Plus jeune candidat élu en 2017 et premier président de la Vème République à être réélu en dehors d’une période de cohabitation, Emmanuel Macron est entré définitivement dans l’Histoire. Mais les nouvelles pages à écrire ne sont pas des plus faciles. A l’approche des Législatives et des nombreuses tractations en cours et à venir, la gouvernabilité du pays est loin d’être assurée. Elle est néanmoinsindispensable tant le pays se situe désormais à la croisée de chemins. Seul l’esprit de concorde permettra de proposer un projet apaisé et collectif.
La concorde, condition de la liberté politique
Idéal de paix, la concorde est plus profonde que le compromis, c’est l’union des cœurs et des volontés, voire l’union des âmes selon Spinoza. C’est donc une relation de justice qui repose sur le partage de convictions communes auxquelles des membres souscrivent. Face à des intérêts divergents, à la soif de pouvoir, est-ce possible d’envisager une union des âmes politiques ? La concorde pour Spinoza est la condition même de la liberté politique, une forme de préalable à toute société, antérieure à tout rapport de justice puisque ne reposant pas sur un contrat. Si la concorde repose sur cette union des cœurs, il convient alors de partager les mêmes valeurs civilisationnelles, c’est-à-dire une histoire commune, et une volonté de projection.
La concorde : nouvelle impulsion démocratique ?
Les marges de manœuvre économiques se réduisent chaque jour un peu plus au rythme d’une inflation grandissante rendant inéluctable la remontée des taux d’intérêt, et la fin d’un « Quoi qu’il en coûte » longtemps salvateur. La crise géopolitique ne semble pas s’atténuer. L’irruption d’une situation sociale et politique explosive n’est plus une simple hypothèse. La démocratie semble épuisée. Le vote protestataire a culminé à 61 % des voix au premier tour et l’abstention de 28 % du corps électoral au second tour. Certains partis radicaux s’efforcent de remettre en cause notre modèle politique.
Les violences se multiplient, violence dans les discours, violence populaire comme lors des défilés du 1er mai.
La France ne peut donc rester immobile et doit lutter contre les fractures démographiques, économiques, sociologiques, territoriales. Penser les ressorts d’une nouvelle impulsion démocratique et populaire avec une ambition à la hauteur des enjeux de rassemblement, c’est l’esprit de concorde retrouvée que devront proposer les nouveaux élus. La concorde peut-elle être un projet de coalition, même provisoire, au-delà des simples jeux d’appareils ?
De l’harmonie avant toute chose
Le mot concorde est construit sur le préfixe latin cum qui signifie avec, et cors, le cœur, pour traduire l’union des cœurs et l’accord entre plusieurs personnes. Concordia (Concorde), déesse du paganisme, est représentée dans l’allégorie politique du XVe siècle par les instruments à cordes.
Cette allégorie repose sur le rapprochement établi par Platon (Les Lois, livre 2) entre l’homme politique et le musicien, tous deux recherchant l’harmonie. Le verbe s’accorder, que l’on retrouve dans le domaine musical, reflète aussi cette notion. Dans de nombreux portraits, les monarques sont dotés d’un instrument de musique et de partitions, incarnant l’idée d’un État dirigé avec tempérance et harmonie.
Emmanuel Macron devra donc agir en chef d’orchestre pour mettre en musique un nouveau projet de société.
Dans ce cadre, le choix des femmes et des hommes à ses côtés est décisif. Chaque instrumentiste du nouveau gouvernement devra s’accorder, afin de pouvoir jouer en harmonie avec l’orchestre. Chez Platon, Concorde traduit une identité de pensée, une même conception du monde, une même idéologie pour la cité entre les hommes. À Emmanuel Macron de définir cette nouvelle vision collective, celle du débat renouvelé et nuancé, de la transformation d’un modèle au-delà du « en même temps » qui ne suffit plus. C’est bien vers ce double objectif que le nouveau gouvernement et les élus des différentes sensibilités devront orienter leurs efforts.
Delphine Jouenne
Auteure de l’ouvrage Un Bien Grand Mot et associée co-fondatrice du cabinet Enderby