques,
ni aux modes de scrutin, ni à la fabrique du vivre-ensemble. Elles explorent peu la composition des gouvernements, les arbitrages ministériels ou la mécanique institutionnelle. Elles évacuent la politique réelle pour ne conserver que ce qui en est visible : son image, sa mise en récit, sa mise en scène. Qui connaît le programme du maire de Marseille dans « Marseille » ? Personne. Ce n’est pas son projet qui importe, mais comment il se maintient au pouvoir face à son adversaire. Dans la majorité des séries, les lois, les réformes et les décisions budgétaires sont absentes : seule « Borgen » s’intéresse vraiment aux tensions entre convictions et compromis sur des sujets comme l’écologie.
Partout ailleurs, le politique est vidé de sa substance et réduit à sa mise en spectacle.
Dans « The Politician », un lycéen ambitionne la présidence des États-Unis. Son programme ? Peu importe. Tout repose sur son storytelling personnel et sa capacité à captiver les électeurs par une narration plus forte que celle de ses adversaires. « Scandal » pousse la logique encore plus loin : Olivia Pope est la vraie détentrice du pouvoir, car c’est elle qui décide de ce qui sera perçu comme vrai ou faux. Dans « Dans l’Ombre », l’image d’un candidat est façonnée, déconstruite, puis reconstruite au fil des crises et des spin. « Parlement » offre une version plus cynique du processus législatif, où la politique devient un théâtre où les décisions réelles sont secondaires par rapport à la communication autour d’elles.
Guy Debord parlait de la société du spectacle, où la représentation d’un événement compte plus que l’événement lui-même. Les séries en font la démonstration : la communication n’est pas un accessoire du politique, elle l’a totalement absorbé. Il n’y a plus de politique sans contrôle du narratif, sans guerre des perceptions. Dans ce jeu, les spin doctors sont rois, et les élus leurs marionnettes.
Les personnages de « The Good Wife » et « The Good Fight » illustrent cet effacement du politique derrière le médiatique. Alicia Florrick doit composer avec l’image de femme trompée pour exister politiquement. Diane Lockhart se retrouve plongée dans une Amérique où la manipulation de l’opinion est devenue la seule règle du jeu. « The Loudest Voice » montre même comment les médias eux-mêmes façonnent la politique, transformant un candidat en président par une stratégie de saturation médiatique.
La politique en séries est vidée de sa substance : elle n’existe plus que par sa communication, et cette communication repose avant tout sur l’émotion. Ce ne sont ni les idées ni les projets qui structurent les rapports de force, mais la capacité à susciter une réaction immédiate. L’indignation, la peur, la compassion deviennent les principaux leviers du discours politique. C’est ainsi que se fabriquent les victoires et les défaites : non sur un programme, mais sur une émotion dominante qui capte l’attention et impose un récit.
Les séries n’analysent plus le pouvoir : elles montrent comment il se raconte, comment il se vend, comment il se survit.
LE SPIN DOCTOR, FIGURE CENTRALE DU POUVOIR EN SÉRIE
Dans les séries politiques, l’élu est souvent une figure figée, impuissante, alors que le spin doctor est en mouvement, efficace, en action. Comme si l’un incarnait le pouvoir institutionnel, symbolique, lointain et figé ; quand l’autre incarnerait le pouvoir réel, celui qui se négocie, qui se manipule, qui se construit.
Dans « Scandal », Fitz n’est qu’un pantin présidentiel, un homme balloté par ses émotions, ses contradictions, et incapable de gérer seul une crise. C’est Olivia Pope qui tient réellement la barre, qui façonne la perception de son administration, qui orchestre le contrôle narratif. Dans « Borgen », Birgitte Nyborg est une politicienne talentueuse, mais elle est bien plus efficace en ministre qu’en Première ministre, car elle y retrouve une capacité d’action concrète. Dans « House of Cards », même Frank Underwood, pourtant maître des manipulations, ne peut jamais se reposer sur sa fonction présidentielle : il doit toujours être dans le spin, dans le coup d’avance, dans la guerre narrative.
Dans la série « Dans l’Ombre », César Casalonga incarne à la perfection cette figure du stratège total. Il ne fait pas que conseiller son candidat : il le prépare, il pense toujours le coup d’avant, il orchestre chaque décision et, surtout, il efface. Il fait disparaître les problèmes avant qu’ils ne deviennent des scandales, il colmate les failles, il supprime les menaces politiques comme un homme de l’ombre qui, sans jamais être élu, détient peut-être l’essentiel du pouvoir.
Cette dimension est encore plus frappante dans « Intimidad », où l’absence totale de spin doctor devient un facteur d’effondrement. Sans personne pour cadrer la communication, gérer la crise, effacer les failles, la protagoniste se retrouve écrasée par l’emballement médiatique. Les spin doctors ne sont donc pas seulement ceux qui fabriquent l’image du politique, ils sont ceux qui protègent du chaos.
Mais au-delà de leur pouvoir, les spin doctors sont aussi les meilleurs guides narratifs pour plonger le spectateur dans l’univers politique. Les séries les choisissent parce qu’ils offrent une immersion totale dans les coulisses du pouvoir. Là où un président ou un ministre se contente d’incarner une fonction, le spin doctor est celui qui nous fait entrer dans la machine, celui qui nous montre ce qui se passe derrière le rideau.
Dans«The Good Wife» et «TheGood Fight », Eli Gold nous fait pénétrer dans les coulisses des campagnes électorales : on ne voit pas toujours les discours, on voit
comment ils sont fabriqués, amendés, remodelés selon les besoins. Dans « Scandal », on ne suit pas le président, on suit Olivia Pope qui efface ses fautes, qui gère ses scandales, qui orchestre ses manipulations. « The Loudest Voice » pousse encore plus loin cette immersion : on ne suit pas les élus, on suit Roger Ailes en train de fabriquer une bulle médiatique qui va modifier la politique américaine.
Et au total les spin doctors sont plus cinématographiques : ils sont l’urgence, le drame, la tension. Ils courent, chuchotent, rédigent des punchlines en catastrophe, réécrivent des discours en temps réel, éteignent des feux en permanence. Contrairement aux figures figées du pouvoir institutionnel, eux donnent du rythme, du suspense, de l’énergie au récit.
Mais les spin doctors ne sont pas que des metteurs en scène du politique, ils en sont les narrateurs. Ils construisent un story- telling où la perception devient plus importante que la réalité, où un candidat ne gagne pas par son programme mais par l’histoire qu’on raconte sur lui. Dans « The Good Wife » et « The Good Fight », Eli Gold est le véritable stratège, celui qui fait et défait les carrières. Dans « Parlement », c’est Samy qui guide son député perdu dans le labyrinthe des institutions européennes. Dans « The Loudest Voice », Roger Ailes ne se contente pas de conseiller un candidat : il fabrique une idéologie politique à travers Fox News, créant un environnement médiatique qui façonne l’opinion bien plus que n’importe quelle élection.
Les séries n’ont de cesse de montrer un pouvoir qui n’est plus dans le vote (les élections sont d’ailleurs régulièrement truquées), ni dans l’action publique (leur part est négligeable) : il est dans la gestion de l’image, du récit et des perceptions.
Et c’est pour cela que les séries ont fait des spin doctors et autres communicants leurs véritables héros.
LA POLITIQUE EN SÉRIES : UNE FABRIQUE DU RÉEL
Les séries ne racontent pas la politique comme un exercice du pouvoir, mais comme une bataille pour imposer une perception de la réalité. Il ne s’agit plus de gouverner, mais de structurer l’espace public, de dominer le flux médiatique, d’imposer un récit plus fort que celui des adversaires. Ce qui compte, ce n’est pas l’action, mais la manière dont elle est racontée et perçue.
Les séries montrent un univers politique loin des décisions ou des programmes, mais totalement tourné autour de la construction d’un discours dominant.
Ce qui est perçu comme une priorité devient une priorité politique ; ce qui est relégué disparaît de l’agenda. L’agenda setting fonctionne comme un filtre : ce qui existe politiquement, ce n’est pas ce qui est important, mais ce qui est visible. Un projet de loi peut ne jamais être discuté si les médias n’en font pas un sujet, un scandale peut renverser une élection alors qu’il n’a aucune conséquence légale.
« Si les hommes définissent des situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences ». Cette logique est omniprésente dans les séries : la politique ne consiste pas à gouverner, mais à structurer un récit dominant.
Si la politique en séries est une guerre de perception, alors les outils qui façonnent cette perception deviennent plus puissants que la politique elle-même.
Sondages, études qualitatives, réseaux sociaux, médias, discours, meeting, look…. Tout converge pour convaincre ou encore plus, pour façonner les opinions.
Concernant les études – et particulière- ment les sondages – nous sommes dans la démonstration parfaite des approches de Pierre Bourdieu et Patrick Champagne. Nous sommes au sommet de la fabrique de l’opinion, où ces études construisent la perception du réel et influencent directement les stratégies politiques. La série « En place » met en scène de façon ironique toute cette fabrique sondagière ; fabrique que l’on retrouve de façon caricaturale dans « The Politician » ou de façon plus littérale dans des séries comme « Designated Survivor », « Scandal », « Baron Noir », « The Good Fight »…
Les meetings sont un point central de la communication politique en séries ; ils permettent de construire des instants dramatisés et impactent fortement au scénario. C’est là, bien souvent, que les candidats peuvent recevoir des balles ou même se faire tuer, comme dans « Les Sauvages » ou « Scandal ». Ce sont des moments de pure émotion comme quand Francoeur le candidat en fauteuil roulant se lève et chante la Marseillaise debout…. Des meetings que l’on voit côté coulisses, souvent à partir des spins doctors et des communicants. Des instants paroxystiques pour faire adhérer la foule et fabriquer du consentement, pour capter le téléspectateur et le maintenir dans son binge watching !
Tout cela ne serait rien sans les relais médiatiques ou digitaux. « The Morning Show » illustre ce basculement : ce n’est plus l’autorité institutionnelle qui décide du sort des dirigeants, mais l’arène médiatique. Ces caisses de résonance façon réseaux sociaux sont totalement intégrées aux séries. « La Fièvre » en fait le cœur de son propos, quand « Years and Years » joue avec une Première ministre anglaise illibérale/populiste qui ne parvient plus à distinguer le vrai du faux… L’ère des fake news, via les TikTok et autres X, dépassant ici largement les médias traditionnels.
La communication politique en séries en une communication de crises.
La crise est en effet la condition ultime de survie politique dans les séries, chaque événement
devenant une occasion de manipuler et de se redéfinir dans l’espace médiatique.
Les crises ne sont plus des anomalies, elles sont devenues une nécessité. La politique en séries fonctionne sur un enchaînement de crises permanentes, chaque scandale étant à la fois une menace et une opportunité. C’est le schéma de « Scandal », où une crise chasse l’autre, et où chaque événement est une chance de recadrer l’image publique d’un client. Dans « Years and Years », la politique n’existe plus que dans la réactivité. Plus personne ne sait ce qui est vrai, ce qui compte, seule subsiste la capacité à gérer l’instant, à répondre plus vite que l’adversaire. Cette instabilité n’est pas un dysfonctionnement, c’est devenu le cœur du pouvoir.
Les séries ne nous montrent pas une politique vidée de sens, elles nous montrent combien son sens est désormais fabriqué dans l’arène médiatique via des crises majeures, mineures, voire fabriquées. C’est ici que se joue la guerre narrative dans une économie de l’attention. Elles ne racontent pas un projet de société, mais une mécanique de survie dans un flux médiatique chaotique.
UN SPECTACLE COMMUNICATIONNEL EN AUTOCONSERVATION
Si la communication politique est un objet de fascination dans le monde en séries, c’est parce qu’elle est l’essence même de la dramaturgie. Elle transforme la politique en un récit structuré : il y a des protagonistes, des antagonistes, des tensions, des rebondissements, des manipulations.
Mais ce qui frappe, c’est que cette communication politique, qui semble au cœur de tout, ne sert plus aucun projet de société. Elle n’existe que pour elle- même, comme une mécanique autonome, détachée du réel. Les spin doctors, les conseillers en communication, les experts du cadrage ne défendent pas une vision du monde, ils fabriquent du récit, créent du spectacle. La politique, dans les séries, est réduite à une surface en mouvement perpétuel, un dispositif d’autoconservation.
Ce que les séries captent avec une lucidité brutale, c’est que la communication politique est devenue une fin en soi. Elle ne cherche plus à convaincre, ni même à manipuler pour faire passer une réforme ou porter un projet. Elle cherche seulement à exister, à survivre, à maintenir un flux de captation d’attention.
C’est peut-être là le grand paradoxe de la représentation du politique dans les séries : plus elles mettent en scène la communication politique, plus elles révèlent son vide.
Dr. Virginie Martin
Docteur en science politique HDR sciences de gestion Professeure et chercheuse à Kedge Business School Politiste et sociologue