Les nominations s’enchaînent et les pratiques demeurent du côté de la rue Montpensier. L’Élysée a dévoilé ce lundi 10 février, sans suspense, le successeur de Laurent Fabius. Battu lors des législatives de 2022, Richard Ferrand a été choisi par Emmanuel Macron pour présider le Conseil constitutionnel.
Même si cette nomination respecte à la lettre les dispositions constitutionnelles prévues à cet effet, elle laisse néanmoins un arrière-goût d’incompréhension. Richard Ferrand, qui n’est certes pas connu pour son expertise constitutionnelle, pourra néanmoins se vanter de son expérience d’ancien président de l’Assemblée nationale, à l’instar de Laurent Fabius qui avait déjà occupé la fonction. Mais quid du symbole ?
Comment expliquer que celui qui est considéré comme un des intimes du président défait dans les urnes puisse trouver un point de chute à la tête des « sages » ?
Le Conseil constitutionnel, souvent perçu comme une instance juridique suprême, est parfois critiqué pour être une « maison de retraite des brûlés politiques ». Cette expression interroge sur l’indépendance, la légitimité et la fonction du Conseil constitutionnel français.
Dans un monde marqué par la montée d’un populisme contestant vigoureusement la légitimité d’un Conseil constitutionnel secoué sous ce second quinquennat avec l’examen de la réforme des retraites et la loi sur l’immigration, cette nomination n’envoie pas un bon signe.
Le Conseil constitutionnel opère depuis quelques années sa progression vers une véritable judiciarisation. Loin de la splendeur de la Cour suprême américaine, les sages de la rue Montpensier ont, au fil de leur jurisprudence, gagné une place dans l’ordre judiciaire français. Il est donc temps de dépolitiser cette institution qui, au fil des années, semble devenir le centre d’accueil des grands brûlés de la politique. Le Conseil constitutionnel n’est pas une maison de retraite.
I – Une politisation constante du Conseil constitutionnel : la nomination de M. Ferrand, un autre cas d’école
La nomination des membres du Conseil constitutionnel est purement politique. Les règles de désignation des membres sont connues. Outre les membres de droit, l’article 56 de la Constitution, le Conseil constitutionnel est constitué de neuf membres, choisis pour une durée de neuf ans, qui sont renouvelés par tiers tous les trois ans.
Trois membres sont nommés par le Président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale et trois par le président du Sénat.
Il est bien connu que cette disposition n’est pas accompagnée d’une exigence de compétence. S’il est vrai que certains membres du Conseil peuvent être des juristes ou des magistrats (ex. : G. Vedel, S. Veil, P. Mazeaud), il est également possible que d’autres soient étrangers à ce domaine. On ne s’étonne pas de rappeler que, dans l’esprit du constituant de 1958, la nature de la nomination politique des membres du conseil constitutionnel est vitale, en ce sens que le Conseil doit incarner la garantie de la supériorité de l’exécutif sur le Parlement (N. Clinchamps, La Vème République, Paris, Ellipses, 2021, p. 194). Il est pour tout dire : un « chien de garde de l’exécutif » au « canon braqué vers le Parlement », « qui rend des services et non des arrêts » (G. Bergougnous, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 38 (Dossier : Le Conseil constitutionnel et le Parlement) – janvier 2013).
De toute évidence, la nomination au poste de la présidence du Conseil constitutionnel, bien que répondant aux dispositions constitutionnelles, est avant tout une mesure d’intérêts politiques (récompense ?), où des anciens hommes politiques, souvent proches des cercles du pouvoir, semblent avoir trouvé leur « maison de retraite ».
Ainsi, la proposition de nomination, par le Président de la République, de Richard Ferrand s’inscrit dans cette logique. Ancien président de l’Assemblée nationale et figure controversée de la majorité présidentielle, Richard Ferrand est certes juriste de formation, mais il reste avant tout un homme politique. Sa nomination risque de renforcer l’idée que le Conseil constitutionnel sert de refuge aux hommes politiques en fin de carrière ou en difficulté. Cette impression n’est pas nouvelle : elle a déjà été renforcée par la nomination de Laurent Fabius, ancien Premier ministre et poids lourd du Parti socialiste, ou encore d’Alain Juppé, lui aussi ex-Premier ministre.
La perception du Conseil constitutionnel comme une « maison de retraite des brûlés politiques » trouve dès lors tout son sens. Cette situation peut engendrer une méfiance du public quant à la légitimité du Conseil et à l’impartialité de ses décisions. Que faire?
II. Pour une juridictionnalisation totale du Conseil constitutionnel ?
La légitimité du Conseil constitutionnel est principalement liée à sa capacité à incarner une autorité juridique indépendante et impartiale. Néanmoins, la nomination d’anciens hommes politiques, souvent sujettes à des controverses, peut affaiblir cette légitimité. Pour le professeur Dominique Rousseau, « la légitimité du Conseil constitutionnel ne peut reposer uniquement sur des considérations juridiques ; elle doit également reposer sur une perception publique de son indépendance et de son impartialité » (D. Rousseau, La démocratie continue, Paris, LGDJ, 1995).
Des critiques contre certaines des décisions du
Le Conseil constitutionnel n’a cessé de monter. Certains partis politiques pointent du doigt le « hold-up démocratique », voire le « coup d’État de droit » (https://www.publicsenat.fr). Ces critiques, bien que souvent motivées par des désaccords sur le fond des décisions, alimentent l’éternel débat sur la légitimité et l’indépendance du Conseil constitutionnel.
La proposition de nomination de M. Ferrand corrobore ces inquiétudes. Certaines voix, à défaut de parler de la « République des copains », évoquent le fait que son image publique et sa proximité avec le président pourraient affaiblir la crédibilité du Conseil constitutionnel (https://www.lefigaro.fr/).
Des voix s’élèvent sur la nécessité de réformer le Conseil constitutionnel, de repenser sa composition à l’image des cours constitutionnelles étrangères, tout en garantissant une meilleure prise en compte du principe du contradictoire et d’une justification plus approfondie de ses décisions. L’objectif n’étant pas d’écarter totalement les personnalités issues du monde politique, dont l’expérience du pouvoir peut être précieuse. Il est plutôt question de recentrer les critères de nomination sur des compétences juridiques solides (https://www.leclubdesjuristes.com), afin que le Conseil constitutionnel acquière le statut d’une véritable juridiction.
Il est indéniable que la proposition de nomination de M. Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel relance inévitablement le débat sur la politisation de cette institution, et partant de la nécessité de repenser les critères de nomination de ses membres. Le Conseil constitutionnel n’est pas et ne doit pas devenir un refuge pour des hommes politiques en fin de carrière ! Sa juridictionnalisation totale semble nécessaire pour renfoncer sa légitimité et son indépendance.
Par Carlyle GBEÏ journaliste politique et Ben Luther TOUERE ELENGA docteur en droit public