Les récentes décisions de l’Arcom dans la gestion de l’audiovisuel français ont remis au goût du jour les débats passionnés sur le rôle et l’efficience des média dans la fabrication de l’opinion publique (Chomsky et Herman, 2003). Selon les modes de pensées, structuralistes ou au contraire libéraux, la perception de l’influence des Hanouna (qu’on annonce partant du groupe Canal +) et consorts n’est ni appréciée, ni ressentie à la même hauteur.
Une influence indirecte, selon l’Ecole de Columbia
Selon ses auteurs, pères de la formule célèbre « two step flow of communication » Lazarsfeld et Katz (1955), l’influence des média s’exerce non pas directement sur les individus mais de manière indirecte selon un mécanisme nommé « flux à deux temps ». Dans un premier temps, les messages atteignent directement certaines personnes, plus engagées que d’autres, puis dans un second temps, et seulement dans celui-ci, l’ensemble d’une population donnée. Il n’y aurait donc pas d’influence directe des média sur les opinions des électeurs. Bien que ce concept ait produit de nombreux travaux confirmatoires (Ecole de Columbia), il n’en a pas été pour autant critiqué, notamment du fait que les recherches de Lazarsfeld et de Katz aient été soutenues par Rockefeller ! Ainsi les travaux publiés par les chercheurs de l’Ecole de Francfort ont nuancé les résultats, ce qui n’a pas amené, ce qui est somme toute, compréhensible en sciences humaines, une unanimité des points de vue sur la question.
Les média font-ils l’élection ?
Cet enjeu d’une entremise du 4eme pouvoir (Burke, 1787) sur les résultats d’un scrutin a donc pendant des décennies alimenté les débats universitaires dans diverses disciplines comme les sciences de l’information, la sociologie ou encore la science politique. A l’époque de ces discussions, les groupes industriels et capitalistes investissant dans les média n’en étaient qu’à leur balbutiements. Aujourd’hui, la situation a bien évolué et dans tous les pays démocratiques dans lesquels, la conduite de campagnes électorales est effective et peut amener des changements de majorité, ces groupes d’investisseurs sont bel et bien parties prenantes, voire dominants dans les audiences. La question dès lors, se repose comme un sujet brûlant de savoir si les résultats électoraux sont directement corrélés aux temps d’antenne attribués aux différents acteurs partisans. En sous-question, apparait le fait de savoir si l’électeur d’aujourd’hui est resté le même que celui décrit par les auteurs comme Lazarsfeld (1955), Mattelart (1986), Bourdieu (1996) ou encore Marcuse (1968) et Ramonet (1998 ; 2000)…
Des organisations partisanes à la recherche d’emprise sur la société
La loi du 19 Janvier 1995 qui a imposé l’interdiction du financement des partis politiques par les personnalités morales et la limitation à 15 000 euros par an par foyer pour les dons en provenance des personnes physiques a modifié en profondeur l’organisation des parties politiques. Ils ont dû faire appel à de la créativité pour pouvoir financer leurs campagnes, entre-ouvrant parfois une boite de Pandore dans le but de pouvoir exister aux yeux de leurs électorats indirectement, sans toucher à leurs deniers.
Dans cette boite, il est possible d’y trouver des outils d’influence de l’opinion publique via les média traditionnels, les réseaux sociaux, sans compter les instituts de sondages ou encore les think-tanks et autres moyens de lobbys divers.
La télévision en tête
Dans l’étude de l’Arcom concernant « les français et l’information », publiée en mars 2024, il apparait que nos concitoyens sont avides d’information puisqu’ils sont à 94% à le faire tous les jours. Dans cette perspective, toujours selon l’Arcom (2024), 80% des Français déclarent en effet s’informer au moins une fois par semaine en regardant une chaine de télévision à 80%, 67% en écoutant la radio, 65% via les moteurs de recherche internet, 56% réseaux sociaux, 56% la presse, 52% portails d’actualité, 43% plateformes de vidéo en ligne et 38% sites ou applications Pureplayer.
La télévision a donc, en dépit de la percée des réseaux sociaux, gardé toute sa place. Cette situation n’a pas échappé à certaines entités industrielles et financières pour acquérir des groupes de presse et des chaînes de télévision dans le but de tenter d’influencer le mindset électoral vers telle ou telle tendance politique (Bouygues, Saadé, Bolloré).
Un mixage des sources d’information
Mais à la lecture de l’étude de l’Arcom, il apparait que la télévision n’est pas l’unique source d’information. En effet, les Français panachent leurs sources. Près de 50% mixent ainsi de 2 à 8 sources différentes (Télévision, radio, presse, réseaux sociaux). Cette recherche à 360 degrés a donné quelques idées aux investisseurs industriels et financiers d’élargir leur spectre d’action éditoriale (Dassault, Bolloré, Niel). Ces chevaliers de l’industrie ont misé sur les media dans un but autre qu’une forte rentabilité. C’est bien évidemment un moyen d’aider tel ou tel parti politique à se développer, à défendre ses idées, sa conception de la France, c’est là où réside le retour sur investissement.
Des résultats mitigés et à relativiser
Et le retour sur investissement n’est pas toujours celui escompté. Prenons l’exemple de la dernière législative de juin 2024 en France. Lorsque l’on regarde de près les temps d’antenne par parti politique, on se rend compte que tous n’ont pas connu le même succès en retour. Toute chose étant égale par ailleurs, notre analyse ne considère pas que le temps d’antenne soit le seul facteur d’influence du comportement électoral, mais force est de constater que des différences de traitement entre partis est notoire. Ainsi TF1, du 11 au 25 juin, selon l’Arcom, le parti Renaissance a bénéficié de 1h13 de temps de parole (contre 43.34 mn pour LFI) avec un résultat final au second tour de 96 sièges, perdant 73 députés au passage.
Le record du temps de parole a été donné au Rassemblement National avec 1h34 cette même semaine contre 18.59 minutes au Parti socialiste, pour un résultat relativement bien meilleur : le PS a plus que doublé le nombre de ses députés passant de 31 à 66 alors que le RN est passé de 88 à 126 sièges pour 5 fois plus de temps d’antenne. Il en est de même avec BFMTv.
Le RN avait eu droit à 20h10 mn de temps de parole contre 9h33 pour le PS pour le résultat que l’on connait. Constat moins flagrant entre le parti Renaissance avec ses 18h12 contre 12h51 pour La France Insoumise. Le premier a perdu des sièges, le second également. Concernant CNEWS, les écarts sont également constatables : RN avec 7h29 d’antenne et Renaissance avec 6h22, contre 2h38 pour le PS et 3h14 pour LFI. France 2 n’est pas en reste. Le temps de parole a été largement déséquilibré et ne reflète en rien le résultat final de la composition de l’Assemblée Nationale.
Les Républicains ont totalisé cette même semaine stratégique 51h18 d’antenne pour une perte de 14 sièges (de 61 à 47 députés), LFI enregistre 40h47 de temps de parole pour une perte de 3 sièges. Loin derrière avec deux fois moins de présence, le PS a gagné 35 sièges avec seulement 14h47 de parole, et le RN à gagné 38 sièges avec seulement 14h17 de temps.
Bien entendu, et rappelons-le, le résultat de ces élections ne sont pas directement liées au temps d’antenne, preuve en est, il y a tellement d’autres facteurs exogènes qui viennent influencer l’électeur au moment du vote (Dosquet, 2022). Mais, ce parallèle entre temps d’antenne et comportement électoral reste intéressant à rappeler. Les décisions de l’Arcom quant au non-renouvellement de l’attribution des fréquences TNT de la chaîne de Bolloré, C8 mais à son remplacement par une chaîne (OF Tv) sous l’égide de Ouest France et plus encore (Réels TV) pilotée par Křetínský remet d’actualité ce débat sans fin de l’opposition des deux Ecoles Columbia vs Francfort sur l’influence des média.
Dr Patrick Soumet,
Docteur en Sciences de Gestion (Dba),
Dirigeant d’entreprise à l’international, auteur du livre télétravail et leadership, édition edilivre.
Dr Frédéric Dosquet,
Docteur en Sciences de Gestion, directeur de thèses (Hdr en Sciences de l’Information et Communication), Professeur éklore-ed School of Management, directeur de thèses de doctorat, auteur de 20 livres dont « Marketing et communication politique », EMS, 3eme édition.