Notre formidable Constitution a permis cette lente transformation de la fonction présidentielle aujourd’hui devenue fonction de manager, de proximité. Ce n’est peut-être pas ce qu’elle a autorisé de mieux, même si c’est malgré elle. C’est à contre-courant de l’idéal démocratique que ses pères fondateurs poursuivaient.
Cette Constitution c’est du grand art qui, comme l’art contemporain, laisse libre de l’interprétation que l’on en fait. Et, souvenons-nous, les interprétations ont commencé tôt. Celui qui la dénonçait comme un Coup d’État permanent[1] en 1964 s’en accommodera en 1981 allant jusqu’à, dans une interview donnée au Monde, la dire bien faite pour lui (« Les instituions n’étaient pas faîtes à mon intention. Mais elles sont bien faîtes pour moi »). Voilà une des plus fameuses illustrations du fameux « ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent » cet aphorisme qu’Edgard Faure empruntait à Camille Desmoulins.
La Constitution de 1958, qui trouvera sa pleine expression en 1962, c’était avant tout un président de la République au-dessus des partis, la rationalisation du travail parlementaire et la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Il fallait la révision de 1962 pour « descendre jusqu’à la source de la souveraineté, c’est-à-dire l’élection au suffrage universel[2] » et mettre dans le texte de 1958 toute l’ambition portée par le Discours de Bayeux.
Le président de la République fut tout d’abord monarque républicain, c’est là ce que l’on crut assimilant la fonction et son titulaire : de Gaulle l’a été mais la fonction, elle, est « simplement » républicaine.
De Gaulle était monarque républicain parce que sa personne cumulait la double légitimité de l’Histoire, qui donnait comme un droit divin, et du suffrage, qui donne la légitimité démocratique. Ses successeurs ne seront que républicains, ils n’y peuvent rien. Ils se sont essayés à conforter leur légitimité démocratique en s’appliquant, chacun à sa façon plus ou moins habile, à installer une relation de proximité avec le peuple.
Une sorte de happening politique a pris la place laissée libre par la disparition de la monarchie républicaine telle que la théorisait le Professeur Maurice Duverger. Des conseillers en communication se sont faufilés puis installés. D’un « arrêtons d’emmerder les Français » aux « je viens dîner chez vous », à la procession sur la roche de Solutré, aux bains de foule « au cul des vaches », aux sorties Karcher dans les banlieues agrémentées de « C’est toi qui a dit ça ? Ben descends me le dire », à l’impassibilité sous la pluie et sorties matinales en scooter, nous sommes arrivés aux grands débats et conventions citoyennes. C’est peu dire que le côté monarque en a pris un coup, sans relever que le référendum – que l’on qualifiait de trop plébiscitaire – est, lui aussi, passé aux oubliettes de la légitimité. Il faut dire que le fait majoritaire a aussi disparu… le texte constitutionnel avait heureusement prévu le 49-3 qui permet au gouvernement de pouvoir gouverner.
Et la Constitution de 1958 est toujours là, ragaillardie par 25 révisions mais pas seulement. La pratique qui en a été faite par son premier opposant a participé à la consolider. Ainsi, à la question comment fonctionner en période de cohabitation la réponse mitterrandienne affirmait toute la puissance du texte constitutionnel « Comment fonctionneront les pouvoirs publics ? La Constitution, rien que la Constitution, que la Constitution (qui) attribue au chef de l’État des pouvoirs que ne peut en rien affecter une consultation électorale où sa fonction n’est pas en cause » et le 49-3 est là pour, en même temps, affirmer le pouvoir, de quelque couleur qu’il soit, et … affaiblir sa légitimité.
Il ne suffisait pas des happening et autres démonstrations de proximité : une interprétation du texte de 1958/62 a fait privilégier non seulement le contact avec les foules mais abandonner aussi la position au-dessus des partis. La tentation devint plus grande, et la descente plus facile, quand il n’y eut plus de parti de gouvernement. C’était comme un effondrement du Mur de Berlin, une fin de l’Histoire dont on percevait mal les conséquences. Il n’y a pas de fin de l’Histoire : ses plus mauvais côtés ressurgissent, c’est l’affaiblissement démocratique. Les choses s’enchaînent, revient le mythe de l’Homme providentiel dont il trop tentant de vouloir l’incarner. La descente continue. La vision disparaît, l’action politique en réaction s’impose comme ligne : pensez donc, vous ne risquez rien, on est là, partout, sur tous les sujets, on soigne les effets parce qu’on en ignore les causes.
Il fallait voir qu’une start-up nation c’est une idée innovante, un fonctionnement par itérations, un financement par levée de fonds et endettement, la religion de la positivité et une hiérarchie horizontale : ça n’a rien à voir avec les Institutions ni la pratique constitutionnelle issue de 1958. C’est le monde d’après, de nouveaux lendemains qui chantent.
Le financement par endettement : on sait ce que c’est. La religion de la positivité : on voit aussi. Derrière le jupitérianisme il faut voir la hiérarchie horizontale inversée : l’écrasement, par le créateur de la start-up, des niveaux de responsabilité intermédiaire (ministres ou têtes de liste par exemple) : omniprésent il intervient dans tout. Il ne s’agit plus ni de présider ni de gouverner mais de manager en proximité, de gérer l’urgence.
Les temps ne sont plus aux monarques républicains, sont-ils au manager de proximité ? Ce qu’il faut craindre c’est que le citoyen, pardon le client soit déçu, que l’électeur, pardon le financeur, le soit aussi et qu’un pacte d’actionnaires minoritaires en séduisant les déçus emporte le morceau !
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale
Ancien DGa de l’Unedic
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[1] Le coup d’État permanent- François Mitterrand, 1964, Plon.
[2] Léon Blum commentant le Discours de Bayeux 16 juin 1946.