Comment communiquer avec des citoyens qui n’écoutent plus parce qu’ils n’ont plus confiance ? En répondant à leur demande d’écoute et de considération. L’exemple des collectivités locales montre qu’une approche fondée sur la proximité et la co-construction peut rétablir un lien de confiance, tout simplement parce qu’elle consiste d’abord à faire confiance. Encore faut-il rendre ces démarches visibles et crédibles.
Communiquer au nom des institutions publiques et des organes de pouvoir apparaît aujourd’hui un défi démesuré. À la multiplication des émetteurs et des réseaux de communication et à leur saturation s’ajoute la déstructuration des vecteurs de communication à tous les niveaux, quand à la fois les vérités parallèles semblent dotées de plus de force que celle établie par les faits et l’argumentation, et quand les médias sociaux, qui apparaissaient hier comme un moyen d’accès direct aux citoyens, semblent aujourd’hui devenir un traquenard.
Ces questions prennent une acuité toute particulière en France, pays qui se distingue par un fort niveau de défiance dans son personnel politique et dans ses médias, faisant douter de la capacité de ces acteurs et rouages essentiel à atteindre leur public.
À se demander s’il reste encore un public pour la communication politique et institutionnelle.
LE PUBLIC EXISTE, IL DEMANDE À ÊTRE CONSIDÉRÉ
Ce public existe pourtant, et il n’est pas si difficile de le rencontrer. Il arrive même qu’il réclame plus de communication. « Ils devraient communiquer davantage » est un conseil que l’on peut entendre exprimer dans des réunions publiques, ou ces groupes de discussion qui forment la matière des études qualitatives, ces fameux « qualis » censés apporter aux décideurs la compréhension fine de ce qui se passe dans la tête des gens. Il arrive donc que le public réclame que l’on communique, mais l’expérience montre que cette adresse n’est pas générale. Elle ne s’exprime que dans des cas spécifiques, pas forcément rares, où les organisations invitées à communiquer sont créditées d’une raison d’être et d’une contribution au bien commun qui n’est pas mise en doute.
Cette invitation à davantage communiquer est souvent exprimée à l’égard des administrations, des organismes de sécurité sociale ou des acteurs de l’économie sociale et solidaire, dont on regrette parfois le manque de transparence, mais souvent tout simplement le manque de visibilité. Cette demande spontanée de communication s’adresse à des institutions en qui on a confiance, ce qui permet qu’un contrat implicite de communication soit préalablement établi : ce qu’ils ont à nous dire est conforme à la vérité et l’information qu’ils partagent est dans notre intérêt. Cela s’applique aussi, très souvent, à la communication des collectivités locales, nous y reviendrons. Ce n’est pas tout à fait cela que l’on entend à l’égard des institutions gouvernementales et plus encore de leurs représentants politiques. On ne leur demande pas de davantage communiquer. La requête qui leur est adressée, c’est « qu’ils nous écoutent », c’est-à-dire non seulement qu’ils nous prêtent attention mais qu’ils considèrent ce que nous avons à exprimer.
Ce défaut perçu de considération est d’autant plus insupportable qu’il émane de gens, ceux qui exercent le pouvoir, dont on conteste de plus en plus la capacité supérieure à prendre les bonnes décisions.
C’est la verticalité de la décision politique, donc du pouvoir, qui est aujourd’hui interrogée. Les mécanismes démocratiques usuels ne fonctionnent plus, et ne nous y trompons pas, ce n’est pas la démocratie représentative qui est interrogée, tout simplement parce que dans les représentations nos démocraties non jamais été réellement représentatives, mais essentiellement délégataires. Les citoyens ne se sont jamais réellement sentis « représentés » par les élus siégeant dans les assemblées parlementaires, au sens où ils y auraient vu leurs semblables, ceints d’une écharpe tricolore et dotés d’un droit à discuter puis à voter les lois. Le rapport aux élus fonctionne davantage, mais de moins en moins, sur un mode délégataire, consistant à leur reconnaître une compétence politique spécifique, et à les choisir parce qu’on leur fait confiance pour l’exercer en défense de nos intérêts particuliers ou de notre vision de l’intérêt général, et parce qu’ils partagent des valeurs qui nous sont chères.
LA FIN DE LA VERTICALE DU POUVOIR BOULEVERSE LES RAPPORTS DE COMMUNICATION
C’est cette compétence distinctive, la capacité des élus à mieux appréhender la complexité du monde et d’y prendre de meilleures décisions qui est aujourd’hui remise en question. De plus en plus souvent s’exprime une double contestation. D’une part on estime que les décisions seraient meilleures si on prenait davantage en compte les réalités des citoyens, que les élus sont accusés de méconnaître. Au-delà de cette attente, les citoyens s’estiment eux-mêmes en capacité de juger de ce qu’il faudrait faire pour que les choses aillent mieux. Les politiques sont ainsi invités à descendre de leur piédestal, et à reconnaître au commun des mortels la capacité à grimper quelques marches de l’échelle de la prise de décision.
Cette remise en question de la verticale du pouvoir est forcément lourde de conséquence sur la communication politique et publique. En revisitant les positions respectives des émetteurs et récepteurs de la communication, cette nouvelle vision en modifie nécessairement les codes. Elle invite à bannir les formes incantatoires et paternalistes, à reconnaître que la parole politique est de moins en moins performative, à admettre qu’elle doive rendre des comptes, et surtout à entendre la demande que cette communication qui s’horizontalise laisse de plus en plus de place au dialogue.
LES LEÇONS DE LA POLITIQUE ET DE LA COMMUNICATION LOCALES
Dans cette perspective, la bonne santé de la démocratie locale mérite qu’on s’y attarde. Tout ce qui s’écrit aujourd’hui sur la crise de la démocratie devrait être systématiquement assorti d’une précision essentielle : la démocratie locale et plus précisément la démocratie municipale se porte bien, si l’on en juge par le niveau de confiance dans les municipalités que mesure chaque année le Baromètre de la confiance du Cevipof. Or il se trouve que la communication locale se porte très bien aussi, comme en atteste un autre baromètre, celui consacré par Harris Interactive et Epiceum à la communication locale. Dans cette enquête, la communication des collectivités est jugée positivement par 82 % des interviewés, 75 % la jugeant fiable.
La perception positive de la démocratie locale est un fait connu mais souvent traité avec légèreté.
On a compris, le Maire est l’élu préféré en raison de sa proximité, de son statut « à portée d’engueulade », et on ne cherche pas plus loin. Et si nous cessions de prendre la démocratie et la communication locales pour des excep- tions sympathiques et commencions à les considérer comme des sources d’inspirations ? Certes, la proximité est un élément essentiel dans la performance reconnue de la communication locale. Mais il est d’autre proximité que géographique. La proximité temporelle entre la parole et les actes par exemple. Le décalage perçu comme abyssal entre la parole politique à l’échelon national et ce qui est considéré comme effectivement délivré est à l’inverse une forme préjudiciable de distance. La communication locale échappe à cette insatiabilité d’un agenda médiatique qui dicte son tempo et pousse les acteurs politiques nationaux à toujours annoncer du nouveau, puis à passer à autre chose. Lorsque ce nouveau atterrit enfin dans la réalité, et ce n’est pas toujours le cas, seule la communication institutionnelle prend le relais, avec ses moyens trop souvent limités, quand le plus souvent médias et politiques sont passés à autre chose, voire à d’autres fonctions.
L’inflation de prise de parole et de présence médiatique sans lien immédiat avec une réalité tangible est ce qui fait considérer la scène politique nationale comme un théâtre d’ombre. La communication locale est à cet égard plus sobre, et bien mieux phasée, faisant en générale coïncider la communication politique et institutionnelle avec la concrétisation des projets, et pas seulement leur annonce.
LES INSTITUTIONS LOCALES, PIONNIÈRES EN DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE
Les institutions locales ont une autre vertu, celle d’avoir expérimenté depuis des décennies des formes de communication qui concrétisent l’aspiration à discuter d’égal à égal. Sous l’impulsion d’Hubert Dubedout, la ville de Grenoble a joué un rôle précurseur dès les années 70 dans la mise en place de ces formes de « démocraties ouvertes » indissociables de la communication publique, à deux égards. D’une part parce que sous diverses modalités (rencontres ou consultations) elles sont en elles-mêmes des actes de communication, bilatérale et non descendante, et parce qu’elles posent un contrat implicite de communication en réduisant la distance et la verticalité.
La pratique des consultations citoyennes et des rencontres publiques répond ainsi au double engagement de permettre aux citoyens de se prononcer sur les orientations politiques locales, et de leur rendre compte des résultats de ces démarches de concertations et des conclusions que les élus en tirent. Il faut se garder de les idéaliser, et ces démarches participatives se heurtent à de nombreux écueils, dont Manon Loisel et Nicolas Rio ont très bien rendu compte. Les rencontres publiques ont du mal à trouver leur public et à sortir d’un petit cercle très peu représentatif et diversifié. La suite que leur accordent les institutions commanditaires est très inégale. Les citoyens sont conscients de ces limites, et expriment beaucoup le sentiment que tout est déjà joué d’avance et que leur participation ne changera pas grand-chose. Une enquête réalisée en 2021 par OpinionWay pour l’agence État d’Esprit faisait apparaître une majorité (68 %) estimant que ces démarches participatives « ne servent à rien, car on ne tient pas compte de leurs avis ». Et pourtant ils en redemandent. Selon cette même enquête 83 % considèrent que l’on « devrait en faire plus » en matière de démocratie participative, car « les citoyens ont à apporter à la vie publique ». Alors que le rapport à la chose publique est emprunt de scepticisme et d’une peur constante de se faire avoir, le fait que cette appétence pour les démarches de consultation résiste aux doutes sur les suites qui leur sont données est très significatif. Cela montre à quel point l’écoute et la considération au fondement des démarches participatives correspondent aux attentes profondes des citoyens.
Parmi ces attentes, il y a celle d’être considéré comme digne de confiance.
POSER DES ACTES DE CONFIANCE
La confiance, et en l’occurrence le déficit de confiance, est l’une des notions au cœur de notre crise démocratique. Cependant le diagnostic d’un dramatique déficit de confiance reste souvent lacunaire en n’abordant que le manque de confiance des citoyens envers les responsables politiques, alors que la défiance des cercles de pouvoir à l’égard des citoyens est tout autant un problème. Le sentiment des Français que leurs dirigeants ne leur font pas confiance est celui qui porte le plus préjudice aux conditions d’une bonne communication. Les exemples sont pourtant légion de références à des Français « réfractaires », qui ne « comprendraient pas » et auprès desquels il convient de faire de la « pédagogie ». Bien des facteurs expliquent cette tendance plus intériorisée qu’assumée des politiques à se méfier du peuple. Le succès de partis considérés comme marginaux, le miroir déformant des réseaux sociaux – le dernier endroit où il faut chercher à comprendre la société française dans son rapport à la politique – la multiplication des actes de violences à l’égard des élus font considérer l’ensemble du corps citoyen comme une masse hostile et imprévisible. Dans un tel contexte, faire confiance est un pari qui peut sembler périlleux. C’est pourtant le contraire qui s’observe lorsque se mettent en place ces formes de confiance qui consistent à donner la parole aux citoyens et à reconnaître leur capacité à prendre part à la décision.
Quiconque a assisté à des rencontres participatives ou des comités citoyens a pu constater les dispositions d’esprit dans lesquelles le simple fait de se voir confier une responsabilité et reconnaître un rôle, place les participants.
Quand des rencontres participatives réunissent de vrais citoyens, et non pas seulement des porteurs d’intérêt, l’envie de construire et de proposer l’emporte le plus souvent sur les récriminations. Les divergences y créent plus souvent le souci de rapprocher les points de vue que de les affronter. L’excellent travail du comité citoyen sur la fin de vie, dont il est fait trop peu de cas, montre que sur les sujets les plus sensibles les citoyens savent aboutir à des conclusions qui ne reflètent probablement pas la vision que chacun avait au départ de la démarche.
FAIRE EN SORTE QUE LES DÉMARCHES PARTICIPATIVES SE VIVENT ET SE VOIENT
Cela prouve que l’échelle nationale peut aussi être un cadre où exercer cette communication par le dialogue et cette manifestation de confiance que sont les outils de la démocratie participative. Il manque cependant un ingrédient pour en faire un levier de réconciliation. Il ne suffit pas de donner la parole aux gens, ni d’en faire quelque chose. Il faut aussi que cela se vive et que cela se voie. Cet ingrédient incombe totalement à la communication, et reste à inventer. Quand une ville de 30 000 habitants comme
Cachan installe comme mode de gouvernance des démarches récurrentes de concertation et parvient à faire en sorte, avec l’Agence Grand Public, d’y impliquer plusieurs milliers de citoyens, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à des trésors de communication pour que le rapport entre la ville et les habitants soit transformé. Comment transposer cela à l’échelle nationale ? Si l’on met de côté ce qui en a été fait, le Grand Débat national de 2019, qui a dépassé le million de participants, est sans doute parmi ce qu’on peut espérer de mieux en termes de participation, laissant donc l’essentiel de la communauté nationale en position de spectatrice, ce qui n’est déjà pas si mal, à la faveur d’une couverture médiatique exceptionnelle, permettant de faire vivre les débats locaux par l’intermédiaire des télévisions. Les comités citoyens organisés depuis, comme beaucoup de démarches participatives, ne bénéficient pas d’une telle couverture. Or l’audiovisuel, dans toutes ses déclinaisons possibles, semble le seul moyen de faire en sorte que l’ensemble des citoyens, y compris ceux qui ne participent pas, puissent se sentir représentés et partager la conviction qu’il s’est produit quelque chose qui réponde à leur aspiration à être entendus. C’est un angle mort de la démocratie participative que la communication doit parvenir à combler.
Emmanuel Rivière
Consultant en Stratégies d’Opinion Vice-président de la Maison de l’Europe de Paris Enseignant à Sciences Po et à Paris I Panthéon-Sorbonne