La dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par le Président Macron au soir du résultat des élections européennes du 9 juin, ouvre une séquence à hauts risques dans l’histoire politique de la France qui n’est pas sans rappeler certains épisodes historiques vécus par le peuple français. La séquence électorale qui s’ouvre à nous jusqu’au 7 juillet (résultat du second tour de ces nouvelles élections législatives) est pour beaucoup d’observateurs, incertaine ou bien inédite. À y regarder de plus près, notre tradition républicaine, depuis l’instauration de la Troisième République, au lendemain du désastre de Sedan en 1870, nous offre des exemples de crises au moins aussi graves, si ce n’est plus, et qui pourraient nous servir d’exemples et de comparaisons.
Une décision à double tranchant
Commençons par une crise fondatrice, celle du 16 mai 1877. Elle voit le président de la République, Mac Mahon (pourtant vaincu à Sedan quelques années auparavant), renvoyer son chef du gouvernement, Jules Simon puis, devant les protestations de l’Assemblée Nationale et son refus d’accorder sa confiance au nouveau gouvernement dirigé par le Duc de Broglie, décider de dissoudre cette dernière le 25 mai. La campagne électorale, marquée par de vives tensions, verra Gambetta, chef des Républicains, hostile à Mac Mahon, prononcer sa phrase célèbre
« Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre. ».
Mac Mahon, « tel l’arroseur arrosé » finira par démissionner remplacé par Jules Grévy, consacrant le triomphe du parlementarisme, marque de fabrique de la Troisième République. Pourtant fin stratège militaire (victoire de Magenta du 4 juin 1859 qui permit de sauver Napoléon III des Autrichiens), Mac Mahon voit sa manœuvre échouer et se retrouve dans l’obligation de quitter définitivement le pouvoir et l’échiquier politique. La tentative de Mac Mahon à s’imposer face au pouvoir législatif a donc été vaine, sa prérogative de pouvoir dissoudre l’Assemblée s’est révélée impuissante, pire, suicidaire.
Autres Présidents, autres contextes… mais toujours la même arme
En 1962, la dissolution est proclamée par le Président de la République De Gaulle à la suite de la chute du gouvernement dirigé par son Premier ministre, Georges Pompidou. Une vaste coalition de parlementaires d’opposition issus de tous bords (les radicaux, les socialistes, les chrétiens-démocrates et les indépendants) avait en effet voté une motion de censure adoptée à 280 voix, sur les 480 qu’en comptait l’Assemblée, et oblige à de nouvelles élections qui, à leur issue, voient le triomphe du parti gaulliste, l’Union pour la Défense de la République UDR qui passe ainsi de 212 sièges à 268. Fin mai 1968, de retour d’un déplacement à Baden-Baden en Allemagne, le général de Gaulle au soir du paroxysme de la crise politique, prononce un de ses plus importants discours d’après-guerre dans lequel il décide de dissoudre l’Assemblée pour rétablir l’ordre et lutter contre la gauche accusée d’avoir attisé la contestation révolutionnaire. Il joue son va-tout, mais en vieux sage et Homme d’Etat expérimenté, il remporte une victoire magistrale, renvoyant la gauche dans l’opposition jusqu’en 1981 (victoire de François Mitterrand), soit 13 ans plus tard. La manœuvre politique y est aussi spectaculaire que réussie de par la mobilisation des Français (80,01 % de participation) que par le score de son parti l’UDR qui atteint un niveau jamais obtenu : 367 sièges sur les 487 que comptent l’Assemblée nationale. Le coup politique de Gaulle est un succès et continue d’inspirer aujourd’hui par sa volonté de prendre l’adversaire politique par surprise et le mettre face à ses responsabilités politiques dans les urnes.
1981 marque l’arrivée de la gauche au pouvoir. Une des premières mesures du nouveau Président, François Mitterrand, est de dissoudre l’Assemblée dominée par la droite afin de lui assurer une majorité pour y mener sa politique et ses réformes. En 1988, le même scénario se dessine. François Mitterrand vient d’être réélu à l’Elysée, mais c’est la droite parlementaire qui domine l’Assemblée. Dans l’élan de sa réélection, le Président dissout en espérant bénéficier d’une majorité qu’il n’obtiendra qu’à très peu de voix, mais qui demeureront suffisantes pour le mener jusqu’à la fin de son mandat en 1995.
1997 voit un champ politique français tendu que le Président Jacques Chirac va tenter d’apaiser en provoquant la dissolution de l’Assemblée nationale. En prévision des élections législatives prévues en 1998 mais qui ne s’annoncent pas en sa faveur, le Président Jacques Chirac dissout espérant un sursaut du camp de la droite. Peine perdue, la gauche remporte le scrutin et oblige Jacques Chirac à nommer à Matignon, son principal opposant, Lionel Jospin (cruel retour de manivelle en comparaison de la situation de la cohabitation de 1986 à 1988) donnant naissance à la troisième cohabitation de l’histoire de la Vème République, et ce, jusqu’en 2002. Un mal pour un bien diront certains, car englué par « l’enfer de Matignon », le Premier ministre Lionel Jospin connaitra finalement l’échec face à un Président de la République revigoré, Jacques Chirac qui se fera élire avec un score proche du plébiscite face au père de la Présidente du RN, Marine Le Pen…Comme l’Histoire se répète ! Certaines fois, il y a des désastres électoraux qui sont finalement annonciateurs de triomphes…
Et maintenant ?
Sur les ruines du score obtenu (14,6%) le 8 juin par la liste « Besoin d’Europe » (très) soutenue par l’exécutif, le Président Emmanuel Macron tente un coup à la Red Adair (technique d’extinction des incendies de puits de pétrole par explosion inventée par Paul Neal Adair, surnommé Red Adair) en faisant voler en éclat l’échiquier politique. La dissolution rebat les cartes et le replace en quelque sorte au centre du jeu, mais avec le risque d’en être éjecté. Mais finalement, en tant qu’ancien banquier, Emmanuel Macron retrouve dans cette situation chaotique son appétence pour le jeu et le risque.
Le jeu et le risque de refaire du « en même temps » : à savoir en même temps du De Gaulle et du Mitterrand pour regagner de la légitimité.
De De Gaulle, il emprunterait du « Moi ou le chaos » demandant aux Français un choix en responsabilité, et de Mitterrand, du calcul tacticien pour piéger le Rassemblement National (RN) dans sa quête de l’Elysée en 2027 ? La question est posée. Mais dans ce jeu périlleux et engageant la cinquième puissance mondiale, nul n’est à l’abri d’un scénario à la Mac Mahon…qui rimerait dans l’histoire politique de notre Nation avec…Macron.
Dr Bertrand Augé, docteur en Histoire, Professeur éklore-ed School of Management
Dr Frédéric Dosquet, docteur en Sciences de Gestion, directeur de thèses (Hdr), Professeur éklore-ed School of Management, Auteur de Marketing et communication politique, EMS, 3eme édition.