Symbolique, revendicatrice, souverainiste, martiale ou fédératrice, la communication politique en Afrique n’est pas uniforme. Sa diversité est à l’image des 54 pays du continent et des personnalités fortes qui ont rythmé l’histoire depuis les indépendances. Le numérique impose désormais de nouvelles règles et introduit de nouveaux enjeux.
Et soudain, une image fait le tour du monde ! Nous sommes le 24 juin 1995. La photo est belle, puissante, terriblement émouvante et surtout très politique. Quatorze années plus tard, le film Invictus la popularise au niveau planétaire. Cette image, c’est celle de Nelson Mandela à l’Ellis Park de Johannesburg. Ce soir-là, les Springboks viennent de remporter la Coupe du monde de rugby. Madiba descend sur le terrain et remet la coupe au capitaine, François Pienaar. Le chef de l’État porte le maillot vert marqué de l’antilope, l’emblème du rugby, ce sport réservé aux Afrikaners et symbole de l’apartheid. Après un instant de sidération, le public blanc se lève et l’acclame. L’ancien prisonnier de Robben Island vient de gagner le cœur de l’ennemi d’hier.
La Nation arc-en-ciel nait véritablement ce soir-là.
En Afrique, il y a ceux qui fédèrent et les autres. Les pères fondateurs appartenaient généralement à la première catégorie. Pour affirmer la fierté africaine et conforter l’unité de leurs jeunes Nations, plusieurs postures de communication ont pourtant été expérimentées.
Martial, le Guinéen Ahmed Sékou Touré, au pouvoir de 1958 à 1984, se présente comme le chef suprême de la révolution. Préférant souvent le « nous » au « je » il instaure une relation prétendument fusionnelle avec le peuple. Ses mots sont radicaux, par exemple pour rejeter la Communauté française proposée par le général de Gaulle : « nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage ». La fondation de la Nation est basée sur la menace : « le peuple de Guinée est un peuple révolutionnaire, nous n’acceptons pas la trahison, nous n’acceptons pas la compromission ».
Derrière la rhétorique émotionnelle, une répression féroce.
À l’inverse, l’Ivoirien Félix Houphouët Boigny, président de 1960 à 1993, valorise la paix et la stabilité comme fondements de la Côte d’Ivoire post-coloniale. Les qualificatifs toujours empreints d’affection accolés à sa personne, « le Vieux » ou « le Sage », font écho à cette communication résolument protectrice. Cette image de paix reste aujourd’hui encore associée à son pays. À Dakar, Léopold Sédar Senghor utilise, lui, un verbe poétique et parfois lyrique. Président du pays de la Teranga jusqu’en 1980, il aime à se définir comme un « guide » pour le peuple sénégalais.
Certains présidents passent alternative- ment d’une posture à l’autre. C’est le cas de Jerry John Rawlings, rebaptisé « Jésus Junior » par ses partisans, en référence à ses initiales, « JJR ». Arrivé au pouvoir à Accra à la suite de deux coups d’État, en 1979 et 1981, il se présente volontiers comme l’incarnation du peuple, à travers une communication anti-élites. Il met en avant la figure de Kwame Nkrumah, le premier président du Ghana, pour établir une filiation entre son propre combat et celui de l’indépendance. Il opte pour une communication plus consensuelle en 1992 lorsqu’il instaure le multipartisme et engage le pays dans un processus de démocratisation.
DEPUIS LES INDÉPENDANCES, LA COMMUNICATION POLITIQUE SE NOURRIT TOUJOURS DE SYMBOLES ET D’INTUITIONS
Lors de son coup d’éclat de l’Ellis Park de Johannesburg, Madiba n’en est pas à sa première inspiration. Le poing levé au moment de sa sortie de prison en 1990 se veut le double symbole de la résistance et de la victoire. Son choix vestimentaire pour les chemises africaines colorées en lieu et place du costume classique renforce son image d’homme du peuple.
Cette posture est encore confortée par un discours simple et accessible, abondamment nourri de proverbes africains.
Cette rhétorique fondée sur l’utilisation de phrases courtes, faciles à retenir, associée à un style vestimentaire résolument traditionnel, est aussi la marque d’une autre figure du continent. Avant Mandela, le burkinabè Thomas Sankara s’habille avec le Faso Dan Fani, un tissu traditionnel, lorsqu’il ne porte pas le treillis.
Sankara roule dans une modeste Renault 5 et imprime son propre style. Sa communication de rupture s’exprime à travers des symboles forts comme le changement du nom de son pays. La Haute-Volta est rebaptisée Burkina Faso, le pays des hommes intègres ; la nouvelle identité se veut une feuille de route. Le jeune président sait traduire des enjeux complexes en actes concrets. Pour lutter contre la désertification, 10 000 arbres sont plantés dans tout le pays. Il use d’exemples immédiatement compréhensibles pour défendre sa vision de l’autosuffisance alimentaire : « si chacun de nous refuse de manger un grain de riz importé, nous aurons gagné la bataille contre le néocolonialisme alimentaire ».
C’EST ENCORE UNE INTUITION, PLUS RÉCEMMENT, QUI BOULEVERSE LE COURS DE LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE SÉNÉGALAISE
« Diomaye Moy Sonko. Sonko Moy Dio- maye » ! Traduite du wolof, l’expression signifie : « Diomaye c’est Sonko, Sonko c’est Diomaye ». Au Sénégal, la formule restera dans les mémoires comme l’illustration d’une communication réussie. Ousmane Sonko, inéligible à l’élection présidentielle à la suite d’une condamnation judiciaire, refuse la tentation du boycott.
Le président du PASTEF défend une candidature de substitution, celle de Bassirou Diomaye Faye, son fidèle bras droit et secrétaire général du parti.
Reste à convaincre les électeurs. C’est l’objectif de cette formule. Bassirou Diomaye Faye, l’homme de l’ombre, est propulsé dans l’imaginaire collectif comme le prolongement d’Ousmane Sonko, le leader charismatique. Le slogan souligne la continuité de la vision politique et rassure sur la permanence du combat. Pari gagné puisqu’à 44 ans, Bassirou Diomaye Faye s’impose facilement dès le premier tour. Il nomme tout naturellement Ousmane Sonko à la Primature. Reste à évaluer la pérennité de leur relation dans le temps long. Pour le moment, pas une feuille de papier à cigarette ne semble s’être glissée entre les deux hommes.
La communication d’Ousmane Sonko a joué un rôle majeur dans son ascension politique et dans l’accession du PASTEF au pouvoir, à travers la construction méthodique d’une image de leader antisystème. Opposant intransigeant aux politiques économiques et sociales du régime de Macky Sall, il utilise alors des termes durs – « prédateurs – voleurs » – pour dénoncer la corruption, l’impunité et les injustices.
Porte-voix autoproclamé d’une jeunesse défavorisée, il sait créer un lien émotionnel fort avec une classe d’âge qui se reconnait en lui. Il connait ses codes et utilise avec habileté le numérique pour élargir sa base électorale, notamment au sein de la diaspora. Dans un pays où les médias publics sont généralement perçus comme proches du pouvoir, sa capacité à tisser un lien direct avec la jeunesse à travers une interaction puissante lui permet d’ancrer son message dans la société.
Les réseaux sociaux deviennent un outil d’opposition efficace et le véhicule d’un nouveau récit.
Lors de son arrestation en juillet 2023, il utilise habilement cette crise pour se poser en victime politique, martyr réprimé par un pouvoir autoritaire, symbole de la résistance contre l’oppression. Son interpellation fortement scénarisée contribue à forger une image de courage et de sang-froid.
Son récit s’inscrit dans une nouvelle revendication de radicalité et de souveraineté. Désormais Premier ministre, cette posture de communication reste inchangée, notamment à l’égard de la France.
Ainsi, dans le cadre d’une conférence devant des étudiants, Ousmane Sonko prend plaisir à affirmer, aux côtés de Jean- Luc Mélenchon, qu’Emmanuel Macron a encouragé « la répression et la persécution de dissidents » dans son pays. Il récidive à la suite du discours du président français lors de la dernière conférence des ambassadeurs. Cinglant, il fustige « les conséquences désastreuses de l’intervention française en Libye sur la stabilité et la sécurité du Sahel » et affirme que, sans l’engagement des soldats africains pendant la Seconde Guerre mondiale, « la France serait peut-être encore sous occupation allemande ».
Au Sénégal, la force des institutions et l’attachement des citoyens à leur modèle démocratique permettent une traduction de cette radicalité des mots dans les urnes.
Ce n’est pas le cas dans l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest.
LES NATIONS UNIES, TRIBUNE ET INSTRUMENT MAJEUR DE COMMUNICATION
La volonté de rupture se traduit souvent par une conflictualité dans le langage et les postures. Devant la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies le 21 septembre 2023, le ministre des Affaires étrangères du Togo, Robert Dussey, lance ainsi aux Occidentaux : « Nous sommes fatigués par le paternalisme, nous sommes fatigués par votre mépris de nos opinions publiques, votre mépris de nos populations et de nos dirigeants. Nous sommes fatigués par votre condescendance.
Nous sommes fatigués par votre arrogance. Nous sommes fatigués, nous sommes fatigués et nous sommes fatigués ».
Surprenante de la part du chef de la diplomatie d’un pays longtemps considéré comme un pilier de la Françafrique, cette tirade répond au souci de reconquête de l’opinion. Un régime contesté se lance dans une communication en phase avec les aspirations supposées des jeunes générations. Robert Dussey n’hésite pas à dresser régulièrement des lauriers à Assimi Goïta, le chef d’État putschiste du Mali, son nouvel inspirateur en termes de communication.
Ses voisins du Sahel central sont en effet passés maîtres dans l’art de la mise en scène et de la théâtralité. À défaut de résultats sur le terrain sécuritaire, les juntes au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger, en rajoutent dans l’agressivité du verbe. Elles font de la dénonciation de l’Occident et du rejet de la France l’axe majeur de leur communication.
La stratégie classique du bouc émissaire est ici poussée à son paroxysme !
L’Assemblée générale des Nations unies sert régulièrement de tribune de choix à un récit qui fait peu de cas de la réalité des faits. En septembre 2022 Abdoulaye Maïga, alors Premier ministre par interim du Mali, vilipende ainsi avec emphase « la junte française » qui, à l’en croire, financerait le terrorisme dans son pays.
L’expression de « junte française », martelée à plusieurs reprises apparait comme une provocation calculée de la part d’un pouvoir militaire installé dans la durée. Le terme choisi vise, de manière un peu subliminale, à s’exonérer des accusations d’illégitimité en suggérant que la France ne serait pas davantage une démocratie que les juntes sahéliennes.
Les allégations fantaisistes des autorités maliennes contre une France qui financerait le terrorisme, avec demande d’enquête internationale, pourraient prêter à sourire si leur impact n’était pas réel dans les opinions publiques du Sahel.
Ces contre- vérités sont relayées par des cyberactivistes fortement suivis par une jeunesse mal formée, facilement manipulable et sensible aux vérités alternatives.
Cette rhétorique se décline avec la même emphase au Burkina Faso et au Niger. Lors d’une récente interview, le général de brigade Aboudramane Tiani, au pouvoir à Niamey, relate avec force détails « le déploiement par la France de forces spéciales au Bénin, destinées à ceinturer le Niger et les États du Sahel ». Il est même la risée des réseaux sociaux pour avoir dénoncé en langue zarma l’offensive d’agents de la DGSE sur les marchés, qui chercheraient à déstabiliser le pays en achetant l’ensemble des stocks d’oignons du Niger. Leur sombre dessein aurait consisté à créer une pénurie de cet aliment de base très prisé en période du Ramadan.
POUR LES PUTSCHISTES SAHÉLIENS, UNE SOURCE MAJEURE D’INSPIRATION : LE TRÈS CHARISMATIQUE THOMAS SANKARA
Ils multiplient les actes symboliques, publient des communiqués conjoints pour annoncer des décisions majeures, comme leur retrait de la Cédéao en janvier 2024. Ils créent une chaîne de télévision commune, AES TV, pour promouvoir leur vision et contrer les récits occidentaux. Réunis dans l’Alliance des États du Sahel, ils ont désormais adopté un drapeau commun et un passeport de la confédération.
Au Burkina Faso, la devise utilisée sous l’ère du capitaine Thomas Sankara – « la Patrie ou la mort, nous vaincrons » – remplace désormais le « Unité – Progrès – Justice » en vigueur depuis 1997. Le capitaine putschiste Ibrahim Traoré tente ainsi de s’identifier à son illustre prédécesseur.
La différence entre ces néo-panafricanistes et la figure mythique du combat contre le néo-colonialisme est pourtant tangible.
Le capitaine Thomas Sankara, qui maniait volontiers l’humour, vivait selon les principes qu’il défendait et refusait par exemple que son portrait soit affiché dans les lieux publics, alors que IB, Tiani et Goïta pratiquent un authentique culte de la personnalité. Ce dernier n’a pas hésité à s’autopromouvoir général. Alors que Sankara se rendait sur le terrain pour parler au peuple, ses trois imitateurs se voient reprocher de rester la plupart du temps calfeutrés dans leurs bureaux.
Aux antipodes d’une communication volontariste aux vibrants accents souverainistes, une série de vidéos macabres ont donné ces dernières semaines une image très sombre du régime. Elles témoignent de massacres ciblant plusieurs dizaines, voire centaines de villageois peuls, parmi lesquels des femmes et des enfants. Attribués à l’armée et aux Volontaires pour la Défense de la Patrie mis en place par IB, ces crimes de masse font craindre une véritable épuration ethnique à l’encontre de populations que le gouvernement accuse de sympathies envers les groupes islamistes. Des ONG comme Human Rights Watch tirent le signal d’alarme.
Elles appellent à des enquêtes impartiales devant des crimes commis dans une totale impunité.
UNE RÉALITÉ ALTERNATIVE ET UNE PROPAGANDE DÉMULTIPLIÉES PAR LES RÉSEAUX SOCIAUX
La communication parfois irréelle des juntes militaires du Sahel est puissamment relayée par des cyberactivistes anti-français comme la Suisso-Camerounaise Nathalie Yamb et le Béninois Kemi Seba. Leur impact dans le débat public ouest-africain est largement lié à leur capacité à toucher un large public en créant des contenus viraux sur les réseaux sociaux.
L’arrivée d’internet et des réseaux sociaux ouvre en effet une nouvelle ère dans la communication politique sur le continent. Parfois pour le pire : les réseaux sociaux permettent un contrôle de l’opinion publique par la diffusion de propagande ou la manipulation des discussions en ligne à travers des trolls ou des bots. L’Ouganda et l’Éthiopie ont été accusés de les utiliser pour surveiller les citoyens ou censurer les informations.
Certains dirigeants n’hésitent pas à couper internet lors de campagnes électorales tendues.
En 2019 l’Ouganda a même introduit une taxe sur les réseaux sociaux, afin de limiter l’utilisation des plate- formes comme Facebook et WhatsApp et de contrôler davantage les voix critiques de la politique du gouvernement. 2024 a enregistré un record du nombre de coupures d’internet sur le continent, avec vingt-et-une interruptions dans quinze pays différents.
Pour le pire parfois, mais pour le meilleur aussi… Dans des pays où les médias d’État sont rarement indépendants du pouvoir, ils donnent un écho supplémentaire aux revendications des sociétés civiles et des opposants.
Les mouvements Y’en a marre, lancé au Sénégal, et Balai citoyen, au Burkina Faso, tous deux créés notamment par des artistes engagés, les rappeurs Smockey au Faso et Thiat et Kilifa (du groupe Keur Gui) au Sénégal, y publient des vidéos, des live et en font un puissant outil de communication, de mobilisation et de contestation.
Les réseaux sociaux permettent parfois de dévoiler des actes que les autorités auraient souhaité dissimuler.
Au Nigeria, ce sont ainsi des images et vidéos qui ont permis à la campagne ENDSARS contre les violences policières, harcèlement et extorsion, de connaitre en 2020 une ampleur impressionnante et des manifestations de grande envergure.
Ils offrent toujours des opportunités nou- velles aux opposants par un contact immé- diat avec une audience plus large.
Ce qui est vrai pour des opposants peut l’être aussi, paradoxalement, pour un président légitime. C’est ainsi le réseau X que le président démocratiquement élu du Niger, Mohamed Bazoum, utilise le 27 juillet 2023, au lendemain du coup d’État qui vient de le renverser : « Les acquis obtenus de haute lutte seront sauvegardés. Tous les Nigériens épris de démocratie et de liberté y veilleront. #MB ». Deux simples phrases suivies de ses initiales : bien davantage que de la communication, un testament politique et une espérance !
Geneviève Goëtzinger
Présidente de l’agence imaGGe Membre de l’Académie des Sciences d’Outremer Ancienne directrice générale de RFI et de Monte Carlo Douliya