La nomination de François Bayrou à Matignon conduit à une redéfinition du rôle de chacune des familles politiques. Que ce soit à l’Élysée comme à l’Assemblée nationale, la méthode insufflée par le Premier ministre oblige chacun à s’interroger sur sa place et son rôle dans le contexte politique actuel.
Le mouvement le plus visible a été celui des socialistes à l’Assemblée nationale. Obsédés par la logique majoritaire, ils ont mis du temps à admettre qu’il ne suffit pas d’être sorti en tête au second tour des élections législatives pour les gagner. Ils ont finalement compris que bien qu’étant minoritaires, l’absence de majorité absolue obligeait le Premier ministre à composer avec eux. Une situation totalement inédite, dans laquelle un groupe d’opposition a le pouvoir d’infléchir significativement la politique du gouvernement sans y siéger.
A gauche toujours, LFI, le premier parti de la coalition du Nouveau Front Populaire a du mal à digérer cette situation. Dans un monde où la force de chacun est relative, la première place ne reviendrait pas forcément au plus gros. La position la plus influente, et donc la plus intéressante, serait celle de celui qui obtient des concessions auprès du gouvernement, et non plus celle du critique le plus virulent. Un nouveau rapport de force est en train de s’instaurer.
La place d’Olivier Faure n’est pas confortable, mais il expérimente une nouvelle forme d’opposition. Celle de Jean-Luc Mélenchon l’est un peu moins ces derniers temps. Il ne donne plus le ton. Il semble avoir perdu le tempo que cherchent également les écologistes et les communistes.
Cette capacité d’influence de l’opposition n’a pas échappé aux Républicains qui s’interrogent sur leur propre place d’opposants alors qu’ils participent au gouvernement. Depuis des semaines que le feuilleton socialiste alimente la chronique politique, la droite se demande si elle n’a pas disparu dans l’équipe gouvernementale. C’est l’interrogation de ceux qui n’y siègent pas. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau n’a pas ces états d’âme. Comme ses collègues LR du gouvernement, il ne semble nourrir aucun doute, il est à la bonne place, celle où il n’y a qu’une démonstration à faire, les LR savent gouverner.
Cette césure au sein d’une famille politique entre ceux qui sont ministres et ceux qui ne le sont pas se retrouve dans l’ancienne majorité. Édouard Philippe et Gabriel Attal sont hésitants. Ils n’interviennent dans le débat que par à-coup inattendus ou décalés. Gabriel Attal surprend en réclamant la remise en cause de l’accord franco-algérien de 1968. Edouard Philippe se projette déjà en 2027 ou même avant, sans se préoccuper de la menace de la dette ou de l’absence de Budget qui pèse sur le pays.
Quelle est la place d’un présidentiable de la majorité qui veut peser sur la vie politique sans être réduit au rôle de commentateur ?
Le président de la République lui aussi a du mal à trouver où situer son rôle. Faute d’avoir pu maitriser le récit de la nomination de l’un de ses proches à Matignon, il semble hésiter sur le champ à investir. L’international, son domaine élyséen réservé ? Il aurait beaucoup à dire et à faire au niveau européen avec la guerre en Ukraine et l’élection de Trump. Mais au lieu de creuser ce sillon, le voici qui tout à trac s’illustre en répondant à un influenceur – qui ne l’avait même pas sollicité et dont certaines positions sont discutables – à propos du moyen de paiement requis au péage des autoroutes.
Il n’en est qu’un qui semble persuadé d’être à sa juste place, c’est le Premier ministre. Rien n’est acquis, ni le vote du Budget ni la durée de vie de son gouvernement, mais il déroule sa stratégie à petits pas déterminés. François Bayrou qui a toujours obstinément défendu sa vision du centrisme comme méthode de gouvernement parait à son aise. Quelle que soit la durée de l’expérience, il aura au moins réussi à donner du sens au mot « compromis » si étranger à la culture politique française. Comme quoi, la Constitution de 1958 démontre une nouvelle fois son adaptabilité.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste