La semaine dernière, un jury populaire a estimé que l’ancien président américain, Donald Trump, était coupable de 34 charges criminelles retenues contre lui par le tribunal de Manhattan. À six mois de l’élection présidentielle, ce verdict promet de cliver le débat politique.
De l’ouverture du procès, le 15 avril, à la délibération la semaine dernière, Donald Trump n’a eu de cesse de déclarer que la procédure intentée à son encontre était « truquée ». Arguant que l’intégralité du camp de l’accusation était « politiquement biaisée », l’ancien président américain a remis en cause l’intégrité du système judiciaire américain.
Ainsi, il a renforcé un clivage de plus en plus prégnant aux États-Unis sur l’utilisation de moyens légaux pour mener à bien un combat politique.
En premier lieu, il s’agit de préciser que, quoi qu’en dise Donald Trump, les diverses affaires juridiques qui le touchent reposent sur des faits assurément matérialisés. La légitimité de l’articulation politique et médiatique d’arguties purement légales reste néanmoins sujette à interrogations. En effet, la presse américaine s’accorde à dire que la condamnation d’un ancien président américain est « sans précédent ». Si l’assertion est incontestable, la solennité avec laquelle nombre de journalistes et de Démocrates la prononcent est regrettable.
Ce ne sont pas en tant que tels les 130 000 dollars employés à « faire taire » l’ancienne actrice pornographique, Stormy Daniels, qui ont motivé l’incrimination de Donald Trump, mais leur inscription dans le mauvais registre comptable. En effet, le 45e président a monté un schéma financier, au centre duquel se trouvait son précédent avocat, Michael Cohen, pour fausser l’objet du paiement en question. Si l’opération ne constituait à ce stade qu’un délit, le camp de l’accusation a cherché, tout au long du procès, à démontrer, grâce à une spécificité du droit new-yorkais, que ce délit avait été commis dans l’intention d’en réaliser un autre, par exemple pour violer les lois électorales sur les plafonds de dépense autorisés dans les comptes de campagne, permettant la requalification du délit en crime.
La construction légale de l’affaire était si compliquée que les instructions données par le juge Merchan avant le début de la délibération du jury mercredi 29 mai ont conduit à une controverse politique des plus délétères. Ayant expliqué aux jurés qu’ils devaient être unanimes sur le caractère criminel des agissements de l’accusé, mais qu’ils ne devaient pas unanimement s’accorder sur le crime commis, une partie des conservateurs ont estimé que ce procès se réalisait au mépris de la Constitution fédérale. John Roberts, présentateur à Fox News, a ainsi déclaré sur X que le juge avait « dit au jury qu’il n’avait pas à unanimement » condamner Donald Trump, violant alors le 6e amendement.
Il est certain que la complexité du procès a renforcé le caractère clivant de Donald Trump, ce alors que la composition du jury populaire ne saurait échapper à toute lecture partisane, Manhattan étant un district surabondamment démocrate. De plus, on ne peut ignorer l’aigreur personnelle exprimée à l’envi par Michael Cohen et Stormy Daniels depuis plusieurs mois à l’encontre de l’accusé, tous deux ayant pourtant constitué les témoins clés du procès. Même CNN où les journalistes se plaisaient à rappeler, musiques imposantes à l’appui, le caractère inédit de la condamnation d’un ancien président, s’est résolue à nuancer son propos. Plusieurs des experts juridiques du réseau d’information ont ainsi reconnu ces derniers jours que, pour le bien de la démocratie américaine, « cette affaire n’aurait pas dû être portée » devant un tribunal.
De fait, avant même que le juge ait prononcé la moindre peine, le verdict a déjà affecté le débat intellectuel outre-Atlantique. Les médias les plus progressistes s’en servent pour adjoindre à leur discours anti-Trump le garant moral que constituerait une décision de justice, tandis que les plus conservateurs y voient le signe d’une justice asservie à l’exécutif fédéral. Ainsi, la chaîne d’information d’extrême gauche MSNBC multiplie les bandeaux où Trump est qualifié de « criminel condamné » et Fox News compare le procès aux systèmes judiciaires « chinois, cubain et nord-coréen ».
Si la confusion entre droit et politique est malsaine en ce qu’elle empêche les désaccords de n’être qu’idéologiques, elle n’aura en l’occurrence qu’une influence moindre sur les résultats de l’élection.
La base trumpiste serait même renforcée : un sondage Marist National Poll réalisé pour NPR et PBS NewsHour révélait en fin de semaine dernière que 25 % des Républicains s’indiquaient encore plus enclins à voter pour Trump à la suite d’une condamnation.
En outre, la peine que le juge doit prononcer le 11 juillet prochain n’aura elle aussi de conséquences que politiques. En théorie, Donald Trump pourrait être condamné jusqu’à vingt ans de prison, mais, au vu du contexte, il est peu probable que Merchan décide d’envoyer l’ancien président derrière les barreaux — bien que la presse progressiste ait déjà fait montre d’une certaine jubilation à cette idée. Trump ne se détournera vraisemblablement pas de sa stratégie « delay, delay, delay » (« retarder, retarder, retarder »), déjà déployée avec succès s’agissant des trois autres affaires criminelles qui le visent : une fois la sentence déclarée, il est attendu qu’il épuise l’intégralité des voies d’appel, d’abord au niveau new-yorkais, puis à l’échelle fédérale, de sorte à ne rien endurer avant l’élection de novembre. Si certains glosent sur la possibilité qu’un Trump réélu s’accorde une grâce présidentielle à lui-même, l’équipe de campagne de Biden ne cesse désormais de qualifier son adversaire de « criminel condamné ». D’ici là, chaque juridiction se promet d’influer sur le débat politique, la Cour suprême devant prochainement déterminer si, comme Trump le prétend, les présidents américains jouissent d’une « immunité absolue ». En somme, s’il est inquiétant que les deux camps projettent autant de fantasmes politiques sur leur ordre juridique, la première victime de la situation reste le débat électoral, qui, en démocratie, ne saurait trouver sa fin dans une décision de justice.
Eliott Mamane
Chroniqueur au Figaro et à Marianne
Photo : lev radin/Shutterstock.com